Les corneilles du septième ciel (38)

Chapitre 38

L’inspecteur B. Body avait perdu de vue depuis longtemps son camarade devenu une icône de l’intelligentsia littéraire germanopratine. Ils ne s’étaient revus que de loin en loin aux fêtes de bienfaisance de leur Ecole où ils avaient échangé quelques souvenirs mémorables de leurs chasses en forêt de la Palmyre. Bien sûr, au moment de la disparition de Lorenzo, il ignorait comme ses collègues l’horrible chantage que ce dernier exerçait sur lui. C’est grâce aux confidences bienveillantes de Louis-Charles qu’il fut mis sur la voie en apprenant les zones d’ombres du passé de l’écrivain. A l’époque de ses débuts en littérature, Ph. montrait tout ce qu’il écrivait à son ami Louis-Charles qui, bien que n’étant pas un littéraire, fut à plusieurs reprises surpris par certaines similitudes entre ses romans et d’autres œuvres comme par exemple entre sa Bicyclette Rose et Autant en emporte le Vent. A son avis, il y avait une forte probabilité que Blind Dinner soit aussi un plagia.

C’est à l’occasion de leur rencontre en gare de Poitiers due aux événements récents que Louis-Charles fit part à Bruno de ses doutes. Malheureusement, il ignorait le titre du roman de Lorenzo qu’il imaginait être l’origine du succès de Ph.. Tous les deux étant bilingues et anglophiles, ils plaisantèrent à la terrasse du café de la gare à propos de Blind Dinner qu’ils s’amusèrent, les demis de bière aidant, à traduire en français avec des résultats différents. Pour l’un, ce fut un Souper d’Aveugles et pour l’autre un Bal Masqué. L’inspecteur Bruno Body qui n’en était pas à sa première intuition fulgurante pensa sans trop y croire que c’était peut-être une bonne piste de recherche. Il se précipita dans la première librairie ouverte pour acheter un exemplaire de Blind Dinner auréolé de son récent Prix Goncourt. Il souhaita aussi acquérir un ouvrage de Lorenzo dell’Acqua mais la vendeuse ne le connaissait pas et croyait qu’il s’agissait d’un chanteur d’opéra.

En se baladant un soir de printemps sur les quais de la Seine, Bruno découvrit dans le fouillis d’un bouquiniste une boîte en carton sur laquelle était inscrit au feutre rouge « Tout à 1 euro ». Il y dénicha le fameux essai de Roland Barthes qui défraya la chronique au début des années cinquante : « Jeux de mots, maux de Je ». Il adorait Roland Barthes qu’il trouvait aussi drôle que l’Almanach Vermot mais pour intellectuels de gauche. Heureux de l’acquisition de ce trésor introuvable depuis que son auteur l’avait renié, il allait en régler le montant quand il aperçut dans la même boîte en carton deux titres qui le sidérèrent : il s’agissait, mais vous ne me croirez pas, de « Bal Masqué », l’autobiographie d’un célèbre tennisman dont nous tairons le nom en raison de ses lacunes en orthographe, et du « Souper d’Aveugles », ce roman oublié de Lorenzo dell’Acqua dont Louis-Charles avait soupçonné l’existence. Son intuition ne l’avait donc pas trompé.

En le parcourant à son retour chez lui, il constata que Ph. avait purement et simplement traduit le titre mot à mot. En page V, il fut abasourdi par ce passage où il suffisait de remplacer Koochie d’Afghanistan par Ragondin des Andes pour obtenir le même texte que celui de Lorenzo. Jugez-en plutôt par vous-même :

« Un Koochie d’Afghanistan, l’interrompt Christiane. Quatre-vingt kilos, quatre-vingt-dix centimètres à l’encolure… une bête splendide. Il vous tue un mouton en moins de trois secondes… il déteste les moutons ».

« Un Ragondin des Andes, l’interrompt Christiane. Quatre-vingt kilos, quatre-vingt-dix centimètres à l’encolure… une bête splendide. Il vous tue un mouton en moins de trois secondes… il déteste les moutons ».

Sa conviction était faite. Il s’empressa d’appeler Louis-Charles pour l’informer de sa trouvaille. Ce dernier lui confia qu’il ne s’agissait pas de son premier forfait. Déjà, tout petit à Saint Brévin, il avait plastiqué de nuit son gigantesque château de sable, une réplique au 1/43 ème  de l’Alhambra de Grenade, pour gagner le concours et les trente pots de confiture Materne qu’il offrit à sa copine, la petite Annick Cottard dont Louis-Charles était secrètement amoureux. A sa décharge, c’était bien avant qu’elle atteigne le quintal mais d’après Louis-Charles il y avait fort à parier que ce cadeau bien mal acquis ne fut pas étranger à sa dérive pondérale.

Ni une ni deux, ils appelèrent leur amie Fabienne Pascaud ravie de pouvoir enfin se venger du Prix Goncourt qui avait refusé une interview au prétexte que son journal, Télérama, était (je cite) un ramassis de journalistes snobinards à la solde de dictateurs néostaliniens. Ph. était coutumier de ces avis péremptoires et outranciers qui en avaient choqué plus d’un par le passé (dont moi).

A SUIVRE 

NOTE DE L’ÉDITEUR

Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

3 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (38) »

  1. « Bravo Philippe pour ton honnêteté et ton humilité »
    signé Lariégeoise

  2. Lorenzo dell’Acqua, très touché par ce compliment indirect, remercie sincèrement les lecteurs convaincus qu’il était un pseudonyme de Philippe Coutheillas.

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