Aventure en Afrique (23)

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Les abaques 

Au bureau, où pendant notre absence un climatiseur avait été installé, j’ai établi un plan au 1/2000ème par retenues, en reportant à la main, les milliers de points que nous avions relevés. J’ai ensuite tracé les courbes de niveau et calculé les superficies qu’elles délimitaient. À partir de ces éléments je pouvais établir les courbes hauteur-volume dans un repère orthonormé ayant en abscisse les volumes et en ordonné l’échelle de crue.

Les courbes étaient belles et régulières. C’était ce que l’on appelle des abaques. J’étais très fier de mon travail et l’avais présenté à mes supérieurs. Ils avaient alors convoqué à Niamey les moniteurs agricoles de chacun des périmètres hydro-agricoles pour que je leur explique le fonctionnement de mon travail dans le but de réguler l’irrigation des cultures. Je leur ai également enseigné qu’il fallait tenir compte d’un paramètre qui était l’évaporation en raison d’environ 1 cm par jour. Pendant cette formation à ces hommes de niveau bac, j’avais l’impression de parler hébreu. Nous avions fait des travaux pratiques, pour que tous assimilent la lecture de mes courbes, connaissant la hauteur d’eau sur l’échelle de crue. Ils m’avaient tous assurés avoir compris…

Environ un mois après, le directeur m’a dit que les moniteurs étaient incapables de se servir des courbes. Ma déception a été grande. Pour eux mon travail n’était que des traits et des chiffres sur un bout de papier. Nous n’avions pas la même culture technique et habitudes d’application. Ils avaient d’autres facultés plus développées que nous, comme par exemple la mémoire, l’élocution, … Mes petits fils âgés de 13 ans connaissent le fonctionnement des axes orthonormés. Il m’a fallu, à contrecœur, que j’établisse pour chacune des retenues des tables, ayant sur la colonne de gauche 5 cm par 5 cm l’échelle de crue et sur la colonne de droite les volumes correspondants. Nous avons convoqué les moniteurs pour leur expliquer le fonctionnement et leur apprendre à faire les interpolations quand la mesure se situait entre un 0 et un 5: une règle de trois… Je n’en ai plus entendu parler !

Les anciens combattants

Le Niger comptait de nombreux anciens combattants, que ce soient ceux de la première guerre mondiale ou de la deuxième. A Niamey il y avait le Ministère des Anciens Combattants. François Charpentier nous avait dit en avoir rencontré un célèbre qui avait 180 petits-enfants ! Le Niger a le plus fort taux de natalité/fertilité du monde en 2017 soit 7,18 naissances par femme. Il était de 7,52 en 1972. Les soldes mensuels de ces anciens soldats permettaient de nourrir de nombreuses bouches.

De retour du chantier de Lossa, un après-midi, au bord de la route, à notre approche un homme s’est mis à gesticuler. Je dis à Mamoudou : « ne t’arrêtes pas !». « Patron c’est un ancien combattant, il faut le prendre !». Je ne prenais jamais personne avec la Lande-Rover, cela était interdit pour des questions de responsabilité et trafics de toutes sortes. Toutefois, ce jour-là nous nous sommes arrêtés. L’homme pressait le pas pour nous rejoindre. Il s’engouffra dans l’habitacle la tête la première en m’injuriant : « “petits blancs”, je me suis battu pour toi en France en 1944, pour que tu sois libre… ». Il eut du mal à faire demi-tour puis prit place sur la banquette. Il monta entre le chauffeur et moi, cela n’a pas dû lui arriver souvent. Il commença à se calmer. Pendant le trajet, il me raconta qu’il avait fait partie de l’Armée d’Afrique commandée par le général de Lattre, qui après la France, avait marché sur l’Allemagne pour l’envahir. Je lui aie dit alors qu’il avait peut-être croisé mon père. Nous nous quittons et je n’étais plus un “petit blanc”.

Lors de mon arrêt à Thaoua, de retour de la Maggia, mes camarades du Génie Rural que j’avais visité là-bas m’avaient raconté une anecdote incroyable. Les week-ends à Thaoua étaient longs pour de jeunes français. Ils avaient eu une idée à l’approche du 14 juillet : ils avaient fait savoir à cinq anciens combattants qu’ils organisaient une remise de médailles. Le jour dit les cinq hommes étaient alignés au garde-à-vous, sur leur veste pendaient des médailles remises pendant la guerre dont certaines étaient la médaille militaire. Deux d’entre les copains remettez les décorations, posées sur un petit coussin, le troisième était au garde-à-vous. Grande cérémonie. Ils avaient tout prévu, même le vin d’honneur.

Sauf que : une fois par mois les anciens soldats faisaient le voyage jusqu’au  Ministère pour toucher leur pension. Là à Niamey le personnel savait lire et leur avait demandé d’où venaient ces médailles vantant le bon saucisson d’Auvergne en pays musulman! C’était les médailles qui, autrefois, étaient accrochées aux saucissons, que leur famille leur adressait depuis la France. Les anciens combattants étaient rentrés furieux à Thaoua. Les copains avaient très rapidement rattrapé le coup en disant que c’était une blague en organisant une fête à laquelle ils conviaient leurs femmes et leurs enfants, tout cela présidé par le préfet heureux de se sortir un peu de sa préfecture. Tout le monde a bien mangé et bien bu au son d’un petit orchestre local et surtout bien rit !

 

2 réflexions sur « Aventure en Afrique (23) »

  1. Ah, Lariégeoise ! Quelle joie quand tu arrives à faire la différence entre une motocyclette, un feu rouge et un bateau !
    Effectivement, avec leur style simple et clair et leur ton sincère et sans concession aux modes du temps, ces récits d’Afrique des années 70 sont toujours intéressants, souvent drôles et parfois touchants. Après demain, nous en saurons un peu plus sur la photogrammétrie et le prix de marché d’une chambre photographique.

  2. Ces chroniques touchantes de sincérité, illustrent le gouffre qui sépare les civilisations de l’oral versus celles de l’ecrit….
    Aucun jugement de valeur de ma part…. sauf que….. sortant d’un séjour à l’hopital , je préfère que nous ait été proposé ce que la technologie médicale a de plus performant.
    Or le wokisme et l’ecologie radicale en nivelant tout , en niant toute idée de progrès , veulent nous ramener au plus «  près de la nature »
    Certes rien n’atteste la supériorité d’un texte philosophique sur un conte oral …
    Sur le plan des idées , acceptons l’equivalence.
    Mais sur le plan pratique, ne plus souffrir ni de froid , ni de faim , ni de douleurs, vient d’un dépassement de la pensée magique.
    Et c’est objectivement un progrès.Nature versus culture, je choisis mon camp obstinément…

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