Aventure en Afrique (30)

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Le chantier de Saadia (suite 2)

      Quelque temps après, un jour à midi, une Mercédès noire était garée devant le bureau. Le chauffeur nous dit que monsieur le Ministre souhait nous voir. Nous indiquons que notre état ne nous permettait  pas de se présenter devant le Ministre. Nous étions transpirants, couverts de poussière. Que nous voulait donc le Ministre ?
Nous voilà parti en direction du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, pas très tranquilles. Pourquoi voulait-il nous voir si rapidement ? À l’arrivée nous sommes accueillis par une française, d’un certain âge avec un accent alsacien « les gars qu’avait vous fait, quelle est cette histoire de prière ? Le Ministre est furieux » C’était donc pour cela. Le Ministre arrivait passablement énervé. Il a été un peu surpris de nous voir dans notre tenue de travail sur les tapis de son bureau. Il nous dit : «  que  notre attitude était intolérable, de quel droit avons-nous  pris la décision de fixer les heures des prières, ne connaissant rien à l’Islam.»
Nous lui expliquons que ce n’est par plaisir ou par ingérence dans les affaires du pays mais pour respecter les engagements pris par nos supérieurs. Avec le rythme  actuel les délais ne seront jamais tenus et le chantier aura plusieurs mois de retard. La  première saison de plantation n’aura pas lieu cette année. Il y eu un très long silence. Le Ministre semble être un homme intelligent et réfléchi. Il finit par nous dire  très calmement : « on continue comme cela on ne peut plus revenir en arrière » Nous avons notamment très apprécié le “on“. Effectivement il était notre patron en chef ! Le ministre nous a en convié à pendre un apéritif pendant lequel nous avons discuté ensemble au moins une heure. Son chauffeur nous a ensuite ramené au bureau. Est-ce par stresse ou émotions, je n’ai aucune souvenir sur le physique de cet homme sympathique qui ne devait avoir qu’une dizaine d’années de plus que nous.
Le chantier de bétonnage avait pris un nouvel élan. À force de circuler sur le chantier, j’ai découvert  une zone d’une vingtaine d’hectares, non englobés dans le projet, qui    pouvait être facilement aménagée. Mon patron Michel de Verdière m’a dit que le bureau d’études était saturé et que je n’avais qu’à faire moi-même le projet de transformation de ce terrain en rizière. Ce fut nouveau et fort intéressant pour moi. Lors de la présentation du quantitatif des travaux, j’ai la surprise de m’entendre dire : « combien as-tu mis d’imprévus ? J’ai répondu 10 % comme cela se fait en général en France. « Il faut que tu doubles » 20 % ? « Non il faut que tu double toutes les quantités, c’est la règle ici ! »  Corruption !

Le chantier avançait.

Les premières mises en eau des parcelles s’effectuaient : un film d’eau de quelque centimètres, donnait la parfaite l’horizontalité des sols. Il avait été mis au point un petit outil très astucieux et probablement ancestral. Il avait une forme de U. La partie du bas horizontal, était faite d’une planche de bois d’environ 1,50 m de long. Les parties verticales étaient constituées de deux chevrons d’environ 1,30 m, cloués sur la planche. Nous appelions ces niveleuses : “ un gradère à main“. Les gradères sont de grosses niveleuses de plusieurs tonnes, employées dans les travaux publics. Il y avait un homme devant qui tirait avec une corde passée autour du ventre et un autre à l’arrière, les mains tenant les deux barres sensiblement verticales. Avec cet outil ils grattaient dans le sol humide les bosses qu’ils mettaient dans les creux. La petite nappe d’eau matérialisée l’horizontalité de la parcelle et servait de référence. Méthode un peu longue à mettre en œuvre mais dont le résultat était presque parfait. La culture du riz nécessite une hauteur d’eau uniforme. Chaque parcelle avait une martelère et sa vannette pour dériver l’eau du canal.

À ce stade notre mission était terminée. Nous avons continué à venir à Saadia pour assister au repiquage du riz et à l’évolution de sa croissance.
La production escomptée du périmètre hydro-agricole de Saadia était de l’ordre de 2000 t. par an. La production de riz du Niger dans les années 1970 permettait de satisfaire la demande alimentaire de cette céréale, qui provenait essentiellement de la population urbaine. Aujourd’hui elle ne représente que 2,3 % des céréales (mil, sorgho) produites au Niger.
Avec la démographie galopante, depuis cette époque, la production ne représente plus au jour d’hui que 20 à 30 % de la demande, le reste doit être importé.

Un soir, la veille de notre départ après le coucher du soleil, je suis allé faire une dernière visite et une dernière photo. Le riz poussait !

Je me suis régulièrement demandé ce qu’était devenue cette réalisation. Cinquante ans après le début des travaux je suis allé voir sur Google-earth: Grande surprise, les rizières sont toujours là ! Mais la rive droite a bien changé. Dans le lit majeur il n’y avait que les rizières de Saadia en bordure du fleuve, le reste était la brousse. Aujourd’hui au-delà, il y a la ville récente, reliée par un nouveau pont.

A SUIVRE

 

4 réflexions sur « Aventure en Afrique (30) »

  1. Dans les travaux publics, il y a souvent de ces astuces ou de ces pratiques ancestrales qui permettent d’adapter les technologie les plus modernes, mais aussi les plus rigides, aux caprices de la nature ou aux exigences de la physique.
    Je me souviens que dans les années 60, à l’époque où la construction des autoroutes a vraiment commencé, on a vu apparaitre des machines monstrueuses qui, à raison de quelques centaines de mètres à l’heure, déroulaient derrière elles sur quarante centimètres d’épaisseur quatre mètres de large de chaussée en bitume ou en béton. Tout était automatique, réglé comme sur du papier à musique, l’approvisionnement du bitume ou du béton par l’avant, le réglage la vitesse de progression, celui de l’épaisseur de la couche, le suivi du tracé en droite ou en courbe, absolument tout. Et l’énorme machine avançait lentement, inexorablement, avalant la matière brute par l’avant et expulsant la route derrière elle comme un excrément. Mais derrière le monstre, il y a avait toujours un ou deux petits lutins, serviteurs zélés munis d’une vulgaire planche de bois avec laquelle ils ragréaient les petites crottes irrégulières que la machine ne pouvait s’empêcher de produire.
    J’ai eu l’occasion récemment de voir une machine de ce type à l’oeuvre. Elle était beaucoup plus grosse, plus large que mes machines d’autrefois, elle allait beaucoup plus vite, mais il y avait toujours derrière elle les deux petits lutins.

  2. Belle narration… bien illustrée! La morale de l’histoire, même si le ministre a su se montrer compréhensif, c’est, pour les intervenants, de mieux comprendre les rituels religieux locaux. Non seulement ils perturbent l’emploi du temps des travailleurs en imposant des moments précis pour la prière mais en plus d’avoir ainsi un impact indirect sur la replantation du riz, ils affectent aussi la fréquence et l’efficacité de ‘la plantation de la graine’ (expression québécoise pour dépeindre le coït humain) qui a pour conséquence de rendre les rizières insuffisantes. Cette insuffisance nutritive conduit à l’importation de produits alimentaires et à l’exportation des surplus de population (au grand dam des Trump, Lepen, Zeimour, Houelbeck et autres grands auteurs). Il est donc urgent de comprendre ce qui façonne l’esprit des autochtones aussi bien que d’appréhender les conditions naturelles dont il faut tenir compte pour construire des rizières!
    Un psycho-socio-anthropologue en quête d’emploi là où il n’y a ni neige ni verglas!

  3. Les gradères à main :je verrais bien tout l’équipe de la Mairie niveler les rues de Paris….sous la férule de tous leurs opposants…

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