Les pastiches de Lorenzo – 1

Entre deux missions photographiques, Lorenzo dell’ Acqua fait des pastiches. Le pastiche est un art difficile. Il nécessite une bonne connaissance de l’auteur pastiché bien sûr, mais aussi le talent de dénicher les tics, les tournures, les points de vue favoris qui font son style. Il requiert enfin une admiration pour l’écrivain pastiché. Le pastiche est un hommage, pas une caricature. Ne pas confondre avec la parodie.
Si vous ne reconnaissez pas l’auteur pris ici pour modèle et pour cible, écrivez au journal qui transmettra à Lorenzo.

La dernière bouteille de rouge

et autres plaisirs majuscules

Peu de gens la connaissent, la dernière bouteille de rouge. Il y a deux raisons à cela. La plupart ne sont plus en état de reconnaître une bouteille de rouge ou toute autre chose à cette heure avancée de la nuit où seuls quelques rêveurs saoûlés d’alcool et d’amitié se distribuent les rôles dans leur futur Relais-Château des bords de Loire entouré de vignes. D’autres ne la connaissent pas, car ils refusent de l’ouvrir, et nous, on a un ami comme ça qui ne veut pas ouvrir une bouteille de rouge après le dessert surtout quand on dîne chez lui. Heureusement, d’autres la connaissent bien, et même ne connaissent et n’apprécient vraiment que celle-là, non pas qu’elle ait un meilleur goût que les six ou sept qui l’ont précédée, ni même qu’elle entraîne un surcroît d’ivresse approchant le nirvana, mais pour une toute autre raison. La dernière bouteille de rouge ne relève d’aucune nécessité impérieuse : le repas est terminé depuis longtemps, les femmes sont endormies dans les canapés et en général, à cette heure tardive, il n’y a plus rien à manger. Quant aux convives encore debout, ils n’ont plus soif depuis longtemps et profiteraient avantageusement d’une verveine-menthe plutôt que d’un verre supplémentaire. La dernière bouteille de rouge n’a donc aucune justification. Qui la demande, qui la réclame, qui va la chercher ? Personne en particulier, mais une volonté commune d’arrêter le temps et de consoler la tristesse de leurs regards perdus au fond des verres désertés. Et il y en aura toujours un pour murmurer : « On ne va pas se quitter comme ça ? ». « Bien sûr que non !», répond un autre et voilà notre hôte parti à la cave chercher la dernière bouteille de rouge. Et il ne va pas chercher n’importe laquelle, il ne va pas hésiter une seconde, il va aller droit au but prendre la meilleure même si c’est, justement, la dernière. En réalité quand il remonte avec une indiscutable mais trébuchante fierté cette magnifique cuvée qu’il nous avait soigneusement cachée jusque là, le généreux donateur sait parfaitement qu’aucun de ses amis n’est en état d’apprécier à sa juste valeur ce divin nectar ni même de le distinguer d’un vulgaire Beaujolais, mais cela n’a pas d’importance, car ce qu’il souhaite de tout son cœur, c’est offrir à ses amis la meilleure dernière bouteille de rouge.

le 23 septembre 1997,
Premier jour des vendanges

ET DEMAIN, UNE AFFAIRE DE FAMILLE (CRITIQUE AISEE)

3 réflexions sur « Les pastiches de Lorenzo – 1 »

  1. Je ne connaissais pas Delerm autrement que de nom. Pour le canif à la poche relié d’une chaînette au passant de ceinture, là, je connais, je le porte depuis que j’ai neuf ans. Delerm doit être un type bien.

  2. Lorenzo dell’Acqua étant apparemment occupé ailleurs, je ne pouvais pas te laisser plus longtemps dans cette ignorance. Je réponds donc à sa place.
    La dernière bouteille de rouge et autres plaisirs majuscules est un pastiche de l’un des courts textes de Philippe Delerm parus dans un recueil dont le titre était La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules.

    C’était, je crois, la première publication d’un prof de français. Elle a connu un succès considérable.
    Dans des textes très courts, Delerm décrit des instants de la vie, en général des instants plaisants, mais sans importance : un couteau suisse dans sa poche, éplucher les haricots enj parlant avec un ami un matin à la campagne, les sensations que procure une première gorgée de bière…
    La langue est belle, les instants sont touchants, ils rappellent tous quelque chose.
    Certains ont dit que c’était une accumulation de clichés, mais pas moi. Disons que c’est joli et bienveillant. Pas vraiment l’esprit Canal +. Tant mieux.

  3. Alors donc, je reconnais ne pas reconnaître le pastiché.
    Le pastiche est une pistache, à l’apéro. La pistache, autre plaisir majuscule, est la promesse d’agapes que la dernière bouteille de rouge viendra couronner.

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