Les routiers sont-ils vraiment sympa ?

Je me souviens de mes premières années de conduite. C’était il y a bien plus de soixante ans (O.M.G. ! Soixante ans !). À cette époque, en France, il n’y avait que très peu d’autoroutes : une trentaine de kilomètres vers l’ouest à partir de Paris, une quinzaine vers le sud, pas davantage au sud de Lille, une vingtaine au sud de Lyon et la même chose au nord de Marseille, et encore, je n’en suis pas sûr. Les routes étaient magnifiques, souvent bombées et bordées de platanes. On parcourait campagnes, villes et villages sans traverser de zone commerciale ou industrielle. Il n’y avait pas de encore de Courtepaille, pas davantage de Novotel ou de Formule 1. Les restaurants de bord de route s’appelaient  « Le Lion d’Or », « Chez Angèle », « L’Auberge Saint-Christophe », quelques uns présentaient un panneau spécial bleu et rouge « Les Routiers ». Il y en avait même qui offraient deux salles, une pour les chauffeurs routiers (nappes en papier, verres à moutarde, menu unique) et une pour les voyageurs (nappes en tissu, verres à pieds et carte du jour). Quant aux hôtels, on ne les trouvait qu’au centre des villes, Place de la Gare, Avenue Gambetta, Cours de la République. Ils s’appelaient Hôtel Monopole, Hôtel de Sens et de la Poste, Hôtel des Voyageurs…

On roulait vite, on roulait agressif, on roulait dangereux, on roulait souvent alcoolisé. En 1962, le nombre de morts sur la route était de 10.000. (Soixante ans plus tard, il était de 3000 pour un trafic 12 fois plus important.)

A cette époque, il était d’usage de critiquer la façon de conduire des chauffeurs routiers, qualifiés de dangers publics, empêcheurs de rouler en rond, de rouler à fond. Il faut dite que d’une part, le manque de puissance de leurs moteurs les faisaient gravir les côtes à faible vitesse, rendant très fréquente la nécessité de les dépasser. D’autre part, la largeur des routes et leur bombement rendaient difficile leur dépassement. D’où l’agacement des automobilistes et la mauvaise réputation des routiers.

Quelqu’un (un syndicat, un fabricant de pneu, une marque d’essence ?) eut l’idée de lancer une campagne publicitaire nationale de réhabilitation des routiers. Il s’agissait de transformer leur image : ils étaient des professionnels de la route, des spécialistes de la conduite tous temps, des connaisseurs de la mécanique, prudents, serviables. À vous, Monsieur, ils laissaient obligeamment la place pour vous permettre de les doubler. Pour vous, Madame, ils s’arrêtaient pour changer votre roue dont le pneu avait crevé. De vrais chevaliers de la route. C’est le slogan « Les Routiers sont sympa » qui fut choisi pour inonder la France à grands coups d’affiches 3 par 4 et d’auto-collants apposés sur l’arrière des camions. On vit même beaucoup de camions installer à côté un petit feu que le chauffeur mettait au vert s’il estimait que vous pouviez le dépasser, ou au rouge si une voiture se présentait en face. (Ce gadget fut interdit après quelques usages trompeurs de certains chauffeurs qui voulaient juste rigoler un peu). Quelques années plus tard, RTL créa une émission de nuit adoptant pour titre le slogan devenu fameux. L’émission dura une bonne dizaine d’années.

Aujourd’hui, on ne dit plus que les routiers sont sympas. On a raison car les routiers ne sont pas plus sympa que les dentistes sont menteurs, les hommes politiques pourris ou les abonnés absents. Sympa ou pas sympa, c’est une question d’individu, pas de profession. On le comprendra dans cette aventure de Bernard Ratinet.

Quand Bernard a pris la route, il voulait arriver à Turin le soir même. Moins de 350 kilomètres, et que de l’autoroute… du gâteau !  Sauf que, premièrement, il est parti en retard. L’hôtel Politecnico de Turin lui garderait-il  sa chambre en cette période de Salone Auto Torino ? Et puis, par dessus le marché, la neige s’est mise à tomber. Il a horreur de conduire sur la neige, Ratinet. D’ailleurs, très vite, un salopard de camion l’a envoyé dinguer dans la glissière de sécurité. Pas grave, l’accident, juste un feu arrière cassé, mais une grande frousse. Ça retarde et ça fait réfléchir. Et quand on réfléchit, on ralentit, c’est automatique. Alors, le Politecnico de Turin, ça sera pas possible. Mais peut-être un hôtel à Bardonnèche, juste de l’autre côté du tunnel, en Italie ? Ouais, peut-être… Mais voilà qu’une coulée de neige a coupé l’autoroute, juste avant l’entrée du tunnel. C’est foutu pour Turin, c’est foutu pour Bardonnèche.
Foutu, à moins qu’un routier sympa…

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Après, c’est la pente fatale.

 

2 réflexions sur « Les routiers sont-ils vraiment sympa ? »

  1. Les routiers étaient sympa il y a 60 ans. Leurs camions n’étaient pas des semi-remorques démesurés, ils étaient deux dans la cabine pour partager les heures de conduite, ils étaient cultivés et musicologues, ils avaient la gueule de Jean Yanne quoi.

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