Le livre de l’Éthiopien – 2

Il n’y a pas si longtemps, je vous ai raconté comment le Livre de l’Éthiopien m’était tombé entre les mains. Si vous avez raté cet épisode essentiel de ma vie intellectuelle, vous pouvez toujours CLIQUER ICI pour le retrouver. A cette occasion je vous avais parlé de Rutebeuf, ce poète oublié de tous sauf de Léo Ferré. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de du Bellay.

A l’école, je n’aimais pas du Bellay. Je l’avais toujours considéré comme un raseur de première, alors que Ronsard, non. Pourtant, chez les célèbres duettistes Lagarde et Michard, Ronsard et du Bellay étaient toujours associés, comme Bouvard à Pécuchet et Roux à Combaluzier. Mais le « Mignonne, allons voir si la rose..; » de Ronsard avait, par son côté dragueur coquin, quelque chose de plaisant pour les adolescents rigolards et frustrés que nous étions, alors que le « Heureux qui comme Ulysse… «  qui commençait par deux références mythologiques brumeuses ne faisait rien pour m’attirer… Et puis, on n’avait pas idée de tirer une pareille tête d’enterrement en plus de s’appeler Joachim !

Un jour, en feuilletant le Livre de l’Éthiopien, je tombai inévitablement sur le très fameux sonnet « Heureux qui… » que je sautai aussitôt pour retomber sur un autre, « Au retour d’Italie ». Ecrit à son retour de Rome où du Bellay était parti en poste à la cour pontificale, poème inconnu, de moi tout au moins, je le trouvai bien plus beau que l’Ulysse.

Dans la succession des infinitifs — Marcher…, balancer…, entremesler…, discourir…, etc.. —, j’ai vu une très belle façon, que je croyais moderne uniquement, d’exprimer l’affectation d’une attitude pour cacher le véritable état d’esprit de l’auteur, ici, la déception. Déçu par Rome, par les Romains, par les diplomates et par la cour auprès du Pape, du Bellay était rentré en France mal monté, mal sain, mal vestu, ruiné. D’où ce triste et beau sonnet désabusé.

Joachim du Bellay (1522-1560)

AU RETOUR D’ITALIE
Sonnet

Marcher d’un grave pas et d’un grave sourci,
Et d’un grave souris à chacun faire feste,
Balancer tous ses mots, répondre de la teste,
Avec un messer no, ou bien un messer si ;
 
Entremesler souvent un petit va cosi,
Et d’un, son serviteur, contrefaire l’honneste ;
Et, comme si l’on eust part à la conqueste,
Discourir sur Florence et sur Naples aussi ;
 
Seigneuriser chacun d’un baisement de main,
Et, suivant la façon du courtisan romain,
Cacher sa pauvreté d’une brave apparence ;
 
Voilà de cette cour la plus grande vertu,
Dont souvent, mal monté, mal sain et mal vestu,
Sans barbe et sans argent on s’en retourne en France.

N.B. : si par hasard vous vouiez relire le « Mignonne allons voir » et le « Heureux qui comme », remontez dans le texte et cliquez sur les titres en rouge.

ET DEMAIN, UNE LETTRE DE GUSTAVE

2 réflexions sur « Le livre de l’Éthiopien – 2 »

  1. Pour ma part, enfant, j’ai toujours bien aimé Du Bellay, ses sonnets sonnent comme des chansons. D’ailleurs Brassens ne s’y est pas trompé, qui s’en est largement inspiré. Avec un certain recul, sans doute, mais tout comme il a mis Victor Hugo en musique (la légende de la nonne, ma préférée en raison de quelques subjonctifs bien apposés).
    Bonne journée à tous…

  2. Moi mon colon celle que j’préfère est la troisième strophe, j’aime bien le “Seigneuriser chacun d’un baisement de main”, pratique telle quelle qui a tendance à disparaître de nos jours, en France en tout cas, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas remplacée par d’autres avec les mêmes motivations. Quant au troisième vers, je crois que nos vaillants gilets-jaunes en ont plus rien à f… .
    PS: La chanson du jour est bien sûr “Les loups sont entrés dans Paris” que nous chantait si bien Serge Reggiani. Regardez bien gens de Denfert, sous son manteau de bronze vert, le lion tremble!

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