Archives de catégorie : Thème imposé

Le bon, la brute et les enfants (Version 5-Télégraphique)

Après les versions « notations », «sentimentale», « auditive » et « négative », voici la cinquième version, à la manière «télégraphique». Cette version présente l’indéniable avantage de la brièveté, car chaque mot compte et chaque mot coute.

Le bon, la brute et les enfants
Version 5-Télégraphique

Suis assis au café-tabac /STOP/ Ai commandé café croissant /STOP/ Camion de livraison se gare devant terrasse/STOP/ Chauffeur costaud tatouages crâne rasé /STOP/ Objectif livraison fûts de bière /STOP/ Opération bruyante emmerde tout le monde /STOP/ Groupe d’enfants en route pour jardin passe entre camion et terrasse/STOP/ Discutent entre eux sans rien voir /STOP/ Chauffeur pas sympa se dit stop /STOP/ Stoppe son travail/STOP/ Regarde passer enfants et leur fait des farces /STOP/ Chauffeur livreur sourit /STOP/ Moi aussi /STOP/ Journée transformée /STOP/

La prochaine version, Proustienne, paraitra demain 18 avril

 

Le bon, la brute et les enfants (Version 4-Négative)

Après les versions « notations »,  « sentimentale »  et « auditive » parues ces trois derniers jours, voici la quatrième version, à la manière « négative ». C’est un pur exercice de style, pas très réussi, je l’admets. Comme dans tout exercice, il y a un coté artificiel qui peut être lassant. Mais bon…

Le bon, la brute et les enfants
Version 4-Négative

Ce n’est pas le soir que je ne prends pas un thé sans pâtisserie à l’intérieur d’un bureau de poste. C’est le matin, c’est dans un bistrot, c’est un café avec croissants et ce n’est pas à l’intérieur car il ne fait ni mauvais ni froid.

Un livreur, qui n’est ni élégant, ni chevelu, ni silencieux ni sympathique, n’a pas choisi une autre heure pour ne pas livrer le café d’en face. Il n’a pas l’air d’avoir de temps devant lui, donc il ne pose pas délicatement ses fûts sur le trottoir.

Une bande d’enfants ne passe pas devant le café en ordre dispersé, mais en groupe. Ils ne sont pas silencieux et ne se préoccupent pas du tout de ce qui se passe autour d’eux. Le non-sympathique livreur ne continue pas ses manœuvres et ne prend pas un air excédé ni impatient. Il ne regarde pas  cette troupe avec animosité, parfois, il ne touche pas l’épaule d’un enfant, mais le haut de sa tête pour le surprendre. L’enfant n’a pas peur, ne crie pas, mais rit. La journée n’est pas finie. Elle ne sera pas moche.

La prochaine version, à la manière « télégraphique » paraitra demain 17 avril

Le bon, la brute et les enfants (Version 3-Auditive)

Après la version  « notations » parue le 13 avril et la version «sentimentale» parue hier1 4 avril, voici la troisième version, à la manière  « auditive ».

Le bon, la brute et les enfants
Version 3-Auditive
 

A la terrasse du café-tabac de la rue Gay-Lussac, le bruit de la circulation se mélange aux chants des oiseaux, aux soufflements de la machine à expresso et aux conversations tronquées des passants pour former une douce polyphonie. De temps en temps, ma cuillère fait sonner ma tasse de café. Le tacatac du moteur diesel d’un camion de livraison qui se gare devant le café vient troubler cette harmonie. Un chauffeur-livreur à l’air brutal et peu sympathique saute de la cabine, claque bruyamment sa portière et hurle au patron qu’il vient livrer de la bière.

-Ça marche ! crie le patron.

Le livreur est debout sur le plateau. Sortant du casque qui est collé à ses oreilles, je peux entendre les chuintements lourdement rythmés de la musique stupide qui lui détruit les tympans. De ses gros bras couverts de tatouages, il balance les fûts sur le trottoir dans un bruit d’enfer.

Alors, un murmure de jeunes voix se fait entendre et grossit. Ce sont des enfants en cortège qui descende vers le Luxembourg. Ils passent en bavardant deux par deux dans le passage rétréci entre le camion et la terrasse. Dans le café, tout se tait pour écouter leur merveilleux babillage. Le livreur a arrêté le déchargement des fûts et, du haut de son camion, il observe les enfants en sifflotant. Maintenant, il les regarde en souriant avec attendrissement. Parfois il touche le haut de la tête de l’un d’entre eux en chantant « coucou». Alors l’enfant est surpris, cherche d’où vient la farce et rit.

Des anges sont passés. Le ton de la journée a changé. J’aime ce livreur.

La quatrième version, « négative », paraitra demain 16 avril.

Le bon, la brute et les enfants (Version 2-Sentimentale)

De cette histoire très simple, vous avez eu la première version hier, 13 avril.
Voici maintenant la deuxième version, à la manière sentimentale.

Le bon, la brute et les enfants
Version 2-Sentimentale
 

Hier matin, café-croissant-Proust dans un café-tabac de la rue Gay-Lussac. La salle est largement ouverte sur la rue. Un camion se gare devant le café le long du trottoir qui, à cet endroit, est assez étroit. La porte latérale est ouverte par un gros livreur, rasé plus que chauve, 30 ans, tatoué. Il décharge brutalement des cartons volumineux et les rentre dans le café en les faisant glisser sur le sol. Au bout de quelques minutes, il est interrompu dans son travail par un cortège d’enfants de 8 à 10 ans, accompagné par quelques adultes. Ils vont sans doute au Luxembourg. Je m’attends ce que le livreur soit au moins agacé par ces gamins qui retardent sa tournée. Au contraire, il les observe avec amusement et tendresse en souriant du haut de son camion. Les enfants, tout occupés de leurs conversations, ne le voient même pas. De temps en temps, il touche l’épaule ou le crâne de l’un d’entre eux pour qu’il se retourne et cherche d’où vient ce contact. Le manège s’achève avec la fin du cortège. Le tatoué reprend ses manœuvres brutales. Ce livreur, je l’aime ; il vient de changer la nature de ma matinée.

 La troisième version, auditive, paraitra demain 15 avril

 

Le bon, la brute et les enfants (Version 1-Notations)

Voici une histoire simple, intitulée « Le bon, la brute et les enfants ». Elle va vous être racontée de 7 manières différentes : dans l’ordre, tout d’abord sous forme de simples notations, puis sous forme sentimentale, puis de manière auditive, ensuite de manière négative, puis à la façon d’un télégramme. Viendra ensuite une forme plus évoluée, la forme Proustienne. On terminera de manière plus sombre et plus développée, à la Série Noire.

Aujourd’hui, pour la première version, voici la manière « Notations »

Le bon, la brute et les enfants
Version 1-Notations

Assis à la terrasse du tabac le Week-End, je prends mon café-croissant. Il fait beau.
Un camion de livraison de bière se gare devant la terrasse. Le livreur est un jeune costaud. Il porte un sweatshirt moulant blanc sale. Son crâne est rasé et ses bras sont couverts de tatouages. Il a l’air pressé et de mauvaise humeur. Il débarque ses tonneaux bruyamment. Il m’est antipathique.
Des enfants d’un lycée voisin passent en groupe. Ils vont au Luxembourg. Leur passage empêche l’homme de continuer son débardage. Ils passent par deux entre le camion et la terrasse. Entièrement occupés par leurs conversations, ils ne voient rien autour d’eux. Le livreur les regarde passer, debout sur son plateau. Il sourit. Parfois, il leur fait une farce en leur touchant la tête. Alors l’enfant cherche en riant d’où lui vient ce contact.
L’atmosphère du jour a changé.

La deuxième version (sentimentale) paraitra demain 14 avril

Bulletin météo

Voici maintenant nos prévisions pour la semaine prochaine ou presque.

Pour la région de Romorantin, le temps sera identique à ce qu’il a été le 22 février 1952 sur une zone située au nord d’une ligne allant de Dunkerque à Tamanrasset.
Pour ce qui est du reste du territoire, on notera un fort risque de calme plat, sauf pour la Corse et la Bretagne-Est qui ont obtenu une dérogation. Les températures pourraient rester de saison, ça et là, ou bien ailleurs, mais c’est pas sûr.
Compte tenu de la forte probabilité de chutes locales de popularité et d’élévations brutales à des grades supérieurs, six départements et deux arrondissements de Paris ont été mis en examen. Les départements concernés sont la Corrèze inférieure, la Corrèze maritime, et la Corrèze. Les trois autres départements seront sélectionnés par tirage au sort devant huissier (Pour obtenir les pronostics sur le tirage, cliquez sur  « jtembrouille.gouv ». Les paris resteront ouverts jusqu’aux premières pluies). Pour ce qui est des arrondissements parisiens objets de cette surveillance, nous ne souhaitons pas les divulguer par crainte de procès en diffamation.
Les horaires des marées n’ayant pas été votés, ils demeurent sous réserve.
Nous n’avons aucune idée des heures de lever et de coucher du soleil.
Demain, nous fêterons la fête à mon beau-frère.

Et maintenant, une page de publicité.

La force de l’habitude

LA FORCE DE L’HABITUDE

Jérôme Garrouste est un homme fort. Quand il était plus jeune, on disait de lui : « c’est un grand gaillard, il est costaud ». Maintenant, on dit plutôt qu’il est fort. Pensez donc, il était troisième ligne dans l’équipe de Castres ; alors, depuis qu’il a arrêté le sport, il a tendance à prendre du poids. On dira bientôt qu’il est gros.

Jérôme Garrouste est un homme important. Il est important pour la société dans laquelle il est Directeur des Ressources Humaines. Il a sous sa responsabilité la gestion de 485 personnes, réparties aux quatre coins de la France sur une demi-douzaine d’implantations, sans compter le bureau d’Ashford en Angleterre et celui de Bochum en Allemagne.

Jérôme Garrouste est un homme fort important. Depuis quatre ans, il doit procéder à des restructurations et des fermetures de site qui entraînent pas mal de licenciements. Dans l’exercice de cette partie pénible de ses attributions, il a fait preuve d’un tel talent que toutes les autorisations de licenciements lui ont été accordées et qu’aucun des procès engagés devant les prud’hommes n’a été perdu. Vis-à-vis des contestataires de tous acabits, des révolutionnaires de machine à café et des récalcitrants à la logique économique, il a su imposer une volonté de fer, un langage de fermeté sans faille et une habileté diabolique.

Occuper ce poste essentiel ne va pas sans l’accomplissement d’une grande quantité de travail qui s’étend bien au-delà des heures normales et, depuis plusieurs années, Jérôme Garrouste n’est jamais rentré chez lui avant 21h30. Il trouve alors son repas froid prêt sur un plateau dans la cuisine, ses trois enfants sinon couchés, du moins enfermés chacun dans sa chambre devant un écran quelconque, et sa femme, au lit, en train d’achever la lecture de Télérama.

Pourtant, depuis six mois, les choses ont changé pour la société dont il dirige le personnel : à la suite d’une dénonciation, l’URSSAF a effectué une descente de nuit dans les bureaux de leur principal concurrent pour constater la présence de nombreux cadres au-delà des heures normales de travail.  Une très forte amende lui a alors été infligée pour heures supplémentaires non déclarées. Quelques jours plus tard, un Comité de Direction, dont Jérôme est bien entendu l’un des membres permanents, a décidé la mise en application immédiate de la fermeture effective de tous les bureaux de toutes les agences de la société à 18h45. À 19 heures au plus tard, les vigiles ont dorénavant pour consigne de faire le tour des bureaux, d’accompagner jusqu’à l’extérieur les retardataires et de s’assurer que seuls les éclairages de sécurité restent allumés.

Le premier soir de cette nouvelle mesure, lorsqu’André, le gardien, est venu frapper à sa porte, Jérôme a bien tenté de résister, de lui dire que cette mesure ne s’appliquait pas aux membres de la direction, qu’il devait achever avant le lendemain matin un important dossier à remettre sans faute à l’avocat de la société, de se fâcher, de téléphoner à Pierre, le D.G., mais rien n’y a fait. Il a dû évacuer l’immeuble comme le dernier des stagiaires informaticiens. A 19h10, heure totalement incongrue, il s’est retrouvé sur le trottoir devant la porte vitrée des bureaux qui venait de se refermer sur un André goguenard et plutôt satisfait d’avoir fait plier un des patrons de la boîte. Après un instant d’hésitation, au milieu d’une foule pour lui inhabituelle, il s’est dirigé vers le bas de l’avenue de Wagram. Une fois devant  l’entrée piétons du parking où sa grosse voiture de fonction dort toute la journée,  il a réfléchi et,  brusquement, il a eu peur ; peur de se retrouver devant ses enfants, peur d’avoir à leur parler, peur de ne pas savoir quoi leur dire ; peur d’avoir à entendre sa femme lui raconter les courses qu’elle avait faites aujourd’hui avec son amie Martine rue de Passy ou, pire, les problèmes qu’elle avaient eu à régler avec les enfants ou avec la bonne ; peur de devoir prendre des décisions domestiques, d’avoir à choisir l’endroit où ils passeraient leurs prochaines vacances, ou le pays dans lequel l’ainé irait améliorer son anglais. Peur, il avait peur.

Alors, presque comme un somnambule, il a poursuivi son chemin. Il a dépassé l’entrée du parking, il a traversé la grande place des Ternes, et, sans intention précise, peut-être juste pour boire un verre, il est entré dans la Brasserie Lorraine, salué par le chasseur et le maitre d’hôtel.

          — C’est pour diner, Monsieur ? Un seul couvert ?

« Pourquoi pas ? » s’est dit Jérôme, en acquiesçant d’un léger mouvement de la tête. Dans une sorte d’état second, pris en main par l’efficace et virevoltant maitre d’hôtel, il s’est laissé guider à travers la grande salle brillamment éclairée, encore presque vide à cette heure. On l’a installé côté banquette à une large table pour deux sur laquelle étaient disposés de lourds couverts en argent sur une épaisse nappe blanche raide d’amidon. Aussitôt, un garçon est venu enlever le couvert qui faisait face à la chaise demeurée vide. Un autre est venu lui déposer entre les mains un grand menu à couverture blanche et rouge et à cordon marron. Jérôme, comme extérieur à lui-même, se laissait faire. Il se sentait impuissant, pris en charge, bercé, heureux comme dans un rêve.

Lorsqu’il est sorti du restaurant, il était 9 heures moins cinq. A 9 heures vingt, il était chez lui. La tranche de jambon, la salade verte, la pomme du Canada et le quart San Pellegrino l’attendaient sur la table de la cuisine. Ses enfants étaient cloitrés dans leurs chambres, et sa femme parcourait Connaissance des Arts. Tout était parfaitement comme d’habitude. Il est revenu dans la cuisine, il a pris un sac en plastique pour y jeter le jambon et la salade, il a mangé la pomme, bu l’eau minérale, puis il s’est couché. Il se sentait rempli de béatitude.  Ce sentiment si doux, inconnu jusqu’alors, venait bien sûr de l’excellence du repas solitaire qu’il venait de prendre. Mais il venait surtout du petit secret qu’il venait de cacher à sa femme : il avait diné seul, au restaurant, à dix minutes de chez lui ; et il avait adoré ça. C’était presque comme s’il avait pris une maîtresse.

Il n’a jamais dit à sa femme que les horaires du bureau avaient changé et, depuis ce jour, la Brasserie Lorraine l’accueille chaque soir de la semaine.

Sa table, toujours la même, est située près d’une large fenêtre. De là, dans le confort chaleureux et ouaté de la salle, il peut contempler à sa guise la place des Ternes luisante de pluie et l’agitation des voitures hésitantes derrière leurs essuie-glaces et des piétons engoncés dans leurs manteaux.

Lorsqu’il s’assied, il n’a plus à commander le vin. Jean, le serveur, lui apporte immédiatement un seau à glace et une demi-bouteille de Pouilly-Fuissé. Pendant que le serveur débouche le flacon, Jérôme et lui échangent quelques mots sur le temps qu’il fait.

Un peu plus tard, le maitre d’hôtel, toujours le même — Monsieur Robert — lui présentera la carte et les suggestions du jour. Pendant que Jérôme fera semblant de consulter le menu et que Monsieur Robert fera semblant d’attendre respectueusement les choix de son client, les deux hommes échangeront quelques propos humoristiques ou désabusés sur la politique. Au bout de trois ou quatre minutes, Jérôme soupirera en refermant le menu :

          — Hé bien, écoutez Robert, finalement, ce sera comme d’habitude.

          — Très bien, Monsieur; donc huit Spéciales n°3, une demi-douzaine de praires, beurre salé, pas de citron, pas de vinaigre. Et pour suivre, le poisson du jour. C’est bien ça ? Aujourd’hui, c’est un dos de saumon à l’unilatéral sur un lit d’épinards.

          — Parfait, confirmera Jérôme

Ensuite, Jérôme goûtera le Pouilly et ouvrira son journal. Quand les huitres arriveront sur leur lit de glace surélevé, il le repliera. Puis il tournera le plateau de manière à présenter les Spéciales devant lui. Il ne mangera les praires, plus fortes en goût, qu’une fois qu’il aura fini les huîtres. Au fur et à mesure, il rangera les coquilles vides en les retournant sur la glace du plateau. La plupart du temps, il n’aura pas le temps de reprendre son journal avant l’arrivée du poisson, fumant sur son lit de verdure. Lorsqu’il l’aura fini, il pourra enfin écarter légèrement son assiette et ouvrir à nouveau Les Échos. Il aura le temps de lire un ou deux articles en finissant le Pouilly. Un peu plus tard, Monsieur Robert déposera discrètement devant lui l’addition sur un petit plateau d’argent. Tout en continuant sa lecture, et sans regarder la note, Jérôme y posera négligemment sa carte Platinum. Il sera alors un peu moins de 21 heures, encore un peu trop tôt pour rentrer chez soi. Il reprendra son journal, paisible et serein, bercé par la prose économique des Echos et le brouhaha élégant et lointain du restaurant.

Cela fait maintenant presque six mois que Jérôme goûte à ce petit bonheur quotidien. Bien sûr, au début, les deux heures quotidiennes de présence en moins au bureau ont posé un problème. Il n’arrivait plus à faire face à la somme de travail qui, elle, était restée la même. Mais il n’a pas tardé à s’organiser : il a annoncé chez lui qu’à présent, il devrait aller travailler le samedi matin au bureau. En contrepartie, ces matins-là, il devrait être dispensé de l’accompagnement des enfants aux diverses activités auxquelles sa femme les avait inscrits : danse, équitation, hockey sur gazon…Il en était désolé, disait-il, mais, que voulez-vous, le travail d’abord !

Cela fait maintenant presque trois mois que les collègues de Jérôme Garrouste le trouvent plus détendu, plus agréable, plus sympathique. Oh, il n’a rien perdu de sa pugnacité envers les délégués du personnel, ni de son efficacité dans la préparation des fermetures de site. Non, mais disons qu’il fait cela d’une manière plus…comment dire, plus conviviale, voilà, c’est cela, plus conviviale.

Ce soir, quand Jérôme Garrouste est sorti de la Brasserie, salué par le maitre d’hôtel et le chasseur – Bonsoir, Monsieur Garrouste, à demain ? – il faisait froid, mais c’était la pleine lune et le ciel était magnifique. Il a décidé de laisser sa voiture au parking et de rentrer à pied. En remontant le boulevard de Courcelles vers le Parc Monceau, il s’est dit qu’il était bon parfois de changer ses habitudes.

Un petit carré de terre

Notre dernier atelier d’écriture de l’année 2013-2014 s’est tenu très agréablement, tout d’abord dans le cadre du Jardin des Plantes pour s’achever ensuite autour de l’une des tables de cuivre du salon de thé de la Mosquée de Paris. Ce jour-là, le thème de l’exercice était de décrire un espace limité dans un style objectif, donc impersonnel, épuré, c’est à dire squelettique. C’est ainsi que l’on a pu voir, dispersée dans ce beau jardin, une petite dizaine de personnes, habituellement raisonnables, écrire pendant quarante-cinq minutes en regardant un petit carré de sol entre leurs pieds.
Voici ce que fût mon carré :

Un carré au Jardin des Plantes

Le carré est au sol, qui est plan et irrégulier.
Les deux tiers de la surface, qui forment un premier rectangle, sont occupés par de la terre, une terre brune, sombre, humide.
Sa couleur n’est pas uniforme. Une multitude de petits objets y sont posés ou incrustés. Ils forment sur la couleur brune de la terre des taches blanches, ou argentées ou marron plus foncé ou de plusieurs nuances de jaune.
Dispersées et orientées au hasard sur le sol du premier rectangle, ce sont de très petites aiguilles de pin qui forment ces taches jaune foncé. Une autre tache, nette, rectangulaire et jaune vif tranche avec la couleur sombre de la terre et les formes irrégulières des autres taches: c’est le filtre d’une cigarette. Juste à côté, dans la prolongation du rectangle jaune vif, un rectangle très blanc, plus petit, terminé par une vague frange noire complète le mégot. Un caillou, petit silex taillé en triangle est d’un autre jaune, presque blanc, avec un éclat bleu dans un angle. Tout en bas du premier rectangle, presque en dehors, un C majuscule couché, couleur argent mat, est ce qui reste de la languette d’ouverture d’une boîte de soda sucré et caféiné. Trois morceaux d’écorce marron foncé tombés du grand pin en surplomb forment le seul relief de ce premier rectangle.

Le deuxième rectangle occupe le tiers restant du carré. Il est  couvert de galets à demi enfoncés dans le sol. Les galets sont gris, ou gris bleu, ou gris blanc. Ils ne sont pas jointifs et les espaces qui les séparent sont remplis de cette même terre qui occupe le premier rectangle du carré. Mais cette terre, plus sèche, est d’un marron plus clair. Elle comporte presque les mêmes taches que la terre du premier rectangle. Comme dans le premier carré, il y a, dans les interstices des galets, une multitude d’aiguilles en désordre. Il y a aussi quelques graviers. Ils sont plus petits que le caillou en silex taillé; ils ont des formes arrondies. Une tache jaune dentelée entre deux graviers ressemble à un papillon; c’est une feuille morte. Un parfait petit cylindre blanc, d’un centimètre de longueur et d’un millimètre de diamètre est d’une origine indéterminée.

La lumière de la fin de l’après-midi éclaire le rectangle aux galets. Elle filtre à travers des feuilles d’un buisson agité par le vent et change leurs couleurs qui  passent du gris sombre au gris clair ou gris bleu. Le vent vient d’apporter une nouvelle pièce entre deux galets: un fragment de papier jaune qui porte les lettres noires M, B, A, et R.

Et maintenant, comme disait mon père, laissons un peu flotter les rubans ! Et en avant la subjectivité, la métaphore le lyrisme et, pourquoi pas,  l’anthropomorphisme !

Mais le temps s’est assombri et le vent du Nord a emporté les feuilles mortes (…ho ! je voudrais tant que tu te souviennes…). Il est venu bouleverser le tableau hétéroclite de mon carré du Jardin des Plantes, le rendant aussi éphémère que les rides à la surface d’un étang de novembre. Bien sûr, les galets arrondis, tels les bosses d’une carapace de tortue, les graviers aussi inutiles que ceux du Petit Poucet, et les aiguilles collées au sol, semblables aux aiguilles d’un jeu de mikado renversé, restaient sagement en place. Mais les objets les plus légers étaient fugitivement remplacés par d’autres, puis par d’autres encore. Par la force des choses et le jeu des pressions atmosphériques, une nouvelle œuvre abstraite se composait devant mes yeux étonnés et incrédules. Je sentais pourtant monter en moi un sentiment de frustration mêlé d’agacement et même de colère. Ma description bénédictine, mon état des lieux notarial était désormais périmé, inutile comme une prévision météorologique de la veille.
Alors, en huissier consciencieux, j’ai repris mon syntagme figé et mon courage à deux mains et j’ai recommencé le procès-verbal de mon constat.

Circonstances atténuantes

Ces quatre petites histoires ont été écrites en atelier d’écriture. L’exercice, inspiré par les « Crimes exemplaires » de Max Aub, consistait à inventer plusieurs histoires de meurtres anodins. Je dois à la vérité de dire que l’histoire de la rue Thierry Ardisson m’a été librement inspirée par une nouvelle, aussi courte que mon propre texte, que j’ai lue il y a bien longtemps et dont je n’arrive pas à me rappeler si l’auteur en est Peter Benchley ou James Thurber, grands humoristes américains chers à mon coeur. 

1-Je suis arrivé tôt, vingt minutes avant la séance. J’ai choisi ma place avec soin, pas trop loin, pas trop près, pas tout à fait dans l’axe, mais presque, comme j’aime, quoi! Elle est arrivée au moment où les publicités commençaient. Tournant le dos à l’écran, elle s’est faufilée dans la rangée devant la mienne. Elle s’est arrêtée devant moi, m’a adressé un joli sourire, et s’est assise juste devant mon siège. Forcément, ça m’a énervé. Ces jolies femmes, ça Continuer la lecture de Circonstances atténuantes

On recherche:

Le Ministère de l’Administration des Ministères et de la Procrastination de la Réforme de l’Administration recherche plus ou moins activement à pourvoir les postes suivants:

revendeur de trous – vérifieur de certification – certifieur de vérifications -videur intersidéral – remplisseur de boîtes de nuit – entraineur de chaises de jardin – calculateur de π-démonteur d’océans – remonteur de moral – couvreur d’opprobre – corneur de pages – purificateur de cieux – décolleur d’avions – baratineur de beurre – débordeur de vases – avaleur de sable – accompagnateur de téléphérique – écraseur de champignon – intégrateur de zéro à l’infini et au-delà – additionneur de zéros – censeur des aiguilles d’une montre – encodeur de mouches – encolleur de moches – basculeur d’enquêteuses – basketteur d’encolleuses – encolleur de basketteuses – attrapeur de froid – compreneur de service –installateur de doute – modérateur de cantabilé – visagiste burineur – charmeur de princes – aiguilleur en meules de foin – alpiniste de plaine – alpagueur de plans – planificateur d’alpages – accordeur de pianistes – étireur d’élite – cambreur d’airain -hausseur des pôles

Si vous pensez pouvoir remplir une ou plusieurs de ces fonctions, écrire au JdC qui transmettra. Joindre une photo de vous bébé de face et de profil, le curriculum vitae de votre grand-père maternel en Esperanto ainsi qu’une attestation de non prolifération de la mérule. En cas d’impossibilité, joindre un certificat d’impossibilité.