C’est rare un style, monsieur !

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Morceau choisi

Les écrivains ? Ne m’intéressent que les gens qui ont un style. S’ils n’ont pas de style, ils ne m’intéressent pas. Des histoires, il y en a plein la rue, n’est-ce pas. J’en vois partout des histoires, plein la rue, plein les commissariats, plein les correctionnelles, plein votre vie… tout le monde a une histoire, mille histoires.
C’est rare un style, monsieur ! Un style, il y en a un, deux, trois par génération.
Il y a des milliers d’écrivains, ce sont des pauvres cafouilleux, ils rampent dans les phrases, ils répètent ce que l’autre a dit, ils choisissent une histoire, prennent une bonne histoire et ils écrivent : « Je vois ça…etc. » Ce n’est pas intéressant.
Il m’est arrivé quelque chose de bien particulier. J’ai cessé d’être écrivain pour devenir un chroniqueur. Alors j’ai mis ma peau sur la table, parce que, n’oubliez pas une chose, la vraie inspiratrice, c’est la mort. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien. Il faut payer. Ce qui est fait gratuit, ça sent le gratuit, ça pue le gratuit.

Interview de Louis Ferdinand Céline par Louis Pauwels (extrait)

 

9 réflexions sur « C’est rare un style, monsieur ! »

  1. Depuis plusieurs jours je voulais revenir sur cette question du style en littérature qui n’est autre pour moi que celle de la création artistique en général, une question qui m’interpelle depuis longtemps. D’abord avec cette citation connue d’Albert Einstein:
    « La créativité c’est l’intelligence qui s’amuse »,
    je doute que l’IA en soit capable, rassurez-vous.
    Mais surtout, à ceux qui s’intéressent au phénomène de la création artistique, je recommande vivement la courte lecture de cette conférence passionnante faite par Stefan Zweig en 1939 en Angleterre et aux USA:
    « Le mystère de la création artistique »,
    que l’on peut se procurer en traduction française (Éditeur suisse Pagine d’Arte) dans les grandes librairies (Fnac, la Procure, la Compagnie rue des Écoles, etc, 15€) ou par internet bien sûr. Une courte lecture passionnante que je viens de découvrir.

  2. @ Lorenzo. Pas d’accord, bien entendu. Bon ou mauvais, simple ou ampoulé, subtil ou percutant, le style d’un écrivain est volontaire. Pas un écrivain, auteur amateur, écrivaillon, journaleux intimiste ou chroniqueur excité qui ne se pose ou ne se soit posé la question du style. Pour certains, cela vient naturellement, pour d’autres cela se travaille et se retravaille pour, peut-être un jour, devenir naturel.
    L’expression « faire du style » est nettement péjorative : faire du style, c’est faire son petit malin, faire son intéressant, forcer son style. Madame Bovary, si elle avait écrit, nourrie de médiocre littérature qu’elle était, aurait sans doute « fait du style ». Céline, dont je suis persuadé qu’il a travaillé son style comme un forcené, ne fait pas de style ; il a décidé d’écrire de cette manière et il en sue sang et eau. (et Flaubert tout pareil) Pour Garcin, je ne sais pas, je n’ai lu qu’un ou deux trucs de lui (je dirais seulement que c’est bien écrit, ce qui n’est pas nécessairement une vacherie de ma part), mais pour Blondin, lui qui est à mille lieues de « faire du style », je dirai qu’il ne l’a pas travaillé, son style, parce que je crois que Blondin était foncièrement paresseux (ce qui n’est absolument pas une vacherie) et qu’il lui est venu tout naturellement, sans effort, de sa famille, de son éducation, de ses lectures.

  3. Il y a un style original et un style exceptionnel. Un seul ne suffit pas.
    Je persiste à penser qu’en plus, le style ne suffit pas, il faut aussi une histoire. Jérôme Garcin a un style aussi splendide que celui d’Antoine Blondin mais il n’a jamais d’histoire au sens de création imaginaire. Donc, ça ne fonctionnera surement plus dans cinquante ans.
    Dans ce texte de Céline, le rôle de la mort me semble effectivement moteur. Mais cela signifie en même temps que le style n’est pas volontaire. Il est ou il n’est pas, mais devant la mort, il y a urgence et on ne s’encombre pas de faire du style.

  4. Un style est indissociable de son créateur. C’est la création le mystère.

  5. Si un style est « définissable de façon presque objective » je dis attention: le chatGPT pourra le reproduire à ce qu’on prétend. Les styles définissables, propres à leur auteur, en littérature mais aussi en peinture et même en musique (composition comme interprétation) sont imitables à la perfection. Autrefois on appelait ça « à la manière de » pour la littérature, on parle de « faussaires » pour la peinture (combien de « faux » sont dans les musées?). Je suis bien d’accord que la paternité d’un style est définissable et même indéniable, mais le plaisir de l’apprécier c’est quand on l’éprouve associé formellement à son auteur. C’est bien le couple auteur-style qui crée l’émotion. Un faux Van Gogh, un faux Conrad, un faux Vivaldi, ne m’émouvra jamais si je sais que c’est un faux. À la limite, j’admettrais de reconnaître objectivement la technicité du faussaire, rien de plus.

  6. « (…)N’y aurait-il pas aussi, de l’autre côté du miroir, un style de lecture exceptionnel (non limité dans le temps) qui permettrait à son détenteur de détecter et d’apprécier à sa juste valeur le style dont il affuble l’auteur? »

    « N’y aurait-il pas aussi, de l’autre côté du miroir, un style de lecture exceptionnel qui… »
    J’avoue que je suis resté un bon moment et reste encore tout à fait perplexe sur le sens de ce questionnement lancé à propos de la sortie de Céline sur le style dans son interview par Louis Pauwels.
    Ce qui est très probable d’abord, c’est que ce questionnement n’est pas une question ouverte à laquelle le lecteur est invité à répondre. Une telle formulation est généralement plutôt utilisée et perçue comme une invite à prendre la question posée comme une forte possibilité, si ce n’est une certitude pour l’auteur du questionnement. On pourrait considérer qu’il est une formulation plus douce, mais de même sens que celle-ci : « réfléchissez donc un petit peu et vous verrez bien que c’est un style de lecture qui… »

    « un style de lecture exceptionnel »
    Qu’est-ce qu’un style de lecture exceptionnel (ou ordinaire) ? Une façon particulière (ou rare) de lire, une façon d’aborder une oeuvre, un auteur ? Il me parait évident que si une telle façon existe, elle est « façonnée » justement par la culture (quelle que soit son niveau) du lecteur. J’emploie ici le mot culture dans le sens « habitude de lire tel type d’ouvrage », « expériences de lectures passées », plutôt que dans le sens « connaissances universitaires ». Avoir une façon de lire est inévitable, comme on a une façon de parler ou de jouer au tennis. Et d’ailleurs, je crois qu’en fait, on a plusieurs façons de lire, des façons adaptées à l’humeur du moment, mais aussi et surtout au type d’ouvrage (roman, essai, comédie, drame, témoignage…), au type d’auteur (Flaubert, Chandler), et que la façon de lire que l’on a dépend de la connivence qu’on peut avoir avec l’auteur. (Je vois d’ici les dérives qu’on évitera de tirer de l’utilisation du mot connivence quand on en viendra à Céline).
    Donc, c’est d’accord, il existe des styles de lecture, enfin… il existe des façons de lire.

    Un style de lecture qui quoi ?
    « …qui permettrait à son détenteur de détecter et d’apprécier à sa juste valeur le style dont il affuble l’auteur? »
    Si l’on supprime de la sentence le « à sa juste valeur », on aurait tendance à comprendre que c’est le lecteur qui, avec son style de lecture, accorde un style à l’auteur. Deux lecteurs différents accorderaient-ils donc deux styles différents au même auteur ? C’est possible après tout, tout est possible, mais peu crédible. En effet, au moins sur des auteurs reconnus (et par là, je veux dire lus), si les avis sur la qualité ou la signification de leurs oeuvres peuvent différer, il y a très généralement un consensus sinon une unanimité des lecteurs sur la définition d’un style pour un auteur. 
Le style peut-être un moyen (Salinger dans l’Attrape -Coeurs) comme il peut être une fin en soi (Flaubert voulait écrire un livre sur rien, Modiano y arrive). Mais qu’il soit l’un ou l’autre, un style est définissable de façon presque objective : l’étendue, la pauvreté, la richesse, la désuétude, l’inventivité du vocabulaire, la construction des phrases, leur rythme, leur longueur, leur sonorité, leur complexité, le respect des règles, leur affranchissement, la construction du roman si c’en est un, le point de vue, etc… en fait, tout ce qui n’est pas l’intrigue elle-même.
    Le style Chandler, le style Proust, le style Bret Easton Ellis, celui de Flaubert, de Modiano… tous différents, tous caractérisables objectivement, tous reconnaissables par presque tous, même s’ils ne sont pas appréciés par tous.
    « Affubler », qui veut dire entre autres déguiser avec des accoutrements, a quelque chose de péjoratif, mais je ne pense pas qu’il ait été utilisé ici dans ce sens. Je pense qu’il l’a été dans celui de revêtir quelqu’un de parures imaginées (par celui qui les attribue) ou imméritées (par celui qui les reçoit), en fait de lui accorder une valeur surfaite. Et comme la question a été posée à propos de Céline, de là à penser que le style de Céline n’est pas celui de Céline mais celui dont on veut bien l’ « affubler », il n’y a pas loin.
    Maintenant, si je réintègre dans la question posée les mots supprimés tout à l’heure « à sa juste valeur » c’est à dire à sa valeur véritable, intrinsèque, je me pose alors la question de savoir s’il s’agit d’une valeur plus juste, c’est à dire plus basse que la valeur généralement attribuée, ou s’il s’agit de la valeur généralement célébrée, comme c’est le cas pour le style de Céline en particulier. Mais je n’ai pas de réponse à ma propre question.

    Si je me suis livré à ce long bavardage analytique, c’est parce que la question du style m’intéresse depuis longtemps, et aussi pour tenter de comprendre le questionnement cité en tête. C’est souvent de cette manière que je procède. Mais je constate qu’après toutes ces considérations, je ne le comprends pas mieux que tout à l’heure. Alors je me retire sur la pointe des pieds. Ce doit être le « de l’autre côté du miroir » qui m’a troublé.

  7. Je note aussi qu’alors que Céline conclut: « ça sent le gratuit, ça pue le gratuit » apparait en haut et à droite de la même page: Abonnez vous à ce blog par email. C’EST GRATUIT!

  8. Là, le fait que l’auteur soit Céline ne m’échappe pas! La critique aisée de son idéologie ou plutôt de son culte nietzschéen de l’être exceptionnel que ce soit par son style ou d’autres spécificités, serait trop aisée dans notre contexte de « wokisme » (excuse my French!) et c’est pourquoi, au lieu de m’embourber dans cette avenue au pavé trop battu, je reviens à la charge sur mon mustang américain et protestant en sortant la suivante question en guise de sabre: N’y aurait-il pas aussi, de l’autre côté du miroir, un style de lecture exceptionnel (non limité dans le temps) qui permettrait à son détenteur de détecter et d’apprécier à sa juste valeur le style dont il affuble l’auteur?

  9. Le style… avec chatGPT qui va écrire tout et n’importe quoi,on n’a pas fini de le regretter cet art de mettre les mots en harmonie…
    A propos de style, oral cette fois, avez vous noté que l’indétronable «  pas de souci » a fait place à son antonyme « je suis en colère »…

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