Roméo et Juliette – Critique aisée n°145

Critique aisée n°145

Roméo et Juliette
Tragédie en 5 actes, en vers et en prose, de William Shakespeare (1595)
Traduction française de Victor Hugo. 
Mise en scène Eric Ruf.
Pièce filmée en direct en octobre 2016 dans la salle Richelieu à la Comédie Française et retransmise dans certains cinémas aux dates indiquées plus loin

“Two households, both alike in dignity
In fair Verona, where we lay our scene,
From ancient grudge break to new mutiny
Where civil blood makes civil hands unclean”
 
« Deux familles égales en noblesse
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène
Sont entrainées par d’anciennes rancunes à des rixes nouvelles
Où le sang des citoyens souille les mains des citoyens »

En trois jours seulement, deux adolescents, l’un Montaigu, l’autre Capulet, , se rencontrent, s’aiment et se tuent. Pourquoi ? Parce que les Capulet haïssent les Montaigu et que les Montaigu détestent les Capulet. Alors, l’amour de Juliette et de Roméo est impossible. Ils vont donc mourir.

“For never was a story of more woe
Than this of Juliet and her Romeo.”

« Car jamais aventure ne fut plus douloureuse
Que celle de Juliet et de son Roméo. »

Romeo et Juliette, la plus belle, la plus triste, la plus tragique des histoires d’amour. Je l’ai vue tant de fois que j’en ai oublié le compte et l’émotion, mais jamais, j’en suis certain, je n’avais été autant remué, disons le mot, bouleversé par une représentation théâtrale que par celle qu’a donnée la Comédie Française de la pièce de Shakespeare. Le seul souvenir que j’ai d’une émotion presque aussi forte, c’est une troupe amateur américaine qui me l’avait donnée avec le « Qui a peur de Virginia Woolf ? » d’Edward Albee. Mais jamais les déchirements de George et Martha, ce couple d’amants-ennemis universitaires d’âge moyen ne m’ont touché autant que la passion des deux jeunes gens de Vérone.

J’en attribue l’effet à tout un ensemble de choses qui, quand elles sont réunies, me font à nouveau aimer le théâtre. Cela s’appelle la mise en scène. Elle est d’Éric Ruf. Des décors sobres, purs et imposants. Pas de meubles, sauf, il le fallait bien, un lit, pas une fenêtre, pas une fioriture, que des murs, des murs mobiles, des murs de palais qui ressemblent à ceux que l’on voit sur les grandes places sévères des villes du nord de l’Italie. Des maquillages et des costumes qui créent une époque incertaine, le milieu du cercle dernier sans doute, où les seigneurs ressemblent à des chefs maffieux de Sicile qui parleraient la langue de Shakespeare. Une troupe parfaitement homogène, faite de comédiens connus ou de comédiens qui le seront. Des personnages forts qui ressortent : un Capulet colérique (Didier Sandre), une formidable nourrice (Claude Mathieu) forte et émouvante, un Mercutio dansant (Pierre Louis-Calixte), amer et ironique, un Roméo à peine un peu trop mûr (Jeremy Lopez) et une Juliette (Suliane Brahim) stupéfiante de jeunesse, d’espièglerie, de détermination et de force tragique. Tout cela donne une représentation exceptionnelle.

Mais puisque je ne peux jamais rien vous cacher ni jamais faire une critique entièrement positive, il faut bien que je vous dise que, dans ce spectacle rare, j’ai regretté deux petites choses : le côté forcé, à la limite de la caricature, du personnage, heureusement peu présent, du récitant (Bakary Sangaré) et l’escamotage du point culminant de la pièce : l’ultime scène, celle du caveau des Capulet.

“A grooming peace this morning with it brings.
The sun, for sorrow, will not show his head.
Go hence, to have more talk of these sad things.
Some shall be pardon’d, and some punished:
For never was a story of more woe
Than this of Juliet and her Romeo.

« Cette matinée apporte avec elle une paix sinistre.
Le soleil se voile la face de douleur.
Partons pour causer encore de ces tristes choses,
Il y aura des graciés et des punis
Car jamais aventure ne fut plus douloureuse
Que celle de Juliet et de son Roméo. »
 

C’est avec ces vers que le Prince de Vérone clôt la pièce et renvoie chacun chez soi, acteurs et spectateurs, réplique malheureusement supprimée de la version d’Eric Ruc.

Pour le moment, la Comédie Française ne donne plus cette pièce mais vous pouvez la voir en allant dans les cinémas Pathé suivants aux dates indiquées que vous trouverez en suivant ce lien :

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=247576.html

Pour une somme modique, vous passerez près de trois heures, bien assis, au chaud, devant le spectacle exceptionnel de la plus poignante des tragédies qui soit.

ET DEMAIN, UN TABLEAU, LE DEUX CENT TRENTE-CINQUIÈME

2 réflexions sur « Roméo et Juliette – Critique aisée n°145 »

  1. Certaines familles, certains villages, se haïssent depuis des siècles mais ne se souviennent plus pourquoi. C’est le cas de deux villages, justement… Montaigu et Roquecor. Réminiscences d’un passé seigneurial …?
    Je n’ai jamais vu la pièce, seulement étudiée à l’école. (Repentir : si une fois, en noir et blanc). Aussi n’ai-je pas de problème avec la mise en scène. Les mises en scène me déçoivent toujours puisqu’elles divergent de mon imaginaire. Ici, Juliette est sur un « balcon » riquiqui d’où elle risque de s’espadaffer à tout moment et on est plus inquiet pour son col du fémur que pour le dénouement. Notons que ça ajoute à l’angoisse, c’est peut-être là l’intention du metteur, qui veut absolument nous la mettre et dans ce cas je lui suggère de placer, sous le balcon riquiqui, un hérisson de bambous acérés.

  2. Peut être attend on trop de ce qui a profondément ému par le passé…
    J ai été déçue et n’ai retrouvé ni Romeo, ni les troubles glaçants de la crypte.
    Je n ai pas cru au couple, pas du tout à Romeo ; seule Juliette livre cette ardeur juvénile destructrice dans la seconde partie. Dans la scène du balcon, j ai craint qu elle ne tombe de cette façade en ruine tout en me rassurant qu étant au cinéma rien ne pouvait arriver ! Les agitations des acteurs , bandes rivales dans Vérone, sont fatiguantes…J ai attendu vainement tout au long de la Piece ce « coup de foudre »intense qu annonce Erik Ruf ; un couple d’amis est parti à l entracte, trop déçus ! Puis j ai relu de longs passages de la Piece et la magie poétique et dramatique est revenue…. Merci Shakespeare.

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