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La langue à toutes les sauces

Selon Esope, la langue a deux visages (si j’ose dire) :

« Le maître d’Ésope lui demande d’aller acheter, pour un banquet, la meilleure des nourritures et rien d’autre. Ésope ne ramène que des langues ! Entrée, plat, dessert, que des langues ! Les invités au début se régalent puis sont vite dégoûtés.
– Pourquoi n’as-tu acheté que ça ?
– Mais la langue est la meilleure des choses. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, avec elle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées…
– Eh bien achète moi pour demain la pire des choses, je veux de la variété et les mêmes invités seront là. Ésope achète encore des langues, disant que c’est la pire des choses, la mère de tout les débats, la nourrice des procès, la source des guerres, de la calomnie et du mensonge. »

Selon Roland Barthes, elle est fasciste:

« La langue est tout simplement fasciste. Car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger de dire. » 

Selon Cynthia Fleury, c’est plus compliqué que ça, comme on dit quand on veut faire passer son interlocuteur pour un imbécile. Selon Cynthia, le langage, la langue, c’est le premier instrument du pouvoir :

« La vraie nature du pouvoir est circulatoire. Elle aura besoin du langage pour se fonder, s’extérioriser en donnant la réalité qu’elle n’a pas, s’intérioriser pour créer le consentement dont elle a besoin pour perdurer. Le langage sert souvent de premier barrage en empêchant de penser la réalité de la domination et le fait que le pouvoir ne soit qu’un dogme, autrement dit un fait de violence institué en fait de croyance puis en fait de légitimité. » 

Quand vous aurez lu tout ça, pensez à notre temps, à ses  éléments de langage, à sa langue de bois, à sa pensée unique. Pensez aux discours d’ouverture de colloque, de clôture de convention, de pots de bienvenue et de pots de départ et, surtout, pensez aux discours des politiques à propos de tout et de n’importe quoi. Enfin, n’y pensez pas trop.

Esope avait raison, la langue est bien la pire et la meilleure des choses, mais le pire, c’est qu’il n’y a pas de meilleur.

Un monde qui fait le malin

Morceau choisi

Ce mouvement d’individualisme (…) est l’essence même du vingtième siècle. Ce fut son illusion, l’inverse d’un mouvement de maturation, une forme d’ivresse de soi. Aussitôt après nous, déplore Charles Péguy, commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s’en font gloire et orgueil. Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé le monde moderne, le monde qui fait le malin, le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, le monde de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre, un monde où l’individualisme se vit comme le seul génie des lieux, convaincu d’être l’alpha et l’oméga de sa vie, vérité vieille comme le temps mais qui a trouvé dans la modernité son lieu d’expansion.
La Rochefoucauld l’avait déjà cerné : « L’amour propre est le plus grand des flatteurs. Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour propre, il y reste encore bien des terres inconnues.  »
Il ne savait pas que ces terres inconnues se prénommeraient la modernité.

Cynthia Fleury
Les irremplaçables