(…) Mais à l’époque du récit, je n’y crois pas à sa ville fantôme. Pourtant, je ne peux pas le lui dire. D’abord, ça lui ferait de la peine, et ça, je n’en ai pas le courage. Ensuite, si je veux rester encore un peu ici et si je veux encore coucher avec elle, il ne faut pas lui dire. Et ça, c’est ce que je veux.
— Le 15 décembre, me dit-elle ! Tu te rends compte ? Le 15 décembre !
Alors je me tourne vers Mansi et la contemple avec admiration. Puis, simplement, comme elle l’avait fait lors de notre premier matin, je lui dis à mon tour : « C’est formidable ! Embrasse-moi. »
Ni Mansi ni moi ne dormons encore vraiment, quand tout à coup :
— Mansi ! Ouvre-moi ! Vite !
Il y a quelqu’un qui tambourine sur la vitre de la chambre et qui crie à voix étouffée.
— Ouvre-moi ! Il est revenu ! Il arrive ! Dépêche-toi !
Mansi hésite une seconde puis bondit nue hors du lit. Elle fonce à la fenêtre, tire le rideau et ouvre la baie vitrée. Fran entre. Elle est très énervée.
— Il est là ! Il est en ville ! Il arrive !
Mansi ne pose pas de question. Elle emmène Fran vers le salon. Je les entends discuter un peu, puis elles reviennent dans la chambre. Mansi commence à rassembler ses vêtements.
— Habille-toi, s’il te plaît, me dit-elle.
Elle a parlé de son ton calme habituel, neutre, sans intonation. On dirait une simple demande, mais c’est un ordre, un ordre qui ne souffre pas de question. Pourtant, moi, je ne peux pas m’empêcher de râler.
— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
— Habille-toi, vite ! Et vas t’en !
— Hein ? Mais enfin…
— Explique-lui, toi, dit-elle à Fran en sortant de la chambre. Moi, je n’ai pas le temps.
Dans la pièce à côté, Mansi commence à s’agiter. J’entends des rideaux qu’on tire, des fenêtres qu’on ouvre, des portes de placards qui claquent, des meubles qu’on déplace. Assis sur le bord du lit, face à Fran, je lutte pudiquement avec le peignoir jaune que je n’arrive pas à enfiler. Fran a repris son souffle. Elle s’agace :
— Laisse tomber ce foutu peignoir, Phil, et habille-toi pour de bon ! Et lève-toi de là, que je puisse faire le lit ! Pour l’amour de Dieu, dépêche-toi !
Provenant directement du salon, mon sac atterrit sur le sol de la chambre. Ma veste suit. Puis mes chaussures.
— Tout est là, dit la voix de Mansi. Habille-toi et fiche le camp, Phil !
J’ai enfin réussi à enfiler le peignoir. Je me lève et je contourne Fran pour entrer dans le salon. Mansi est là, dansant d’un pied sur l’autre en train d’essayer de passer un jean. Elle a déjà revêtu un T-shirt gris trop grand pour elle. Elle me regarde comme elle regarderait une vieille valise oubliée au milieu de la pièce.
— Qu’est-ce que tu attends ? me dit-elle sèchement. Je t’ai demandé de t’habiller et de foutre le camp ! Alors, barre-toi ! Maintenant !
Le téléphone sonne.
— Réponds, Fran, s’il te plait, demande Mansi calmement.
Fran décroche et nous tourne le dos. Elle écoute. Elle ne prononce que quelques mots : « oui… c’est moi… non, pas encore… d’accord… d’accord, je lui dis… d’accord, salut ! »
Pendant que Fran était au téléphone, Mansi a débouché une bouteille de vin. Elle en a vidé un bon tiers dans l’évier puis elle a sorti deux verres dans lesquels elle a versé un peu de vin. Elle a posé les verres sur la table basse et elle a allumé la télévision. Elle ouvre le couvercle de la poubelle, en sort quelque chose qu’elle dépose dans le cendrier de la table basse. Ce sont des mégots de cigarettes. Ses gestes sont précis, économes, efficaces. Mais qu’est-ce qui se passe, nom de Dieu ?
Fran a raccroché. Elle se tourne vers Mansi.
— C’était Bob. Ils sont au supermarché. Ils achètent des trucs pour faire un barbecue tout à l’heure. Après, il l’emmènera boire un verre au Stagecoach. On a une demi-heure devant nous.
— Une demi-heure, ça devrait aller, constate Mansi, toujours calme.
« Un barbecue ? Ils ? Qui ça, ils ? Une demi-heure ? Un verre au Stagecoach ? Avec qui ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qui est avec Bob ? Une demi-heure pour quoi faire ? Qui est avec Bob ? Qui est avec Bob ? Pourquoi le vin dans l’évier ? Et les mégots ? Pourquoi Mansi me fiche-t-elle dehors ? Qui donc est avec Bob ? Le sheriff de Barstow ? Un amant de Mansi ? Son mari ? Mansi s’est remariée ! Elle s’est remariée et elle ne m’en a rien dit ! Elle a un mari ! Les vêtements dans le placard, ce sont les siens, bien sûr ! Mansi a un mari, ça fait trois jours que je couche avec elle et il arrive ! Meeerde ! »
J’en suis là de mes réflexions, désorienté, ne sachant où courir, où ne pas courir, n’y croyant pas moi-même, quand Mansi revient vers moi, un peu radoucie. Doucement, elle me pousse vers la chambre.
— Allez ! Maintenant habille-toi. On a un quart d’heure. Je vais tout t’expliquer. Non, non, ne t’assieds pas ! Habille-toi. Il faut que tu sois parti dans vingt minutes.
Soumis, ahuri, j’ouvre mon sac et commence à sortir mes affaires.
— Voilà, dit-elle. C’est Bo ! Il est revenu !
« Bo est revenu ? Comment ça « revenu » ? Du cimetière ? De Corée ? C’est ridicule ! »
— Mais…
— Ne t’arrête pas, Phil. Continue à t’habiller, s’il te plaît.
Et moi, obéissant, je continue. Et pendant ce temps, elle raconte. Elle ne m’a pas dit toute la vérité ; Bo, son mari, était vraiment parti en Corée ; il y avait vraiment été porté disparu, mort au combat ; on l’avait cru mort, elle l’avait cru mort jusqu’à la fin de la guerre ; mais en août 53, il était réapparu dans un échange de prisonniers avec la Corée du Nord ; il avait été blessé, fait prisonnier par les Chinois et transféré dans un camp d’endoctrinement en Corée du Nord.
— Ton mari est vivant !
— Il est vivant, oui ! Il n’est plus tout à fait le même, mais il est vivant.
— Ton mari est vivant ! Tu m’as raconté des mensonges !
— Pas vraiment… Pendant deux ans, je l’ai réellement cru mort.
— Ne te fous pas de moi, en plus ! C’est dégoûtant de m’avoir menti comme ça ! C’est dégueulasse ! Dégueulasse !
— Qu’est-ce que c’est dégueulasse ?
Je suis furieux et, tout en réalisant qu’elle vient de me servir la réplique de Jean Seberg dans A Bout de Souffle, j’explose :
— Ça veut dire que t’es une garce, une salope, une pute !
Comment ai-je pu en arriver là ? Comment ai-je pu dire des trucs pareils ? La colère, c’est certain, la déception aussi, la vexation, la blessure d’amour propre… Aujourd’hui, au calme, à la réflexion, je me demande si ma réaction n’était pas due, aussi, un peu, beaucoup, à la jalousie, au sentiment de trahison et, disons-le, d’amour bafoué. L’amour ? Un bien grand mot pour l’état dans lequel m’avaient mis quelques jours de cohabitation avec Mansi. Amour propre ? Amour tout court ? Je ne sais pas, j’ai oublié, ou peut-être ne l’ai-je jamais su, et d’ailleurs, peu importe. Quelles soient mes raisons, je n’en avais pas moins traité de pute la femme dont je pensais encore quelques minutes plus tôt qu’elle commençait à m’aimer.
Choqué par les insultes que je viens de crier, abasourdi, je me tais et reste devant Mansi, essoufflé, les bras ballants. Et c’est là qu’elle se fâche. Pour la première fois, je l’entends élever la voix.
— Dis-donc, petit homme ! Qu’est-ce qui te prend de me parler comme ça ? T’étais plutôt modeste, ces derniers temps ! Plutôt sur la réserve, non ? Inexistant, à la limite ! Tu ne trouves pas ? Alors qu’est-ce qui s’est passé ? Tu te crois des droits parce qu’on a dormi ensemble ? Allez, gamin ! Finis de t’habiller et va jouer ailleurs !
Inexistant ! Gamin ! Je chancelle un peu, mais je reprends de l’assurance et j’ose dire :
— D’abord, on n’a pas fait que dormir, si je me souviens bien !
A SUIVRE
Here is another story: ce matin, lisant tranquillement mon JDC après le petit déjeuner dans une maison remplie d’amis réunis pour le mariage de l’une de mes nièces, mon beau frère me demande ce que le lis. Je lui explique Go West et lui montre la photo en tête du texte. My God! quel succès, moi qui était en marge de l’événement du jour me retrouve être la star, obligée de tout expliquer de notre road-trip de 1964. J’avoue avoir enjolivé un peu l’histoire. Les américains sont malgré Trump quand même sympas.
L’Amérique de Trump, appuyée en cela par les Européens, avait annoncé de terribles sanctions contre la Russie si elle n’acceptait pas le cessez-le-feu inconditionnel qui devait commencer le lundi 12 mai.
Comme tout un chacun pouvait le prévoir, Poutine n’a pas répondu à cet ultimatum et a entrepris de noyer le poisson en proposant une négociation directe Ukraine-Russie.
La date de l’ultimatum a été dépassée, le cessez-le-feu n’a pas été accepté, et chacun sait que Poutine amuse la galerie pour gagner toujours plus de temps.
Et l’Amérique de Trump ne parle plus de terribles sanctions…
Et les Européens trouvent l’attitude de Poutine intolérable…
Same old story…