Polémique et censure – Aphorismes et citations

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« A propos d’une polémique d’une rare violence qui a déchiré il n’y a pas si longtemps les pages d’habitude bienveillantes du JdC, j’ai cherché quelles étaient les raisons de ma position non pour la justifier mais pour tenter de l’expliquer. Je rappelle que mon avis sur le film de Claude Sautet, César et Rosalie, m’avait valu une censure certes purement morale mais dont j’ai bien du mal à me remettre. (…)»

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Polémique d’une rare violence.. censure… j’ai bien du mal à m’en remettre… On pourrait presque croire que c’est RJR qui a signé ces mots. Eh bien non, car c’est ainsi que commence la chronique de Lorenzo dell’Acqua qu’il a intitulée « Les choses de l’avis ou Les films vieillissent-ils mal ? »

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Commençons par la polémique, voulez-vous ?

Si je me souviens bien de la polémique alléguée, elle avait débuté avec une contestation de Lorenzo de mon opinion plus que favorable sur le film de Sautet César et Rosalie. Monsieur dell’Acqua pensait qu’il y a cinquante ans, les gens ne vivaient pas comme le montrait Sautet, qu’aujourd’hui, de toute façon, on ne vivait plus comme ça et que, par conséquent, le film n’était pas intéressant. J’argumentais du contraire, affirmant notamment avoir rencontré personnellement au moins un individu du type de César et rappelant que le fait qu’une femme soit partagée entre deux hommes était de toutes les époques. J’aurais pu ajouter que cette façon de voir les choses pouvait aussi bien conduire à mettre Madame Bovary, Lucien de Rubempré et la Princesse de Clèves au placard, car plus personne ne vit comme ça aujourd’hui. C’est à cet échange d’arguments que Lorenzo fait référence en parlant de polémique.

Selon l’illustré Larousse, une polémique,  c’est un débat plus ou moins violent, vif et agressif, le plus souvent par écrit. Selon le même, une discussion, c’est un échange de propos, un débat au cours duquel deux ou plusieurs personnes examinent une question.
Il est clair que notre échange rappelé ci-dessus et que vous pouvez retrouver dans ma Critique aisée n°211 du 1/04/2021 relève de l’exposé et de l’examen de points de vue contraires et non de la polémique.
Bien sûr, de la discussion peut naître la polémique. Ça peut en être le début, mais c’est loin d’être la règle et, en l’occurrence,  ça n’a pas été le cas. (Bien sûr, à l’issue de la discussion, chacun est resté sur ses positions, mais ça, c’est la règle absolue.)

D’abord, la polémique est de mauvais gout, car elle est fille de la passion incontrôlée et, on le sait, la passion incontrôlée mène à la méchante ironie, la méchante ironie aux gratuites insultes, les gratuites insultes aux sacrés mensonges, les sacrés mensonges aux écarts de langage, et les écarts de langage, ce n’est pas d’un gentleman. Or, ce qui n’est pas d’un gentleman est de mauvais gout, tous les gentlemen savent ça.

Ensuite, la polémique est mauvaise conseillère. En effet, c’est la colère qui la fait naitre avec la frustration de constater que l’on n’arrive pas à rallier l’autre à sa position par des arguments logiques. À bout d’arguments logiques, le polémiqueur se laisse envahir par la colère. Il est alors immanquablement amené à dire des conneries. Or, il n’est pas conseillé de dire des conneries. Jamais.

Enfin, la polémique est détestable, surtout quand elle est affligée de son syntagme figé habituel : « d’une rare violence ». La polémique, c’est l’abandon des arguments de la raison pour les coups, qu’ils soient bas ou hauts, francs ou subtils, qu’ils visent le corps ou bien l’esprit de l’adversaire.

Tout cela n’a évidemment rien à voir avec l’échange de vues que nous avons eu. Non, nous n’avons pas polémiqué. Alors, s’il vous plait, ne me parlez plus de polémique, Victor !
(Celle-là, je me suis dépêché de la faire avant que certain ne me la prenne.)

La censure, à présent.

Censure : Action de censurer, d’interdire tout ou partie d’une communication quelconque. 
Entre le 26 novembre 2013 et le 30 mai dernier, le Journal des Coutheillas a reçu 9849 commentaires. Tous ont été publiés, intégralement, sans modification d’aucune sorte. Même les fautes d’orthographe et de syntaxe ont été conservées.
RJR qui, comme Pierre qui criait trop souvent au loup, criait à la censure. Et comme disait Felix-Chapel-Michel-Simon dans Drôle de drame, « à force de dire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver ». La preuve : il a fini par se censurer lui-même en quittant le journal.

Donc, de censure, point ! Alors, qu’on arrête de me renvoyer la censure dans la figure. (J’ai eu comme un pressentiment : celle-là aussi, il fallait la faire tout de suite.)

Et puisque j’en suis à répondre publiquement à des messages privés de Lorenzo (lui-même ayant franchi depuis longtemps ce Rubicon par le truchement de cette histoire de corneilles, auto-fiction dont les clés ont la transparence du verre), je voudrais revenir sur l’un de ses récents mails dont voici un extrait :

« Contrairement aux idées reçues, j’ai une grande admiration pour les aphorismes et je ne considère pas du tout qu’ils tiennent lieu de culture à ceux qui en manque. Je pense même exactement le contraire : l’aphorisme est l’expression la plus intelligente, la plus sensible et la plus aboutie de l’homme. »

Au risque de paraitre ennuyeux, on rappellera quand même ce qu’est un aphorisme : une phrase simple et concise qui exprime en quelques mots une vérité fondamentale. A titre d’exemple, on citera ici quelques-uns de  mes aphorismes favoris : « L’éléphant est irréfutable » (Alexandre Vialatte), « La littérature ne périt pas parce que personne n’écrit, mais quand tout le monde écrit » (Nicolas Gomez Davila) » et« ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα »(Socrate).

Si je ne suis pas certain que les idées reçues considèrent que les aphorismes tiennent lieu de culture à ceux qui en manquent, on ne peut qu’être d’accord avec le jugement de Lorenzo sans toutefois aller jusqu’aux superlatifs employés. Les aphorismes sont en tout point admirables ; ils sont à la pensée ce que les haïkus sont à la poésie (sans leur hermétisme).
On pourra tout d’abord remarquer que ce n’est pas parce que l’aphorisme est admirable et révélateur chez celui qui l’a créé d’un esprit fin et synthétique que les aphorismes en général ne peuvent pas, selon les idées reçues, tenir lieu de culture à certains de ceux qui vont les répétant. Mais passons.
Remarquons ensuite que l’aphorisme a ceci de commun avec l’alcool : si son usage modéré (et de préférence exceptionnel) améliore souvent la qualité d’une argumentation (ne me dites pas que vous ne vous sentez pas plus intelligent après une petite coupe de champagne), l’usage intempérant de citations rend vite la conversation ennuyeuse.
Chez l’individu moyen, plus que d’un manque de culture, la citation trop fréquente d’aphorismes peut provenir d’une tendance au pédantisme, souvent sous-tendue par le désir de briller, ou de l’incapacité à penser par soi-même, généralement provoquée par un manque de vitamines. Comme disait le poète : « L’art de la citation est l’art de ceux qui ne savent pas réfléchir par eux-mêmes« . Et si je cite Voltaire, j’espère que vous comprendrez que ce n’est pas par pédantisme, mais parce qu’en une courte phrase, Voltaire en dit autant et même bien davantage que moi en une centaine de mots. Et ça, c’est l’essence même de l’aphorisme.

La prochaine fois, je vous parlerai du cousin de l’aphorisme : le proverbe. Mais ce n’est pas pour tout de suite, Dieu merci !

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19 réflexions sur « Polémique et censure – Aphorismes et citations »

  1. @ Jim : ta définition du calembour empruntée à Victor (Hugo, le vrai Victor) convient très bien au gastroentérologue.

  2. J’ajoute que mon calembour précédent sera peut-être jugé Misérable de lapin, à la carte du jour avec un Sautet d’agneau au curry Zotto von Schtroumpf.

  3. Le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, dixit Victor Hugo élan.

  4. Mon calembour est une synthèse parfaite et une critique cocasse du film de Sautet qui montre les conséquences de son taux d’androgènes excessif sur le comportement de César et la vie morne et banale style roman-photo pour midinettes de Rosalie sa maîtresse.

  5. Si ta question s’adressait à moi, je te répondrais que les titres de ces films qui n’existent pas sont des calembours d’une extraordinaire drôlerie.

  6. Que veux-tu dire exactement par là ? Je ne connais pas ce film…

  7. En introduisant à contre-cœur dans mon texte ce calembour qui, quand on parle de polémique, met inévitablement le dénommé Victor à contribution, je pensais éviter à mes lecteurs-commentateurs d’avoir à le faire. Eh bien je me trompais. Il a été repris, inévitablement.
    Ce qui me conduit à m’étonner que mon autre tentative qui concernait le renvoi de la censure n’ait pas eu de suite.

  8. De Claude Sautet, je suis d’accord avec Mike, je préfère : « Les Choses de César et la Vie de Rosalie ».

  9. Paul et Mick, Victor et les autres, ça me rappelle un film formidable de Sautet (!) sur l’amitié au delà des personnalités, Paul Vincent François et les autres, alias Yves Gérard Michel et Serge, ce dernier ayant toute ma sympathie née de sa chanson « ce soir, je bois » en rapport avec son rôle.

  10. @Jim: Moi aussi j’ai bien connu Paul et Mick mais il y avait aussi avec eux Victor avec lequel ils formèrent un formidable trio qui côtoya les sommets.

  11. @Jim. Merci de tes encouragements à continuer ces provocations volontairement exagérées.
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  12. Paul et Mick sont deux vieux copains que nous retrouvons souvent dans notre cercle d’amis. Paul et Mick, inséparables depuis toujours, ne s’entendent sur rien, pire que chien et chat, si l’un critique la Mairie de Paris, l’autre la défend, si l’un approuve les films de Sautet, l’autre les démolit, etc…cte. Entre amis quand ils sont là, rapidement tel dira avec exaspération « ça y est les Paul et Mick recommencent », ou encore avec amusement « sauve qui peut, aux abris », une autre dira dans sa langue natale « they’re at it again ». En réalité ces Paul et Mick nous distraient et pimentent, parfois les explosent, les blind dinners soporifiques.

  13. Ah, une citation, de Jean Genet même! C’est quoi déjà qu’il disait Voltaire à propos de l’art de la citation?
    PS: 6 fois moins cher que La Mitro, ouais, peut-être, mais quand même au prix d’un kilo de sucre du Surinam acheté par Sassi Manoon.

  14.  » Écrire, c’est lever toutes les censures « .
    Jean Genet

  15. Il s’agissait d’une allusion raccourcie au Petit Larousse illustré, qui trônait sur une étagère de ma chambre de la rue Bezout et qu’on peut toujours acquérir pour la somme faramineuse de 32,95€, environ 6 fois plus cher que La Mitro, mais beaucoup moins rigolo.

  16. Du fond de la classe où je me trouve habituellement cantoné, je lève mon doigt timidement pour oser poser une question qui me tient à cœur par souci de clarification à propos de, je cite, « l’illustré Larousse » évoqué au début du deuxième paragraphe consacré à la polémique: s’agit-il d’un illustré comme on appelait autrefois les publications pour enfants telle Cœur Vaillant par exemple, ou bien faut-il lire « l’illustre Larousse », illustre certes mais comportant aussi des illustrations ça et là? L’usage incontrôlé d’un accent aigu est déroutant, le docteur Folamour ne le supporterait pas, moi non plus, scrogneugneu!

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