Le roi Lear – Critique aisée n°253

temps de lecture : 4 minutes

Critique aisée n°253

Le roi Lear
(d’après) William Shakespeare
Nouvelle traduction de Olivier Cadiot
Mise en scène de Thomas Ostermeier
Rôle-titre : Denis Podalydès
Comédie Française – Salle Richelieu
Pathé Cinéma – Les Fauvettes — 25€

Ô vous mes lecteurs dont les visites au JdC sont aussi fréquentes que les averses sur la noble ville de Londres, vous qui scrutez mes amicaux avis avant de vous risquer dans l’aventure théâtrale comme le Concarnois scrute la couleur du soleil couchant avant de larguer les amarres pour les bancs poissonneux des mers septentrionales, vous qui ne faites pas plus confiance aux avis de Télérama que le paysan aux conseils de la Chambre Syndicale, vous le savez maintenant, vous le savez que je hais le théâtre et que j’adore Shakespeare ! Oui, je l’adore, le Barde, au point de lui avoir inventé la meilleure partie de sa vie dans une série mémorable et oubliée (Les Nouvelles Aventures de William Shakespeare) et je hais le théâtre au point d’aller voir Le Roi Lear au cinéma ; parce qu’au cinéma, c’est confortable, enfin… plus qu’au théâtre, qu’au cinéma, c’est moins cher, beaucoup moins cher, et qu’on y voit et qu’on y entend mieux, vachement mieux.

L’autre soir, la première salle du cinéma Les Fauvettes de l’avenue des Gobelins (Paris 13°), était presque bondée. On y allait donner, retransmise en direct(1) de la Comédie Française et de 20h10 à 23h35 — oui, c’est une version légèrement abrégée — ‘’Le roi Lear’’, tragédie en cinq actes du grand, très grand William.

Je n’avais jamais vu cette pièce, n’ayant fait que l’entendre dans l’un de ces enregistrements radiophoniques solennels de la Radiodiffusion Française des années cinquante.

Une folie que cette pièce, mais quel texte — le texte, Coco, toujours le texte ! Alors, quand on l’a annoncée chez Pathé, pensez si j’ai foncé, entrainant avec moi deux âmes innocentes, leur disant ‘’… Shakespeare… la Comédie Française… Lear… Podalydès… et puis, c’est vraiment pas loin de chez nous !’’ Alors, une petite omelette vers sept heures du soir au bistrot d’en face, et hop, à 20h10, nous y voilà, bien assis, regardant sur l’écran les spectateurs du Palais Royal s’installer sans hâte à leurs places dans le brouhaha élégant des spectacles chics. Pour nous, aux Fauvettes, il y a longtemps que c’est fait, sans le moindre brouhaha élégant.

Bon, ça commence avec un générique que le palais Royal ne voit pas et sur l’écran s’inscrit, majestueux :

LE ROI LEAR
d’après William Shakespeare

 J’ai bien lu : d’après William Shakespeare… Aïe, aïe, aïe ! Je crains le pire. Mais bon, on verra bien…

Bon, voilà, c’est fini. Mais, après cent quatre-vingt-dix minutes, que dire ?

Que Podalydès est décidemment un grand comédien ? Que la troupe de la Comédie Française est décidemment une grande troupe ? Qu’il y a, dans ce spectacle, quelques moments intenses ?
Oui, oui et oui.

Mais dois-je dire aussi que je n’ai pas souvent reconnu la pièce, que l’intrigue n’y est pas clairement exposée, que j’y ai vu davantage une suite chaotique de scènes isolées qu’une grande tragédie et que, tout en me souvenant bien sûr du thème de la pièce, je ne l’ai pas vraiment comprise et, en tout cas, n’ai jamais été saisi par elle ? Ajouterai-je que j’ai trouvé des scènes muettes (mais bruyantes) étirées en longueur et que j’ai trouvé deux comédiennes nettement en dessous du lot (Kent et Cordelia) ?
Oui, oui, oui et oui.

Ne pouvant décemment pas mettre cet échec sur le compte de l’auteur, ni sur celui de la troupe, ni sur le cinéma Pathé et encore moins sur mon humeur, excellente ce soir-là, je ne peux mettre en accusation que le metteur en scène et le traducteur, Ostermeier et Cadiot, et sans tergiverser davantage, les déclarer coupables tous les deux ;  coupables d’avoir tranché dans le texte, dans les péripéties et dans les personnages : des scènes ont été supprimées, d’autres ont été ajoutées, des personnages ont disparu. Je ne dis pas que les détails des intrigues des pièces de théâtre de Shakespeare sont toujours très clairs ni très logiques, mais là, à l’abondance bouillonnante, au bruit et à la fureur shakespeariens que j’aime, vient se substituer la volonté de faire du neuf avec du séculaire. Et pan, Ostermeier, prends ça dans ta figure.

Mais le pire, Mesdames et Messieurs, le pire, c’est l’amie qui nous accompagnait ce soir-là qui me l’a mis sous le nez, me révélant d’un coup la grande faiblesse de ce spectacle. Il était 23h40 et, tout en traversant le hall des Fauvettes vers le froid de l’avenue des Gobelins, elle a dit :

— Je n’ai pas entendu la fameuse poésie de Shakespeare.

Et j’ai réalisé à cet instant que moi non plus, je ne l’avais pas entendu ce charme, cette drôlerie, cette beauté et surtout cette puissance de la langue shakespearienne. Et ça, c’est sans doute la faute à Cadiot qui, jugeant peut-être le verbe de William un peu trop emphatique pour les adorateurs de séries que nous sommes censés être, a ramené la musique de Shakespeare à des dialogues plus actuels.
Shakespeare avait fait une tragédie élisabéthaine, Ostermeier et Cadiot l’ont rabaissée au niveau d’un simple drame exubérant.

Bref, une bonne soirée, comme n’aurait pas dit Armelle Héliot.

Note 1 : en direct, syntagme tombé en désuétude, signifiant live, ou en live (fam.)

 

 

5 réflexions sur « Le roi Lear – Critique aisée n°253 »

  1. Bien sûr, c’est mieux quand on le peut de voir ou de lire une oeuvre dans sa version originale, je veux dire nationale. Mais ne peut pas qui veut. Voir les 7 samouraï en V.O. n’est pas faisable pour tout un chacun et, même en parlant à peu près correctement l’anglais, comprendre les phrases ou les vers de Shakespeare n’est pas à la portée de tous les anglophones, du moins ceux qui n’ont pas eu l’honneur de naître sujet de Sa Majesté.
    Le fait de voir Shakespeare en français n’est pas une hérésie. Je me souviens d’un très bon Roméo et Juliette à la Comédie Française, d’un très bon Henri V à la Cartoucherie et d’un assez bon Henri III à Nanterre.
    Ce qui importe pour moi, c’est la qualité de la mise en scène et celle du jeu des comédiens. Mais il y a auss quelque chose d’essentiel, c’est la traduction. Quand on va sur Wikipedia chercher les traducteurs de W.S., on tombe sur une liste impressionnante de personnalités dont les plus célèbres sont Voltaire, Georges Sand, Alexandre Dumas, André Gide, Marcel Pagnol, Jean-Louis Curtis…
    Faute de les connaitre, je suis bien incapable de juger de leurs traductions.Mais je pense que tous n’ont pas eu de mauvaises intentions, comme Cadiot et Cie.
    Traduttore, traditore ! Traduire, c’est trahir ! Peut-être ! Mais comment faire autrement !
    L’important justement, c’est que le traducteur, même s’il pense devoir adapter certaines formes de langage ou certains mots disparus au cours des siècles, ne trahisse pas le sens voulu par l’auteur (souvent pour les besoins de sa propre cause à lui, le traducteur) ni le style, qu’il soit simple, lyrique, tragique, profond ou comique, selon les cas.
    Le danger principal de l’adaptation (et de la traduction, tout pareil) c’est de vouloir moderniser, transposer une pièce antique, ancienne, ou seulement vieille et une pièce moderne, de la décaler de plusieurs centaines d’années (même une seule centaine, pour beaucoup de pièces, c’est trop). C’est juste un danger et il arrive qu’on réussisse ( West Side Story, mais en l’occurrence, on reprend seulement l’histoire, pas le texte. Shakespeare aurait aimé, probablement), mais l’expérience montre que c’est dangereux.
    Pour revenir à Messieurs Cadiot et Ostermeier, mais pour qui se prennent-ils ces deux-là à vouloir corriger Shakespeare, à « oridinariser » sa langue, à supprimer des personnages, à leur faire changer de sexe… ? Que veulent-ils faire avec ça,
    sinon créer leur propre oeuvre en paraphrasant celle d’un autre ? Un sacré culot, quand même ! Qu’ils fichent donc la paix à Shakespeare et qu’il écrivent leur pièce à eux.
    Après, on en reparlera.

  2. Devant tant d’érudition , on reste coi…
    Mais c’est la voix de la raison: Shakespeare n’a besoin ni d’être retraduit, ni d’être mis en scène de façon déjantée…
    Le metteur en scène est au service de l’auteur… pas l’inverse: or c’est souvent le cas , à l’opéra comme au théâtre…

  3. Vérification faite, ma memoir m’a trahie. Gloucester dit:
    « The weight of this sad time we must obey,
    Speak what you feel, not what you ought to say ».

  4. Mon vers préféré du King Lear, si propice à l’époque actuelle. C’est Gloucester qui parle:
    « The weight of this sad time we must obey, speak what you think not what you ought to say ».

  5. C’est bien pourquoi il est préférable d’assister (voir et entendre) une pièce de Shakespeare jouée par des comédiens anglais, sur une mise en scène anglaise, et en langue anglaise, en Angleterre si possible (mais on peut aussi profiter du passage d’une troupe anglaise en France, il en existe composées d’amateurs qui sont remarquables, les anglais sont souvent des acteurs nés ou le deviennent au cours de leurs études), et cela même si on ne comprend pas explicitement tous les vers. Sinon, lire la pièce ou le sonnet de Shakespeare, ou bien chercher une représentation sur la BBC.

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