Les corneilles du septième ciel (13)

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(…) Pris de court et parant au plus pressé, Edward envisagea de lui dire des répliques cultes du cinéma bien qu’aucune ne lui sembla adaptée, comme  « T’as d’beaux yeux, t’sais ? » d’autant que Françoise portait des lunettes de soleil. « Atmosphère, atmosphère … » collait mieux à son dépaysement intellectuel dans ce lieu, mais « C’est lourd, soit, mais c’est lourd » avait le mérite d’être décalé et assez spirituel à condition que son gibier ait eu connaissance de ce chef d’œuvre du septième art sorti sur les écrans plus de cinquante ans auparavant ce qui, vu sa jeunesse, n’était pas sûr. Sans avoir encore trouvé la réplique la mieux adaptée à cette attaque surprise, Edward ne put que balbutier d’une voix chevrotante :

– Non, monsieur.

Chapitre XIII

Françoise n’en revenait pas de son audace. Elle avait abordé un homme, qui plus est d’âge mûr, telle une courtisane à la recherche d’un vieux gigolo pour l’entretenir ! Dans ses années-là d’avant le féminisme, une telle attitude relevait de la débauche ; aujourd’hui, cette démarche serait considérée comme une réhabilitation de la dignité de la femme. Qu’avait bien pu en penser sa victime ? Pour excuser sa méprise, elle avait invoqué sa ressemblance avec Didier Blonde. Il ne lui en tint aucune rigueur et lui proposa même de prendre un verre pour parler de son auteur favori avec lequel il partageait le goût des terrasses de cafés. Edward avait lui aussi beaucoup aimé Leïlah Mahi qu’il considérait comme son chef d’œuvre. Il reprochait néanmoins à son auteur de ne pas être enclin à la fiction ou de ne pas en faire l’effort : il n’écrivait des récits qu’à partir d’un fait réel et n’en inventait jamais la totalité.

Au moment des présentations, Edward avait eu la délicatesse de lui demander qui elle était et d’où elle venait. De son côté, il l’avait rassurée en lui affirmant que lui aussi, comme Didier Blonde, était romancier. Françoise le questionna sur ses livres qu’elle avait un peu honte de ne pas connaître. Ce n’était pas sa faute car il signait ses ouvrages sous un pseudonyme. Quand il lui révéla son nom d’auteur, elle eut la surprise de découvrir assis devant elle, en chair et en os, le célèbre Philippe Coutheillas, l’écrivain des jeunes de 7 à 77 ans comme l’avait surnommé une critique littéraire de Télérama. Sans le savoir, elle disposait d’une seconde excuse. Afin de préserver sa vie privée, n’était connue de lui qu’une seule photographie prise pendant son service militaire sur la Jeanne d’Arc ou à un bal costumé. Il y portait une fine moustache blonde à la mode à cette époque et un béret blanc avec un pompon rouge posé de travers sur son crâne encore chevelu. D’un commun accord pour des raisons commerciales mystérieuses, ses maisons d’édition ne la diffusaient qu’avec parcimonie, c’est-à-dire jamais. De toute façon, même ceux qui avaient admiré ce portrait flatteur n’auraient pu reconnaître le futur Prix Goncourt.

Philippe (ou Edward), d’un naturel assez bavard, répondit volontiers aux questions de Françoise sur son métier. Au début, il avait été influencé par des écrivains au style novateur comme Céline et Hemingway, mais il se situait, non par modestie mais par lucidité, plutôt à mi-chemin entre Frédéric Dard et Daniel Pennac. Ces deux auteurs avaient donné au langage parlé peut-être pas ses lettres de noblesse mais une notoriété indiscutable. Il devait ses premiers succès littéraires aux aventures de l’inspecteur Labiche qui furent traduites dans plus de cinquante pays. Françoise les connaissaient toutes et cita plusieurs titres d’un humour potache dont il était assez fier : Labiche ne fait pas le moine, Le fan de Labiche, Labiche fait dodo … Les enquêtes farfelues de l’inspecteur avaient fait ses délices d’étudiante dans sa petite chambre chez les Soeurs Augustines de Poitiers. Après, lui dit-t-il, son style avait évolué plus par lassitude que par volonté mais il connut alors la célébrité avec Les Corneilles du Septième Ciel aux multiples récompenses. Françoise l’avait lu aussi et lui demanda :

– Mais l’histoire se passe en Afrique, n’est-ce pas ? Vous connaissez donc l’Afrique ?

A SUIVRE

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