Aventure en Afrique (29)

temps de lecture : 4 minutes 

Ce texte fait suite au 5ème épisode d’Aventure en Afrique : Le Chantier de Saadia, dont le lien est :  https://www.leblogdescoutheillas.com/?p=33002

Le chantier de Saadia (suite 1)

Le chantier avançait, mais lentement et cela commençait, Michel Granges et moi à nous inquiéter.
La grande difficulté, s’agissant de la réalisation de rizières sur des terrains presque plats (lit majeur du fleuve), résidait dans les différences des niveaux, pour que l’eau coule dans les canaux.
Mon prédécesseur avait quadrillé le chantier de grosses bornes en béton, parfaitement nivelées, sur lesquels nous nous rattachions en permanence. Pour avoir une homogénéité de précision sur l’altimétrie de ces repères : Il avait adopté dans les calculs une méthode de compensation dite par “les moindres carrés“. Méthode mathématique complexe à mettre en œuvre mais qui se justifiait compte tenu l’étendue du chantier. Celle-ci lui avait servi de base pour son mémoire d’ingénieur. J’ai également réalisé un nivellement à Plan de Cuques (13380) selon cette méthode, pour mon mémoire de fin d’études.
Il fallait que les 25 000m de canaux implantés aient une légère pente pour que l’eau circule même quand  l’harmattan se levait en milieu de matinée. Une autre  difficulté était due à l’instabilité de l’image de la mire  dans la lunette, lorsque la chaleur commençait à s’élever sur le sol plus frais. Cela ne nous permettait plus de faire de visées précises, dû à ce flottement, à partir de 10 ou 10h30. Il nous fallait donc commencer à travailler dès le lever jour vers sept heures.

     Les travaux de creusement, à la main, des canaux étaient bien encadrés. Tous les matins chaque terrassier, ils étaient des centaines, trouvait une implantation linéaire, matérialisée par des piquets, réalisée par le chef de chantier du secteur. Elle correspondait au volume qu’un homme moyen pouvait creuser par jour, pour toucher sa paye. Les plus vaillants terminaient leurs tâches en fin de matinée avant  que la grosse chaleur n’arrive. Cela leur permettait, de plus de prendre la navette pour rentrer sur la capitale. Les plus faibles étaient obligés de travailler l’après-midi en plein soleil pour terminer leur linéaire. Bien souvent il n’y avait plus de camions, et il leur fallait rentrer à pied. Pour ces hommes fatigués c’était le bagne.
Il y en avait qui tenait le choc, un jour, une semaine, un mois. Le travail était épuisant, mais c’était la règle  pour espérer à terme, avoir une parcelle d’un hectare de rizières. Un petit bagne. Mais il fallait que cela avance.
Il y avait aussi  toute la partie maçonnée. Le tirant d’eau des canaux principaux et secondaires étaient bétonnés.
Pour ce faire il y avait divers types de maçons :

–  Ceux qui fabriquaient  le béton dans de grandes bétonnières thermiques.
– Ceux  qui le transportaient, dans des brouettes, pour l’acheminer sur la digue du canal.
– Ceux qui le mettaient en œuvre, travail minutieux.
Il fallait une grande coordination entre ces trois postes.

Lors de visites de chantier, Michel Granges, avec le chef de secteur, assis sur une peau de chèvre dans une brouette poussée par un manœuvre, un autre tenant un parapluie pour l’abriter du soleil, a noté que c’était la “pétaudière“ !
Par exemple : lorsque le béton était prêt et que les maçons l’attendaient sur le canal, les hommes des brouettes étaient pratiquement tous à la prière. Le chantier était à l’arrêt.
Cela pouvait être aussi les maçons, ou ceux des bétonnières, qui étaient à la prière, soit des dizaines de personnes par secteur.
Le Ministère avait fixé la date d’inauguration du chantier par le Président du Niger. Nous commencions à nous rendre compte qu’à ce rythme-là le chantier ne serait jamais terminé à cette date.
Comment faire ? Mettre de l’ordre dans l’organisation!

Après mûre réflexions : le problème était ces prières à tout moment de la journée, elles désorganisaient, alors que les taches devaient s’enchainer. Il fallait mettre de l’ordre à ce niveau-là. Le lieu de prière était un peu à l’écart du chantier et il fallait entre 5 et 10 minutes pour le rejoindre. Là il y avait une cabane et autour des peaux de chèvre au sol pour faire la prière.
Je m’étais rapproché de notre ami Hiliassou Hibrahima, le marabout de Boubon. Il m’avait appris que le croyant  avait obligation de faire cinq prières par jour : La première au crépuscule, la seconde à la mi-journée, la troisième, dite la prière de l’après-midi, la quatrième au coucher du soleil et la cinquième est la prière de la nuit.

Avec Michel nous avions convoqué tous les chefs de chantier des secteurs où les canaux étaient à bétonner : pour leur faire savoir que dorénavant la deuxième prière quotidienne serait à 12h30 et la troisième à 16 heures. Les autres étaient en dehors des heures de travail. Sans cette disposition le chantier ne serait jamais fini à temps.
Les chefs ont fait connaitre à tous les travailleurs cette décision : qu’aucune prière ne sera tolérée sur le chantier en dehors de ces horaires. Dès le début cela avait été efficace et il n’y avait plus de temps mort improductif. C’était le point de vue d’occidentaux, mais pas d’africains !

A SUIVRE 

9 réflexions sur « Aventure en Afrique (29) »

  1. @Lardégeoisie : L’auteur des Corneilles constate chaque jour avec amertume et tristesse les embûches semées par ses propres amis sur le chemin du Goncourt.

  2. Bien que n’ayant jamais mis les pieds en Alaska, j’ai beaucoup de respect pour les récits de Jim mais je suis effaré, le mot est faible, de n’avoir pas vu passer l’ombre d’une critique dithyrambique pour un chef d’œuvre de plus de Claude Sautet repassé hier sur C8. Serait-il possible que personne n’ait osé regarder Les Choses de la Vie de peur d’être déçu ? Moi, pas. Et je l’ai été. Gageons que Philippe saura nous expliquer les raisons de notre désamour cinquante ans après la première vision de ce film qui nous avait beaucoup plu à cette époque.

  3. Qui est le con de qui ? Les taïwanais, c’est fait. Nous, sans aucun doute. Mais les Burkinas, c’est certain, et de Wagner en plus !

  4. L’Idéal serait de faire en sorte que les Africains plantent les pouces de riz comme les Canadiens plantent les signes d’ ‘arrêt!

    Plaisanterie mise à part, je suis positivement impressionné de constater que, dans ses dossiers ou dans les archives de son journal, Philippe a réponse à tout!

    Vue la tournure que prend la post-colonisation en Afrique, je me demande qui est le con de qui?

  5. Cette histoire me plait beaucoup! j’aimerais que Philippe nous raconte comment les Chinois procèdent dans des circonstances semblables!
    Au Canada, (même au Québec!) plus rien ne se fait à la main! Par exemple lorsqu’un signal ‘Arrêt’ (pour Stop) est déplacé ou tordu par les chasse-neiges (les routes sont toujours dégagées et il n’y a donc pas besoin de chaines, seuls les pneus-neige sont obligatoires de Décembre à Mars) afin de fournir des emplois l’été aux conducteurs de chasse-neiges (appelées charrues). L’été venu, on fait venir une pelleteuse munie d’un marteau piqueur qui brise le socle dans lequel le poteau est arrimé, puis une mini grue à mâchoires s’empare du poteau, du panneau et des restes du socle et les dépose dans la benne d’un camion. Puis un autre camion amène un signal neuf, la mini grue le dresse au bon endroit ou presque puis une mini toupie bétonneuse amène un ciment pré-conditionné pour résister au sel des épandeuses mais pas au socle de la charrue, la benne mâchoire de la mini grue se prenant pour un marteau pilon tasse le socle et enfin un être humain apparait avec un fil à plomb au laser pour vérifier si le poteau est bien droit et dans le champ du chasse neige. Dans cette affaire pas de truelles, de pelles, de pioches, de brouettes, et encore moins de moindre effort humain pour placer le signal dans son entièreté ou dans ses composantes.
    Les machines à essence (aujourd’hui) électriques (demain) remplacent les prolétaires et les esclaves d’hier et d’ailleurs! Les conducteurs de chasse-neiges l’hiver deviennent opérateurs de matériels robotisés l’été. Un paradis Kafkaïen quoi!

  6. À la même époque, j’ai vu de ces rizières en Haute Volta. Elles avaient été réalisées par les Chinois (de Taïwan)

  7. Par contre, les Corneilles ont droit à chaque nouvel épisode à un rappel des dernières lignes de l’épisode précédent, juste au cas où certains auraient du mal à suivre.

  8. D’abord une remarque : seuls les chantiers africains ont droit à un index de rappel: que l’auteur des Corneilles se manifeste….
    Ce chantier du jour est implacable : rigueur du raisonnement scientifique face à l’immaterialité de la croyance…
    En version moderne: construction de bassines versus la croyance rageuse anti sciences au nom de la prière climatique…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *