Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 10-2 – Agapimenimou

—Mais qu’est-ce que c’est que ce vieux machin tout abimé ? Et c’est qui, Hipparque ? Et c’est quoi, un astrolabe ?
Timothy la regarde étonné, presque choqué par cette incroyable ignorance, puis il se ravise :
—Ah, oui, c’est vrai, ma pauvre Seirina, tu ne sais rien de tout ça, toi.
Il la pousse doucement par les épaules jusqu’au grand canapé qui fait face à la stèle.
—Assieds-toi là, je vais tout t’expliquer.

Chapitre 10-2 – Agapimenimou
1902 

Seirina s’installe sur le siège et prend une jolie pose, timide et attentive. Les explications de Tim sur ce bout de ferraille tout rouillé, elle s’en fiche pas mal. Mais, pour une fois qu’il veut bien s’occuper d’elle, elle pense qu’il vaut mieux cacher son impatience.

—Tu vois, Seirina, Hipparque était grec, comme toi. C’était un très, très grand mathématicien et un très, très grand astronome. Mais, il est mort il y a deux mille ans. On n’a pratiquement rien retrouvé de ses écrits, pourtant les mathématiciens qui sont venus après ont dit qu’ils n’avaient fait que reprendre ses travaux. Deux cents ans plus tard, Ptolémée a dit que c’était Hipparque qui avait inventé le premier astrolabe.

—Un astrolabe ?

—Ah, oui ! Un astrolabe, c’est un instrument astronomique qui, à partir d’une représentation plane de la sphère céleste, permet, en mesurant la hauteur des astres de déterminer l’heure astronomique en n’importe quel point de la terre, tu comprends ?

—… ?

—Non ? Eh bien, c’est une sorte de petite horloge qui permettait aux anciens voyageurs de connaître l’heure en visant le soleil le jour où une étoile la nuit. Tu vois maintenant ?

Seirina a commencé à s’ennuyer à peu près au moment où Ptolémée est apparu dans le récit. Mais elle n’en montre rien et change de position sur la canapé en repliant ses jambes sous elle, ce qui a pour effet de découvrir ses genoux. Les yeux écarquillés et les lèvres entr’ouvertes, elle contemple Timothy sans rien dire, comme submergée d’admiration. Lui n’a rien vu du manège. Il continue :

—On sait que c’est Hipparque qui a inventé et construit le premier astrolabe, à peu près cent cinquante ans avant la naissance du Christ. C’est du moins ce que disent depuis toujours tous les traités d’histoire, de philosophie et d’astronomie. Eh bien moi, Timothy Grantham, directeur de recherches au Musée d’Athènes, je vais prouver au monde entier qu’Hipparque n’était pas l’inventeur de l’astrolabe. Je vais démontrer que la machine découverte à Anticythère, sans doute le premier astrolabe au monde, n’a pas été construit à Rhodes, mais à Syracuse, qu’elle n’a pas été construite du vivant d’Hipparque, mais plus de soixante-dix ans plus tôt.

Seirina ne peut plus cacher son ennui. Elle n’y tient plus et dit d’un ton boudeur :

—Et c’est vraiment si important ?

—Comment ça,  » si important » ? Mais, ma petite, c’est essentiel, c’est une découverte majeure. L’article que je vais commencer à rédiger dès demain me procurera une renommée mondiale. Rends-toi compte : le fait que la machine ait été construite vers la fin du IIIème siècle avant Jésus-Christ et qu’elle l’ait été à Syracuse démontre de façon irréfutable qu’un seul homme a pu construire cet objet. Et cet homme, c’est… ? c’est… ? Allons Seirina, le plus grand des savants grecs, c’est… ?

Pendant que Seirina fait semblant de chercher, elle se dit que, dehors, il doit maintenant faire sombre et que se serait drôlement agréable de descendre à pied la colline du Lycabette pour prendre un apéritif à la terrasse de l’hôtel Saint-Georges. Ensuite, ils pourraient aller dîner chez Gerofinikas, bien au frais sous le grand figuier dans la chaleur de cette nuit d’été. Mais pour cela, il faudrait que son Anglais pense un peu à autre chose qu’à ce fichu Archimède et à sa machine infernale.

Comme pour lui faire un peu plus de place sur le canapé, elle s’est déplacée, faisant en sorte de découvrir un peu plus ses jambes, puis elle a tapoté la place laissée libre à côté d’elle :

—S’il te plaît, Agapimenimou, viens t’asseoir à côté de moi. Tu me donnes le tournis à t’agiter comme ça devant moi.

Il s’assied et continue à expliquer :

—Eh bien, voilà. A force de tourner et de tourner autour de la chose, de l’éclairer sous toutes les lumières possibles, à force de la photographier sous tous les angles et d’agrandir les clichés, j’ai fini par me concentrer sur une zone particulière d’un cercle de bronze. Elle m’avait attiré dès le début car on pouvait y voir de tout petits coquillages incrustés dans la matière. Mais ce qui était étrange, c’est que leur disposition ne semblait pas le fait du hasard. J’ai hésité longtemps à ôter ces coquillages, car je ne voulais surtout pas endommager la surface. J’ai fait des essais et des essais de nettoyages sur de vieux machins rouillés avant de me décider. Et puis ce matin, je me suis lancé. A la pipette, j’ai versé sur le premier coquillage une goutte de mon mélange de vinaigre et de soude caustique largement étendue d’eau distillée.

(A SUIVRE)

 

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