Aventure en Afrique (45)

Pour nous, après une nuit à Arlit, c’est le départ l’Aïr : Chantal écrit dans son carnet : “16 décembre, levé 7h, départ à 10h30“Les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes, chacun dans son camion. Nous devons être au total une quarantaine, et une dizaine de militaires actifs. Dans notre camion nous découvrons des visages inconnus. Après présentations il s’avère que ce sont des enseignants coopérants militaires comme nous : nous ne nous sommes jamais croisés auparavant. Chez les coopérants techniques nous nous connaissons tous grâce entre autre au repas du dimanche soir au mess des officiers mais n’y avons jamais rencontré d’enseignants. Ils vivent dans leur collège, leur lycée, leur fac et n’en sortaient que peu. Leur épouse ou compagne sont également toutes dans l’enseignement. Ces coopérants sont engagés pour deux années scolaires. Nos chemins ne se sont croisés que lors de ce voyage : cela est dommage et regrettable car nous avons découvert en fin de notre séjour des gens passionnants.
Nous roulons sur une vaste plaine pierreuse, direction nord-est avec le massif de l’Aïr qui se détache au loin. Nous soulevons une énorme poussière. En tête du convoi le commande-car ouvre la route. Aux environs de midi nous pouvons observer avec surprise des mirages et avons l’impression de rouler dans de l’eau.
Les camions Willem ont à l’arrière un plateau sur lequel repose deux rangées de bancs dos à dos  parallèles à la voie. Les bancs sont constitués de lattes de bois aussi bien pour la partie siège que le dossier. Cela serait presque confortable sur une chaussée goudronnée, mais sur les pistes du désert c’est tout autre chose ! Au moindre choc, trou, caillou, nous nous retrouvons debout accrochés aux armatures de la bâche. Nous recherchons dans nos sacs: duvets et couvertures pour les placer sous nos fesses en guise d’amortisseurs.
En début d’après-midi, avant de pénétrer dans la montagne, les militaires fond un point radio comme tous les jours, en rentrant en communication avec la base de Niamey, pour donner notre position (en général hors-piste et la suite de l’itinéraire). Nous pénétrons dans une vallée avec en son milieu un oued à sec. Sur une falaise, nous pouvons observer des gravures rupestres, datant probablement du néolithique. La chaleur est importante, notre petit thermomètre affiche 400, mais il y a toujours un peu de vent qui crée de l’évaporation sur nos vêtements transpirants.
Nous arrivons vers 18h au campement d’Iférouane, un oasis en fond de vallée, composé d’un ensemble de paillottes. Un touareg, en notre honneur, sacrifie une chèvre. Nous passons à table; je trouve la viande pas assez cuite, mais j’ai surtout en mémoire le bêlement de cet animal, attaché par une patte arrière à un buisson, qui sentait la mort approcher. Il flotte l’odeur des entrailles encore fumantes de la bête qui gisent à 20m de là : futur repas des hyènes.
Après le diner nous visitons le campement voisin, réalisé dans les années 70 par l’agence de voyage La Croix du Sud dirigée par Louis-Henri  Mouren (Pharmacien, patron de Chantal. Cf.: Chap. L.-H. Mouren p: 35) avec de petites paillottes pour  deux personnes. Ce campement a accueillis des scientifiques, venus du monde entier lors de l’éclipse totale de soleil du 30 juin 1973.
Sur la  carte Michelin actuelle est symbolisé à Iférouane  un aéroport, à l’époque il n’y avait rien. A mon avis compte tenu du relief il ne peut s’agir que d’un petit terrain d’aviation.

      Le 17 décembre : levé à 6h30, nous sommes dans les camions à 7h15 pour aller voir une faille géologique. A 9 heures le guide touareg nous propose de nous enfoncer, à pied, dans la montagne. Ayant l’habitude de marcher en plein soleil j’arrive à le suivre. À un moment nous nous retrouvons seuls tous les deux, il me dit « tes prédécesseurs de l’armée française étaient de vaillants soldats très résistant comme les touarègues ».  Après avoir guerroyé pendant des décennies contre l’armée française, il s’est créé une sorte d’admiration réciproque.
« Quelle nostalgie s’empare de ceux qui ont partagé ou connu leur vie ardente et dure, lorsqu’ils constatent que notre repli de ces régions sous prétexte de décolonisation s’est accompagné d’un retour aux normes du passé ou, pire, la perte progressive de leur identité par ces tribus nomades fières et indépendantes qui étaient nos amis, qui nous appréciaient et qu’ont aimés des hommes tels que Ernest Psichari, Charles de Foucault, Mermoz et, plus proche de nous, Saint Exupéry ? » (Cf. : Histoire du Monde.net/Méhariste).
Nous avions longuement discuté avec un cousin par alliance avant notre départ au Niger: le capitaine Pascal Liguoro (†) qui avait commandé une compagnie de Méhariste dans les années 1955. Il était chargé de faire régner l’ordre sur les pistes sahariennes. Il nous avait dit avoir un chameau qui transportait sa bibliothèque. Il parlait des Touaregs avec un grand respect et admiration. Ceux-ci l’avaient même sollicité pour les représenter au parlement français mais il n’avait pas donné suite. Pascal faisait partie de ceux qui n’ont pas admis “La trahison” de de Gaulle envers ce peuple et a démissionné de l’armée Française à cette époque.
J’ai recherché l’histoire mal connue des relations difficiles entre la France et le peuple Touareg et ai trouvé un article de la revue AFRIQUE/hebdo du 8/04/2016 : Touaregs, origine de la révolte. J’en ai copié la majeure partie :
 « Des 1830, la pénétration française au Sahara bouleverse profondément la société touarègue. La fin de la traite des esclaves – une activité importante qui régissait, depuis de nombreux siècles les échanges transsahariens –, le contrôle des routes et la monétisation des échanges par exemple entraînent de profondes mutations dans la société touarègue. On assiste alors à la division des grandes confédérations touarègues et à l’apparition de multiples groupes autonomes…
…En 1902 la bataille de Tit, l’armée française affronte les touarègues du Hoggar et prend le contrôle de toutes les tribus de la région, soumettant en plus les touarègues de l’Ouest comme les Ifoghas en 1903 et les touarègues de l’Aïr avec l’occupation d’Agadèz en 1906. Cette tragédie pour les touarègues, entraîne l’anéantissement de leurs forces combattantes et la destruction d’une grande partie de la société traditionnelle, porte un nom : c’est ce que les touarègues appellent « tiwta », « le désastre », une période de chaos et de désarroi qui marque profondément histoire touarègue contemporaine et qui anime toujours l’esprit de nombreuses rebellions…
…La domination coloniale sur les populations du Sahara central provoque en 1916 une insurrection générale des touarègues contre la colonisation française, menée par Kawsen, un noble touarègue de la confédération guerrière des Ikazhazen de l’AÏr. Kawsen, marquée par plusieurs années d’exil dans l’est du Sahara, dans des zones non contrôlées par les Français, après avoir dû abandonner l’Aïr, s’emploie à organiser la libération des touarègues…
…Kawsen rassemble autour de lui de nombreux résistants provenant de toutes les catégories sociales, instaure des stratégies militaires de guérilla et libère la ville d’Agadèz le 13 décembre 1916. Face au succès et à l’audace de ces combattants, les armées françaises et anglaises renforcent leurs troupes et chassent les combattants touarègues d’Agadèz le 13 juillet 1917 et de l’Aïr le 25 mars 1918. Kawsen mènera encore de nombreux combats dans le Tibesti et le Fezzan et, traqué par des ennemis de plus en plus nombreux, il sera finalement tué par ses anciennes alliées turques en janvier 1919 à Gatoun, au sud de la Libye actuelle. La mort de Kawsen et la défaite des insurgés entraîne une sévère répartition qui n’est jamais parvenue à effacer, notamment au Niger, la forte image de ce héros de la résistance touarègue …
…À la fin de la période coloniale, les territoires sahariens et sahéliens des touarègues se retrouvent sur plusieurs nouveaux états : la Libye (1951), le Mali (1960), le Niger (1960), la Haute Volta (1960) et
l’Algérie (1962). Pour les touarègues, cette nouvelle division de l’espace et leur dépendance à ces jeunes pays les marginalisent. Avec les pays du Sud Sahara par exemple, les rapports dominants dominés sont inversés par rapport à ce qu’ils ont été dans l’histoire : les jeunes états sont dirigés par des ethnies (noires) qui dans le passé, ont été victimes des Touaregs. Tout cela ne se passe pas très bien les touarègues doivent se contenter d’un statut de minorité ou toute forme de contestation est durement réprimée… ».

Après avoir marché pendant plus d’une heure dans une étroite vallée, je dis au guide « J’entends parler devant nous plus loin, tu entends aussi ? »
– « Oui ce sont nos ancêtres qui se parlent et l’écho nous transmet le son ».
-« Tu comprends ce qu’ils se disent?».
-« Non c’est une langue ancienne qui ne se parle plus ».

Je n’ai pas eu d’autres explications ! Difficile à concevoir pour un esprit
cartésien.

A SUIVRE

Une réflexion sur « Aventure en Afrique (45) »

  1. Alors, en hommage à Georges Brassens, la légende pourrait être « Corne d’Aurochs ».
    Mais paix à son âme.

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