Go West ! (16)

(…) Pour le reste, il suffira d’être laconique, raisonnable et prudent. Pour Cal dorénavant, j’aurais quitté Paris depuis longtemps, j’habiterais Grenoble, ville discrète qui a peu de chance d’être connue d’un habitant d’Albuquerque. Je serais orphelin et je n’aurais ni frère ni sœur, c’est plus simple. J’aurais abandonné des études littéraires en première année de Fac. J’aurais emprunté de l’argent à un vague parent pour me payer un aller simple pour New York. Je ferais du stop vers Los Angeles où on m’a dit qu’on pouvait trouver facilement du travail dans les studios de cinéma, mon rêve.

Au fur et à mesure que je dessine mon nouveau personnage, je sens grandir en moi une sensation angoissante, celle d’avancer dans une sombre impasse et de me dissoudre un peu plus à chaque pas.
« L’orphelin vagabond sans le sou dans sa quête du paradis hollywoodien… » J’ai un peu honte de servir de tels clichés à ce brave type, mais comment faire autrement ?

Cal a avalé sans difficulté ma série de banalités et nous avons quitté Electra l’un derrière l’autre, lui devant dans sa belle Olsdmobile et moi, vingt mètres derrière, dans ma rutilante Plymouth Valiant.
Nous arrivons dans les faubourgs d’Amarillo un peu avant 8 heures du soir. Le soleil n’est plus très loin au-dessus de l’horizon et ses rayons traversent mon pare-brise à l’horizontal. Ils ont failli m’empêcher de voir que la voiture de Cal a ralenti pour prendre une contre-allée qui mène à un motel.
C’est le Sleepy Hollow Howard Johnson Motel. Cal s’est arrêté au milieu du parking. Il est descendu de sa voiture pour venir me dire de l’attendre et puis il l’a reprise pour se rendre tout au bout du bâtiment derrière lequel il a disparu.

Le Howard Johnson de Sleepy Hollow ne ressemble pas beaucoup au Cove Creek Motor Inn de sinistre mémoire. C’est un long bâtiment sur deux niveaux, tout neuf.  Au rez de chaussée, la façade blanche qui donne sur le parking est trouée d’une alternance de portes bleu marine numérotées et de larges fenêtres au vitrage fumé équipées de rideaux intérieurs à large bandes verticales de couleur crème. A l’étage, le toit de couleur rouge brique déborde sur une galerie qui dessert la même alternance de portes bleues et de fenêtres sombres. Des emplacements de parking sont peints sur le sol devant chaque chambre. Quelques voitures, pick-up et camping-cars y sont garés. Au fond, le long d’un mur, deux distributeurs de Coca et un distributeur de glaçons. C’est donc ça, un motel, un vrai motel américain moderne, ce truc que nous n’avons pas encore en France et qui servira de modèle aux deux fondateurs inspirés de la chaîne Novotel.
Malgré l’heure, la chaleur est encore intense. Le soleil est rasant et la lumière est devenue rouge. Il n’y a pas souffle de vent. Dans mon champ de vision, pas un arbre, pas une herbe, pas un animal, pas un être humain. L’odeur du bitume surchauffé a envahi ma voiture. Elle devient vite entêtante. Au-delà d’une rangée de panneaux publicitaires qui séparent le motel de l’expressway, la Route 66 charrie ses camions et ses voitures qui disparaissent vers l’ouest dans un chuintement de pneumatiques. J’attends.
Cal a fini par réapparaitre, à pied. Il m’a rejoint dans ma voiture et nous avons contourné le bâtiment pour parvenir à un autre parking où je me suis garé à côté de l’Oldsmobile.

Je suis dans la chambre. Elle porte le numéro 201. Elle est grande et il y fait presque froid. Les rideaux sont tirés et quatre lampes de chevet allumées de part et d’autre de deux grands lits très hauts diffusent une faible lumière. Je vais à la fenêtre et ouvre les rideaux. Une lumière bleue très atténuée efface la lueur des petites lampes. A travers la vitre teintée, je peux voir le disque du soleil atteindre la ligne de l’horizon. Au loin, la terre, jaune et rouge, quelques carcasses de voitures, quelques buissons mais rien qui mérite le nom d’arbre ou même d’herbe. En bas, juste sous la fenêtre, il y a une piscine. Séparée du parking par une petite barrière blanche, elle est entourée d’un gazon synthétique vert citron parsemé de parasols et de chaises longues jaune vif. Une femme en maillot de bain est allongée sur l’une des chaises. Elle fume en lisant tandis qu’un enfant court et saute à l’eau, nage à la petit chien jusqu’à l’échelle de piscine, sort de l’eau, court le long du bord et saute à nouveau dans l’eau et puis recommence. On dirait qu’il crie, mais dans la chambre on n’entend rien, rien que le souffle puissant de l’air conditionné.
La valise de Cal est posée sur le sol, à côté de la mienne. C’est notre chambre, la 201.

Avant de redescendre passer des coups de fil, Cal m’a demandé si ça me posait un problème de partager une chambre avec lui, parce que « c’est plus économique, tu vois ?  »
Je crois que je n’ai pas pris de douche ni changé de vêtements depuis au moins quatre ou cinq jours. Alors je pense à la salle de bain moderne et propre qui m’attend, et puis aussi à la piscine. Et puis pourquoi cela me dérangerait-il ? C’est plutôt lui que ça devrait déranger, mais puisqu’il a la gentillesse de… Alors, je dis que « non, Cal, ça ne me dérange pas, pas du tout, c’est même très gentil de votre part… ».

A ce moment, je jure que je n’ai pas la moindre idée de ce que je réaliserai un peu plus tard. Je pense seulement que je ne peux pas m’offrir une chambre dans un Howard Johnson sans flanquer par terre mon budget pour l’été. Par ailleurs, je ne me vois pas demander à Cal de me payer une chambre pour moi tout seul. Cal a bien compris tout ça, et il est bien gentil de m’offrir de partager la sienne. Après tout, il pourrait tout aussi bien me dire de dormir dans la voiture… Alors, « non, Cal, ça ne me dérange pas du tout ».

A SUIVRE (oui, mais quand ?)

 

Dans le monde de l’édition et au dernier jour de cette année, les ventes suer Amazon.fr sont les suivantes :

Blind dinner :    46
La Mitro :    21
Histoire de Dashiell Stiller :    26
Bonjour, Philippines ! :    15
Histoire de Noël :    14
Total : 122

(Bon d’accord, mais il n’y a toujours pas assez d’avis sur Amazon)

                           

2 réflexions sur « Go West ! (16) »

  1. Bonne année Bruno, et merci pour ton commentaire. Ainsi donc tu auras coché toutes les cases : 5 livres, 5 commentaires. Bravo ! D’ailleurs, les ventes décollent que c’en est pas possible ! Sans parler des « Disparus de la rue de Rennes, qui ne vont pas tarder à débouler (le 1/02/2024). Et bon voyage aussi.

  2. Mon commentaire de l’Histoire de Noël a enfin été publié sur Amazon, après un interminable délai de mise en examen et de vérifications !
    Bonne année à tous les assidus lecteurs de ce blog !

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