L’énigme de la Joconde enfin résolue !

L’INTERVIEW DU PROFESSEUR LORENZO DELL’ACQUA

 le JdC : Merci tout d’abord, Professeur Lorenzo, d’avoir choisi d’annoncer votre formidable découverte dans notre journal. Vous avez en effet résolu l’énigme de la célébrité de la Joconde qui hante tous les esprits depuis cinq siècles. Alors, Professeur, nous sommes impatients ! Racontez-nous cette prodigieuse aventure.

Professeur Lorenzo : Merci à vous de m’accueillir dans vos lignes car je sais que les places y sont chères. Cette découverte ne s’est pas faite toute seule. Mon équipe et moi-même avons arpenté trois fois par semaine pendant plus de dix ans la Grande Galerie du Louvre. Au départ, notre objectif était de découvrir quelle était la nature des propos échangés entre les personnages des tableaux et les spectateurs. C’est par hasard que nous avons fait cette formidable découverte. Comme vous le savez, la réputation de le Joconde semble usurpée à certains experts. En effet, cette œuvre ne peut rivaliser en qualité avec celles d’autres peintres antérieurs, comme Giotto et Piero de la Francesca, ou plus proches de nous comme Marcel Gotlib, l’auteur de la Fresque à la Coccinelle*. Tout le monde sait aussi que la Joconde que nous pouvons admirer au Louvre a perdu ses couleurs d’origine. En particulier, le ciel noir derrière Mona Lisa était jadis d’un bleu d’une incroyable pureté. L’accumulation de moisissures au fil du temps (on évoque plusieurs microns d’épaisseur) l’ont tellement obscurcie qu’il faudrait avoir beaucoup d’imagination pour y retrouver aujourd’hui l’œuvre originale de Léonard. Personne n’a osé et n’osera jamais la restaurer en raison de son extrême fragilité. Indépendamment de sa dégradation, la Joconde n’est pas non plus, d’après de nombreux spécialistes, une peinture exceptionnelle. Comparons-la à La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer : même finesse du trait, je vous l’accorde, même composition idéale, même expression mystérieuse du personnage féminin qui permet de multiples interprétations et laisse libre cours à l’imagination des spectateurs. Mais, en dehors de leur état de conservation, il est une autre différence fondamentale entre Mona Lisa et la Jeune Fille à la Perle : l’une sourit, l’autre pas.

Pour le moment, si vous le voulez bien, consacrons-nous à l’histoire proprement dite de notre découverte. A l’origine, donc, notre but était d’imaginer les échanges entre les personnages des tableaux et les spectateurs. Notre première constatation était qu’il ne s’agissait pas toujours de propos amènes car ces personnages, surtout les religieux, regardent toujours leurs contemplateurs de manière sévère. Pure jalousie à mon avis ! Mais vis-à-vis de quoi ? Surement pas de notre époque qui les choque bien que leurs arguments d’un autre âge soient discutables. Ou alors vis-à-vis du spectateur lui-même qui a pourtant payé sa place pour venir les admirer ? Quel manque de reconnaissance d’autant que, comme nous l’avons vérifié, ils font tous une tête d’enterrement, du début à la fin de la Grande Galerie. C’est inacceptable vu le prix du billet mais, comme le public continue à venir subir leurs regards réprobateurs, pourquoi feraient-ils semblant d’être aimables ? Surtout, en la parcourant plus que de raison, je me suis aperçu qu’il n’y avait qu’un seul tableau qui échappait à cette règle : La Joconde. Et c’est vrai, seule Mona Lisa ne fait pas la tête et sourit, je vous le jure. C’est sa principale vertu car le tableau lui-même, aux yeux de nombreux spécialistes, n’est pas terrible. A mon avis, son succès phénoménal et universel vient de là : la Joconde est le seul chef d’œuvre souriant du Louvre.

le JdC : Oui, cher Professeur, mais où réside le côté révolutionnaire de cette découverte car le sourire de la Joconde est connu depuis des siècles ?

Pf. L. : Chère Madame, je crois que vous ne m’avez pas bien compris. Le scoop, ce n’est pas que la Joconde sourit, le scoop, c’est que tous les autres personnages figurant sur les peintures célèbres font, pardonnez-moi l’expression, « la gueule ». Il est sidérant que cette évidence ait échappé à des millions de personnes à travers les siècles. Ai-je été clair ? C’est parce que les autres personnages ne sourient jamais que le Joconde est le plus célèbre tableau du monde. Je reconnais que la Jeune Fille à la Perle a néanmoins fait une belle carrière internationale malgré son handicap.

le JdC : Ah, je comprends mieux maintenant  …

Pf. L. : Regardez par exemple le Petit Jésus : comment voulez-vous qu’il ait envie de sourire sur la Croix alors que, déjà tout petit bébé sur les genoux de sa Maman, il faisait la moue et menaçait les spectateurs avec son doigt levé ? Saint Jean-Baptiste lui non plus n’est guère avenant mais il faut reconnaitre qu’il a des circonstances atténuantes depuis sa rencontre avec Salomé. Le Condottiere, la Belle Ferronnière et le docteur Gachet font aussi une sale tête qui ne donne pas du tout envie de les fréquenter. Allez, même si cela me fend cœur, il faut bien reconnaitre que les personnages surpris en pleine partie de plaisir dans Le Déjeuner sur l’Herbe ne sont pas d’une folle gaité comme on aurait pu s’y attendre. En sculpture, il en est de même : passe encore pour la Vénus de Milo dont on partage les préoccupations que lui inflige son absence de bras mais le Penseur de Rodin est aussi sinistre que la Victoire de Samothrace d’après des sources officieuses qui l’ont connue quand elle avait encore toute sa tête. Au cinéma, il en est de même des chefs d’œuvre consacrés ; personne ne rigole dans Le Dieu noir et le Diable blond de Glauber Rocha, pas plus que dans Le Jour le plus long, M. le Maudit ou la Mort aux trousses.

Pour ce qui est de l’autre énigme concernant la mine défaite de tous ces personnages respectables, on n’a pas progressé. En veulent-ils au spectateur parce qu’il a une tenue incorrecte, parce qu’il est vulgaire, parce qu’il parle fort, parce qu’il est laid, parce qu’il sent la sueur, parce qu’il ne s’exprime pas en latin ou parce qu’il n’y connait rien à la Peinture ? Peut-être cette dernière explication est-elle la bonne. Ils pensaient mériter mieux que d’être dévisagés tous les jours de l’année par des foules incultes et ils n’ont pas tout-à-fait tort. Ils leur en veulent peut-être aussi d’avoir disparu alors qu’ils (eux ou leur peintre ?) avaient encore tant de choses à dire. C’est vache parce que le spectateur n’y est pour rien.

le JdC : Un grand merci, Professeur, pour ces révélations qui viennent incontestablement bouleverser un pan entier de l’Histoire de l’Art.

* La Fresque à la Coccinelle, Marcel Gotlib, 1966

 

Addendum

C’est depuis son lointain exil (pour raisons politiques) sur la Riviera à Chants de Fées que l’écrivain Ph. C. nous a fait part de son mécontentement et de sa colère. Selon lui, il existe au Louvre d’autres peintures où les personnages sourient. Son épouse est convaincue que les rumeurs insistantes prévoyant l’attribution du prochain Prix Nobel au Professeur Lorenzo, c’est-à-dire avant lui dont c’était pourtant le tour, ne seraient pas étrangères à son réveil offusqué.

Interrogé par le JdC, le Pf L. nous a fait ces quelques commentaires : « En effet, il y a bien deux peintures au Louvre, et seulement deux, montrant un personnage souriant : le Pied-bot, de José de Ribera, et Le portrait de l’artiste sous les traits d’un moqueur, de Joseph Ducreux. En ce qui concerne le second, il appartient à une publicité bien connue pour des sous-vêtements féminins affriolants que la morale réprouve. Il ne me semble donc pas nécessaire d’épiloguer sur cette peinture mercantile. Quant au premier, en réalité d’une infinie tristesse, il s’agit du portrait de l’idiot du village qui, de source sûre, riait tout le temps bêtement ; la volonté du peintre n’était donc en aucun cas de faire le portrait d’un personnage gai et souriant ».

4 réflexions sur « L’énigme de la Joconde enfin résolue ! »

  1. Cette liste là est beaucoup plus réjouissante que celle qui ressemblait à des vœux de mourant…
    Mériterait d’être republiée d’ailleurs, celle-là…
    Mais le monde de l’édition est en crise…

  2. Je profite de l’occasion qui m’est donnée par l’Ariègeoise pour signaler aux fidèles lecteurs du JdC que les ventes sur Amazon de mon remarquable roman, Les Corneilles du Septième Ciel, stagnent au plus bas depuis quatre mois. Certes, je ne prétends pas atteindre à la notoriété de certains de mes prédécesseurs, mais quand même ! Comme l’a qualifié avec une justesse prémonitoire une amie qui n’est hélas pas madame Fabienne Pascaud, on est en présence d’un Ulysse des temps modernes à côté duquel celui de Joyce ressemble à un roman de la Bibliothèque Rose.
    En résumé, depuis quatre mois, seulement seize exemplaires ont été vendus :
    – 1 à madame Lariègeoise, contre remboursement, cela va de soi,
    – 1 à l’Amicale des Anciens de l’équipe de foot du FC Dreux où je fus demi offensif dans les années quatre-vingt avec, à mon actif, un but contre mon camp face aux Pompiers,
    – 1 à ma belle-mère âgée de 99 ans qui adore mes écrits dont elle est la seule à posséder l’intégrale, à savoir plus de dix mille pages dont certaines d’une poésie inouïe,
    – 1 exemplaire dédié à mon mécène, notre Rédacteur en Chef Bienaimé monsieur Philippe Coutheillas qui le mérite bien,
    – 1 à une amie de jeunesse qui considère, non sans raison, qu’à dix huit ans, rien ne me différenciait d’Arthur Rimbaid, ce que le temps n’a pas confirmé,
    – 1 à ma famille qui aurait préféré que je me consacre à des activités plus lucratives,
    – 1 à mon psy qui regrette que mes succès littéraires ait occulté son aide salutaire
    – 1 à Jim pour qu’il cesse de dire des choses méchantes sur moi dans le JdC,
    – 1 à René-Jean dont je suis le seul à regretter la disparition,
    – 1 à Bruno qui m’a destiné un jour des choses si émouvantes que je lui en serai à jamais reconnaissant,
    – 1 à Augustin Meaulnes, un copain de lycée,
    – 1 à Jean Ferrat que mes enfants détestent mais pas moi,
    – 1 à Sano di Pietro qui sait pourquoi,
    – 1 à Roland Barthes qui est le plus grand escroc de notre temps ce qui mérite un coup de chapeau,
    – 1 à Claude Sautet pour rester ami avec qui vous savez,
    – et le dernier à celle qui me supporte depuis cinquante ans.
    Vous remarquerez au passage que, contrairement à certains écrivains germanopratins à la mode, je n’ai acheté sur mes propres deniers aucun de mes ouvrages pour gonfler artificiellement les résultats comptables.
    En ce qui concerne les commentaires sur mon roman, ce sera beaucoup plus rapide. Il n’y en a eu qu’un seul mais d’une incroyable justesse : celui de madame l’Archiariègeoise que je cite, non par forfanterie, mais parce qu’elle en a saisi, elle, le sens profond et le destin exceptionnel : « A bas le complexe d’Ulysse, vive celui de Lorenzo ! »

  3. merci chère Ariégeoise de vos commentaires (l’Ariègeoise ayant a un côté tenancière de bistrot qui ne colle pas du tout avec vos éminentes qualités artistiques et littéraires). Je rebondis sur vos propos judicieux et je tiens à signaler aux lecteurs moins sensibles que vous que j’ai été saisi par cette réalité que je n’avais jamais, mais alors jamais, lue dans tous les ouvrages sur la peinture : force est de constater que l’humanité entière est passée à côté de cette évidence : tous les portraits font la gueule. Je me suis demandé pourquoi. La seule explication que j’ai trouvée est qu’il est techniquement très difficile, voire impossible, de demander au modèle de poser en souriant pendant des heures devant le peintre … Et, sincèrement, j’aimerais savoir si vous et les autres lecteurs assidus du JdC avez imaginé une ou plusieurs autres explications.
    J’attends avec impatience vos réponses
    Merci

  4. Cher Professeur Lorenzo
    Tant d’heures passées à guetter l’accord imparfait entre le tableau et la tenue ou l’anatomie de son regardeur aurait pu vous rendre insensible aux sujets figurant sur la toile.
    Il n’en est rien et en attendant la rentrée littéraire et la mise en librairie des Corneilles, voilà une analyse réjouissante de la figure en peinture: ainsi donc seule la Joconde ne fait pas la gueule!
    Cette analyse exhaustive des œuvres accrochées aux cimaises du Louvre est une découverte majeure pour l’histoire de l’art , et je crois nécessaire une publication immédiate sur Amazon…
    Car malheur aux aoûtiens paresseux qui n’auraient pas consulté le JDC ce matin!
    Passer à côté d’une telle découverte!!!
    Et que les dentistes ne viennent pas nous suggérer que ces sujets étaient sans dent…

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