Lettre à Louise Colet du 23 juillet 2023

Ma chère Louise,

Les difficultés croissantes que je rencontre à écrire et les brusques et brefs emballements de mon stylo m’ont fait réaliser que, de plus en plus, je suis poussé par le texte. Je dis bien ‘’poussé“, pas mené ni conduit, poussé. Je veux dire par là que c’est la dernière phrase que j’ai écrite qui pousse la suivante ; elle la prescrit au point de presque la déterminer. À son tour, la suivante viendra pousser sa suivante. Et ainsi de suite. 

Bien sûr, parfois, j’ai une idée générale de ce que je voudrais écrire, par exemple, raconter un évènement, drame ou comédie, uniquement par le moyen d’articles de presse, ou bien écrire une parodie de notice biographique ou un pastiche d’une chronique de Vialatte, mais jamais, presque jamais, je n’ai d’idée sur l’histoire que je vais raconter, sur le fond du texte que je voudrais écrire. En fait je suis motivé, guidé, conduit, tiré par la forme et, en toute logique, ce qui déclenche vraiment l’écriture, c’est une première phrase. Et c’est parti ! Ce n’est qu’ensuite que j’irai au fond.

Prends cette phrase par exemple :

“Quand arrivent les premiers jours d’octobre et que les feuilles des platanes de la place Honoré Panisse commencent à brunir, il fait encore assez doux pour prendre son petit café matinal à la terrasse de chez Fernand. Fernand, c’est l’heureux propriétaire du Café-Tabac…“

Ou bien cette autre : 

“C’était un jour qu’était pas fait comme les autres. Je l’avais bien senti dès le début, moi…“

Eh bien, dans ces deux cas, oui, c’est parti ! Il se trouve, et ce n’est pas un hasard si je les ai choisis, que ces deux incipits m’ont donné chacun la plus grande des satisfactions car les textes qu’ils ont ouverts ont été écrits dans la facilité et l’euphorie. C’est là une joie assez rare pour être appréciée et soulignée. 

Mais ne va pas croire, ma chère Louise, qu’à chaque fois, la pompe de mon stylo est amorcée définitivement par ces premiers mots. Il arrive que mon stylo tombe en panne, et plus souvent qu’à mon tour. Dans ces cas-là, après avoir tenté pendant une heure ou deux de changer un verbe, une virgule, un temps de narration, de permuter deux mots ou de supprimer une subordonnée, je range le résultat dans mes “travaux en cours“ et je passe à autre chose, l’écriture d’un autre texte, la peinture d’un volet, la sieste, n’importe quoi. 

Cette méthode, je ne l’ai pas choisie, tu t’en doutes, mais je ne peux que très rarement procéder autrement. Outre les pannes épisodiques, elle présente d’autres inconvénients dont celui de me demander un travail important de peaufinage, fignolage et rabotage, bref de modification de la phrase comme je te l’ai dit il y a quelques lignes, car j’espère toujours mais souvent en vain, que la phrase modifiée va provoquer un réamorçage de la pompe de mon stylo. 

C’est ce que j’ai fait une bonne partie du temps aujourd’hui sur cette histoire de Bernard Ratinet perdu dans la neige. Tu ne le connais pas encore, ce Ratinet-là, et pour le moment, il n’est pas en état décent, mais un jour, peut-être, fera-t-il enfin surface… Un jour peut-être, mais pas demain, parce que mon stylo nous a laissé Bernard et moi en panne sur l’autoroute Lyon-Turin en pleine tempête de neige. 

Voilà pourquoi j’ai commencé cette lettre. Ne te dis surtout pas que je t‘écris quand je n’ai rien d’autre à faire. Dis-toi plutôt que tu m’inspires. 

Ton Gustave
A Champ de Faye, le 23 juillet dernier

7 réflexions sur « Lettre à Louise Colet du 23 juillet 2023 »

  1. Très joli, Lorenzo, d’accord, très joli… Tu prouves s’il en était encore besoin ta nouvelle facilité d’écriture, ainsi que ton ancienne addiction aux calembours.
    Mais je voudrais quand même rappeler que les commentaires sont mis à disposition des lecteurs pour développer, approuver ou contester le sujet de l’article commenté.
    Dans ce commentaire, je ne vois rien de tout cela, sinon le désir de prolonger les Corneilles du 7eme ciel en les déguisant en chronique flaubertienne. « Hors sujet », comme disait monsieur Colin, prof de français de seconde C à l’école Massillon.

  2. Ma chère Louise

    Aux difficultés croissantes que je rencontre à écrire viennent s’ajouter le peu de distractions offertes par le charmant village dans lequel je séjourne depuis maintenant six mois à ma propre demande. Ici, le courrier ne nous parvient que les jours où le gué du Père Ménard est franchissable par la malle-poste ce qui est rare en raison des inondations endémiques dans cette vallée truffée de marécages. Imaginez-moi assis sous la charpente ancestrale d’un grenier aménagé à mon intention, sur une chaise inconfortable que, par devoir ou par raison, je ne quitte pas de la matinée, immobile tel un paralytique devant une feuille blanche que les nuages assez nombreux par ici animent parfois de leurs ombres grises. Vous rendez-vous compte de mon désarroi, ma chère Louise ! Pas la moindre ligne correcte depuis les fiançailles d’Emma ! Voilà, hélas, la teneur de mon austère quotidien. Par bonheur, nous fûmes invités hier à visiter la demeure des châtelains dont madame la baronne venait de transformer en chambre d’hôtes l’étage de l’aile sud situé au-dessus de la Grande Galerie où siègent, tels ceux d’illustres empereurs romains, les Portraits de la famille de Coutheillac. Ce sont ses relations dans les salons littéraires de la capitale qui lui avaient inspiré cette idée d’avant-garde. La vérité oblige à dire que ces esprits progressistes lui avaient en réalité conseillé d’installer une auberge de jeunesse pour accueillir pendant le vacances scolaires les enfants de cette région déshéritée de l’est de la France. Elle n’en fit qu’à sa tête ce qui nous valut de visiter son admirable demeure au passé riche et bien fourni. Elle regorge en effet de tableaux de maitres, de meubles d’époque, de céramiques chinoises, de plafonds à caissons qui éblouirent nos yeux de pauvres écrivains comme vous et moi. Nous étions nombreux réunis grâce à la générosité de nos hôtes dans la grande salle de bal sous les tapisseries chatoyantes des Gobelins. A notre grande surprise, les convives ne provenaient pas tous d’Extrême Orient comme en faisait courir la rumeur un journaliste local peu apprécié de nos châtelains, un certain Lorenzo, que le baron Philippe, d’habitude mesuré dans ses propos et ses critiques, avait surnommé « cette langue de putois de Lorenzo ». Bien au contraire, ma chère Louise, il n’y avait dans cette assemblée choisie et relevée ni chinois, nippons, ni chaussées.
    Ton Gustave,
    à Chants de Fées, le 6 septembre 2023

  3. Un nouveau commentaire laconique et sibyllin…
    quel nouveau jeu ? où ? quand ? comment ?
    Les anglais diraient : would you please elaborate ?
    Je dis plus simplement : je n’ai pas compris.

  4. Cher monsieur Jim,
    Votre lettre n’aurait pas pu trouver une oreille plus attentive que la mienne, si vous me pardonnez cet anachronisme qui consiste à parler d’oreille quand il faudrait parler d’yeux. En effet, sous le sceau du secret et avec l’accord l’intéressé, je suis en mesure de vous confirmer ce qui était déjà annoncé à demi-mot dans le droit de réponse des Ratinet, paru dans notre journal il y a quelques jours, à savoir qu’une aventure dans laquelle Bernard Ratinet jouera le premier rôle est en cours d’écriture.
    Commencée il y a plus de deux mois, ce qui devait être une brève nouvelle en devient une longue, à moins que chaque phrase écrite faisant naître la suivante, selon l’habitude (la méthode ?) de notre Gugus, cette longue nouvelle ne se transforme en court roman.
    Cette œuvre majeure marquera le retour tonitruant d’un écrivain autrefois prolixe qui, déçu par le faible tirage de ses œuvres les plus réussies, avait décidé de mettre sa carrière romanesque en sourdine au profit de la rédaction d’une monographie sur le syntagme figé dans l’oeuvre d’Annie Ernaux. Je suis assez fière d’être celle qui a su dissuader Gu, comme je l’appelle dans l’intimité, de persévérer dans ce sens en attirant son attention sur l’ampleur cyclopéenne de la tâche qui l’attendait.
    On devrait pouvoir espérer le premier épisode de cette aventure de Benard Ratinet avant l’automne. Cependant, ni l’auteur ni moi-même ne peuvent prendre d’engagement sur la date effective. On sait en effet que les délais d’écriture de Gu sont imprévisibles, tant il corrige, rectifie, biffe, annote, remplace, simplifie, augmente, intervertit, chiffonne, découpe et recolle ses premiers jets tant qu’il n’est pas entièrement satisfait par la sonorité, la clarté et la concision du texte.
    Reste aussi à trouver le titre de cette aventure. Je sais que Gu hésite actuellement entre plusieurs possibilités. A l’heure actuelle, il semble que ce soit « Fait chier, Gisèle ! » qui tienne la corde. Mais Gu est conscient que la vulgarité de l’expression risque de dissuader plus de 3 lecteurs et de lui faire perdre ainsi le tiers de sa clientèle. Alors, on pourrait voir apparaître un titre plus convenable comme « Bernard dans le tunnel ».
    Vous voyez donc, cher Monsieur Jim, que vous ne perdez rien pour attendre.
    Louise C.

  5. Chère Louise Colet,
    Les nouvelles circulent vite parmi les amis de Gugus. Alors, c’est vrai, Gugus va nous écrire une nouveau Ratinet? Jim est aux anges, faut dire qu’il ne lui en faut pas beaucoup, déjà qu’il s’appelle Jim Mini avec sa tête de cricquet tout juste digne à figurer dans une histoire de Pinocchio. Moi c’est Paddy Long Legs, j’ai eu mon heure de gloire dans un film avec Fred Astaire et Leslie Caron. C’est mieux que Pinocchio tout de même. Il faut que vous encouragiez Gugus, Ratinet à l’étoffe des héros, que Gugus en fasse ce que Jacques Prévert a fait de Ducon dans un simple poème. C’est pas difficile tout de même!
    Au plaisir chère Louise Colet.
    Paddy

  6. Chère Louise Colet,
    Mon nom est Jim, vous ne me connaissez pas. Un hasard, pas tout à fait tout de même, m’a permis de lire la lettre que vous a adressé mon ami Gustave. Lui on l’appelle entre amis Gugus, il ne m’en voudra pas de vous écrire ces mots: de grâce Louise, encouragez Gugus, par tous les moyens, à nous offrir une nouvelle histoire de Bernard Ratinet cette fois. Ratinet fait partie des seconds rôles dans les histoires de Gugus, pas le héros mais toujours un second rôle, un rôle qui en réalité offre la substance indispensable à l’histoire, le décor si j’ose dire. Louise, je vous implore, faites que Bernard Ratinet devienne enfin sous la plume acérée de Gugus le héros d’une nouvelle histoire, il le mérite après tant d’années.
    Merci, vous avez toute ma sympathie.
    Jim

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