Les corneilles du septième ciel (26)

Chapitre XXVI

Comme s’y attendent ceux qui ont eu la gentillesse de lire les chapitres précédents, la relation de Françoise et Pierre devint de plus en plus intime. Sans qu’il soit nécessaire de se livrer à des descriptions triviales au risque de décevoir certaine abonnée pyrénéenne, même les moins perspicaces auront deviné en les voyant enlacés que leur amitié n’en était déjà plus une. Quel nom donner à ce moment irréel que nous avons connu, au moins une fois pour les plus chanceux, où l’on sent que notre vie est en train de basculer vers un avenir inespéré ?

Pour gagner du temps, il n’y aura donc pas de chapitres consacrés aux ébats nocturnes, et pas seulement nocturnes, des deux jeunes tourtereaux. En plus d’une relation physique qui s’épanouissait de jour en jour, ils avaient la chance de bien s’entendre au quotidien. L’achat d’un steak haché plutôt que d’un dos de cabillaud ne leur posait aucun problème métaphysique. Pour le vin, Françoise était ignare et Pierre jouait sur du velours. Il lui fit découvrir des merveilles dont elle oubliait immédiatement les noms en raison de son manque d’entrainement. Leur idylle intriguait les connaisseurs parce qu’ils ne se ressemblaient pas du tout. Ils étaient même à l’opposé l’un de l’autre : elle, pragmatique, pour ne pas dire pinailleuse, lui, idéaliste, pour ne pas dire à côté de ses pompes. Mais ainsi va la vie et leurs différences furent la raison de leur bonheur. Au départ, sur la petite barque du marais, leur rencontre avait-elle été un coup de foudre ? A cette époque, Françoise avait des motivations peu sentimentales car, l’âge venant, elle ne supportait plus ses soirées solitaires. A cette époque aussi, elle avait oublié ses années d’errance sentimentale. Son psychanalyste en avait attribué la responsabilité à l’affreuse zigounette flasque de Bernard et au visage inhumain du poilu agonisant sous la fenêtre de sa chambre à Joigny.  Et il y avait de quoi ne pas s’en remettre ! Lui, de deux ans plus jeune qu’elle, souffrait d’un retard qu’il jugeait insurmontable sur la plupart de ses amis mariés et déjà pères d’un ou deux enfants. Ah, les enfants, c’était un monde dont il rêvait ! Il savait que sa passion était une réaction à sa propre enfance passée à côté d’un père terrorisant et enfermé du matin au soir dans ses pensées. Certes, sa mère avait compensé au-delà de l’imaginable ce manque élémentaire d’affection, mais la bienveillance paternelle découverte dans d’autres familles lui avait cruellement manqué. Sans la moindre idée préconçue, il élèvera ses enfants de manière diamétralement opposée à l’éducation qu’il avait reçue chez lui. Certains diront que ce n’est pas une bonne solution mais ce n’est pas le propos d’un conte de fées.

Françoise et Pierre eurent très tôt l’intuition que leur complicité, psychologique et physique, viendrait à bout de toutes les difficultés de la vie. Ils ne croyaient pas si bien dire … Ils se chamaillaient parfois, pour des broutilles comme le choix d’une place de parking ou les économies d’électricité, mais, pour les choix fondamentaux, ils étaient toujours d’accord. En toute logique, sur ces bases solides, ils décidèrent, un soir où ils avaient un peu abusé du Haut-Poitou, de se marier. Quelles ne furent pas la joie de la maman de Françoise et la tristesse résignée d’Annick ! Les parents de Pierre s’inquiétèrent de leur différence d’âges (deux ans) ce qui lui sembla non pas dérisoire mais stupide. A leurs arguments d’un autre temps, il répondit : « C’est comme ça, non négociable ».

Continuer à vivre à Poitiers, telle était la première question qui allait se poser au jeune couple.

A SUIVRE

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