Les corneilles du septième ciel (5)

(…) En réalité, Françoise n’allait plus se confesser ni à la messe parce qu’elle avait découvert le jogging qu’elle pratiquait intensément et justement le mercredi soir, jour des confessions, et le dimanche matin, jour de la messe.

Chapitre V

Deux sujets passionnaient nos deux amies et animaient leurs discussions sans fin : l’Amérique et Jean-Paul Sartre. Françoise avait répété plusieurs fois à son amie qu’elle préférait le passé provincial à l’avenir anglophone. Annick, de son côté, ne démordait pas de sa passion pour les chefs d’œuvre du cinéma américain qui commençaient à dater comme le lui faisait remarquer Françoise quand elle était à court d’arguments. Les westerns en particulier la laissaient indifférente, et pour cause ! Les tracteurs conduits par des cow-boys malingres sans chapeau ni colt, les vaches à la place des bisons, les collines jamais rouges au coucher du soleil, elle ne les avait que trop bien connus à Joigny-le-Pont et elle n’en gardait pas un souvenir impérissable.

Annick ne jurait que par Alamo (1960) et La Chevauchée Fantastique (1939), deux chefs d’œuvre bien que des westerns, certes, et remontant à plus de soixante-dix ans, c’est-à-dire le même temps écoulé entre la naissance de Didier Blonde et la Commune de Paris ou celle de Jean-Paul Sartre et l‘exil de Napoléon à Sainte Hélène. Et ça, Françoise ne se privait pas de le lui rappeler. Quant au Pape de l’existentialisme responsable de tant de ravages chez les intellectuels de Saint Germain des Près, n’ayons pas peur des mots, Françoise ne pouvait pas l’encadrer. A l’époque de leur amitié, la défense du communisme était déjà dénoncée par ceux-là même qui l’avaient encensé la veille. Françoise ne supportait ni cette hypocrisie ni le mensonge en politique alors qu’Annick avait grandi dans le respect des paroles d’Evangile de Sartre et Beauvoir, idolâtrés par ses parents, des intellectuels de gauche figés dans leurs convictions.

A l’occasion de leurs prochaines retrouvailles au Café de Flore, Annick avait bon espoir de remettre son amie dans le droit chemin, ce en quoi elle se trompait. Françoise était insensible au charme de ce temple de l’existentialisme et elle aurait volontiers changé de crémerie. D’ailleurs, elle trouvait que plus personne dans ce café n’évoquait ce passé révolu. Au contraire, et à sa grande surprise, il y avait non loin de leur table cet écrivain jadis blond qui l’avait tant séduite à la terrasse du Surcouf deux mois auparavant. Quel hasard ! Françoise en profita pour enfoncer le clou. Elle confia innocemment à son amie que, pour preuve, ce consommateur-là ressemblait davantage aux séducteurs des films de Vittorio de Sica qu’à son épouvantable Sartre.

A SUIVRE 

 

Une réflexion sur « Les corneilles du septième ciel (5) »

  1. Il est possible, voire même très probable, que mon attitude et mon insistance vous aient semblé agaçantes. Pourtant, je vous le jure, je n’ai eu que le désir très fort, très maladroit, mais très sincère, d’aider à vivre le projet de Philippe qui force mon admiration.

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