Walter Mitty, c’est moi ! (3)

Critique aisée 42-3  (traduction de « The Secret Life of Walter Mitty »; voir notes ci-dessous)

Résumé des deux premiers épisodes : Après avoir successivement forcé un hydravion gigantesque  à travers un ouragan déchainé, accompagné sa femme chez le coiffeur, opéré à l’improviste un millionaire d’une obstréose compliquée d’un coreopsis, garé sa voiture dans la mauvaise file, Walter Mitty va poursuivre ses aventures avec l’achat d’une paire de caoutchoucs…

3
Ils sont tellement sûrs d’eux, pensa Walter Mitty en marchant le long de Main Street; ils pensent tout savoir. Une fois, il avait essayé d’enlever ses chaînes, à la sortie de New Milford, et il les avait entortillées autour des essieux. Il avait fallu que quelqu’un vienne avec une dépanneuse pour les démêler, un jeune garagiste, narquois. Depuis lors, Mrs Mitty l’obligeait à chaque fois à aller dans un garage pour faire enlever les chaines. La prochaine fois, pensa-t-il, je me mettrais le bras droit en écharpe : alors, ils ne se moqueront plus de moi. J’aurais le bras droit en écharpe et ils verront bien que je ne pourrais pas enlever les chaines moi-même. Il trébucha dans un paquet de neige fondue. « Caoutchoucs,  » se dit-il, et il commença à chercher

un magasin de chaussures.

Quand il ressortit dans la rue, ses caoutchoucs dans une boite qu’il portait sous le bras, Walter Mitty commença à se demander quelle était l’autre chose que sa femme lui avait demandé de rapporter. Elle lui avait dit, deux fois, avant de partir de chez eux pour Waterbury. D’une certaine manière, il détestait ces voyages hebdomadaires à la ville – il faisait toujours quelque chose de mal. Kleenex, pensa-t-il, Squibb, lames de rasoir ? Non. Dentifrice, brosse à dent, bicarbonate, carborandum, initiative et referendum ? Il abandonna. Mais elle s’en souviendrait. « Où est le machinchouette ?  » demanderait-elle. Ne me dis pas que tu as oublié le machinchouette.  » Un vendeur de journaux passa en criant quelque chose sur le procès Waterbury.

… »Peut-être ceci rafraichira-t-il votre mémoire ?  » Le District Attorney brandit soudainement un lourd automatique vers la calme silhouette qui occupait le box des témoins. « Aviez-vous vu ceci auparavant ?  » Walter Mitty saisit l’arme et l’examina d’un œil d’expert. « C’est mon Webley-Vickers 50.80,  » dit-il calmement. Une rumeur d’excitation parcourut la salle d’audience. Le Juge frappa sur son bureau pour un retour à l’ordre. « Vous êtes un excellent tireur à toutes sortes d’armes à feu, je crois ?  » dit le District Attorney d’une manière insinuante. « Objection !  » cria l’avocat de Mitty. « Nous avons démontré que notre client ne pouvait avoir tiré le coup de feu. Nous avons démontré qu’il portait le bras droit en écharpe pendant la nuit du 14 juillet.  » Walter Mitty leva brièvement la main et les deux avocats qui se chamaillaient s’immobilisèrent. « Avec une arme de n’importe quelle marque existante, » dit-il calmement, « j’aurais pu tuer Gregory Fitzhurt de la main gauche à cent mètres ». Un tohu-bohu éclata dans le tribunal. Un cri féminin surmonta le vacarme et soudain, une ravissante jeune femme brune se jeta dans les bras de Walter Mitty. Le District Attorney la frappa sauvagement. Sans se lever de sa chaise Mitty lui balança un coup à la pointe du menton.  » Misérable bâtard ! « …

« Biscuits pour chien, » dit Mitty. Il s’immobilisa et les immeubles de Waterbury surgirent de la brume de la salle d’audience et l’entourèrent à nouveau. Une femme qui passait se mit à rire. « Il a dit ‘biscuits pour chien’, « dit-elle à son compagnon. « Ce type s’est dit ‘biscuit pour chien’ à lui-même. » Walter Mitty se dépêcha. Il entra dans un supermarché, pas le premier sur son chemin, mais un plus petit un peu plus loin dans la rue. « Je voudrais des biscuits pour un jeune petit chien,  » dit-il à l’employé. « Vous voulez une marque particulière, Monsieur? » Le plus grand tireur du monde réfléchit un instant. « C’est écrit  sur la boîte ‘Les chiots l’exigent’,  » dit Walter Mitty.*

A suivre…
Le quatrième et dernier épisode  paraitra demain lundi 24 novembre

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(c) James Thurber – My world and welcome to it-1942-Harcourt, Brace and Co.
(c) Philippe Coutheillas -2014- pour la traduction française.

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