Rendre à César… Critique aisée n° 210

Critique aisée n°210

Rendre à César…

Hier, Lorenzo dell’Acqua était tout chose. Il venait de revoir César et Rosalie et, pour tout dire, il n’avait pas aimé.

Ce n’est pas moi qui irais constester le droit à bruler une idole que l’on a adoré autrefois, à trouver mauvais ou seulement médiocre un film que l’on a aimé dans sa jeunesse. L’année dernière à Marienbad, Tirez sur le pianiste, Les tricheurs, Docteur Jivago…

Donc, Lorenzo a trouvé que Montand surjouait un personnage peu crédible, que Schneider, instable, aurait dû se faire soigner, et que Frey était un peu plus ou un peu moins immature (un peu plus ou un peu moins ?) que ses deux partenaires. Leurs histoires d’amour étaient tordues et n’intéressaient plus personne, et en particulier les jeunes gens. La raison qui apparaissait de tout cela était que cette société dans laquelle beaucoup d’entre nous s’étaient sans doute reconnus,  la société des années 70, avait disparu.

Mais le plus étonnant dans cet accès de mauvaise humeur était l’affirmation selon laquelle, pour juger valablement d’un film, il faudrait avoir vécu son époque.

Bien sûr, Lorenzo avait pris la précaution d’exclure de cet exigeant principe les films historiques, les films d’époque, les films exotiques. Pour juger Alexandre Newsky ou La Chevauchée fantastique, il n’était pas requis d’avoir vécu en Russie au XIIIème siècle ou à Lordsburg, Ariz., au XIXème. Tant mieux.

Donc, l’exigence de contemporalité se limitait à ce que nous pourrions appeler les Comédies de mœurs. Pour fixer les idées sur ce que j’entends par là, prenons comme exemples de ce genre  les films suivants :

La Règle du jeu – Jean Renoir – tourné en 1939 – époque 1939

La Ronde – Max Ophuls – tourné en 1950 – époque fin XIXème

Le Souffle au cœur – Louis Malle – tourné en 1971 – époque 1950

César et Rosalie – Claude Sautet – tourné en 1972 – époque 1972

Mis à part César et Rosalie que je me réserve pour mes encore plus vieux jours, j’ai revu plus ou moins récemment tous ces films, et je peux affirmer qu’il n’est pas besoin d’avoir vécu à Vienne au XIXème, ou dans les années 30 ou 50 ou 70 pour les apprécier encore aujourd’hui comme des chefs d’œuvre pour ce qui est des deux premiers, ou des presque chef d’œuvre pour les deux suivants.

Bien sûr la société viennoise du XIXème, légère et insouciante, a disparu dans la première guerre mondiale, le grand monde du week-end de chasse du Marquis de la Chesnaye a disparu dans la seconde. De même, la bourgeoisie aisée des gynécologues de Dijon s’est dissoute dans mai 68, et les Capitaines d’industrie ont changé de style pour entrer en politique.

Et alors ? Pour des films d’une telle qualité, le plaisir reste intact. Il en est même pour qui il augmente. Et pourtant, croyez-moi, je ne me suis reconnu dans aucun des personnages des trois premiers films cités. Par contre, j’ai rencontré un César, peut-être même deux.

Selon moi, le seul intérêt de ces films que le temps puisse amoindrir, et encore, c’était celui de se reconnaître plus ou moins dans l’un des personnages ou de se dire qu’on faisait partie de ce type de société ou presque.

Les temps qu’ils décrivent sont révolus, d’accord. Mais j’éprouve à les voir (nous parlons toujours de ce que j’ai appelé Comédie de mœurs) un plaisir invariable et composite, celui du sujet et celui de la manière.

Le premier plaisir, c’est d’apprécier une histoire, généralement d’amour et/ou d’amitié. Ce serait une banalité de dire que ces modèles sont éternels, mais je vais le dire quand même : ces modèles sont éternels. Et j’ajouterai : banals. Un homme qui aime une femme qui aime un autre homme, une femme qui aime deux hommes sans pouvoir décider avec lequel elle restera, sauf si elle peut rester avec les deux, un homme qui aime deux femmes sans pouvoir… et cetera… Ces histoires tordues ont été traitées de tous temps an théâtre puis au cinéma et le sont encore aujourd’hui.

Le second, c’est de déguster la manière dont le sujet est traité par la réalisation, le ton, le point de vue, les dialogues, la direction des acteurs et toute cette sorte de choses qui font qu’un film est original ou cliché, élégant ou lourdingue, joyeux ou mélancolique, réussi ou raté.

Le film qui est mal jugé quarante ou cinquante ans plus tard ne l’est pas tant parce que son cadre a quarante ou cinquante ans que parce qu’il est daté dans sa manière, sans doute précurseure à son époque, mais aussi probablement artificielle et affectée. D’où, par exemple, mon jugement récent sur le film de Resnais Mon Oncle d’Amérique.

Pour en terminer en revenant plus précisément à César et Rosalie, les personnages qu’il met en scène sont effectivement un hâbleur rustre et sympathique, une amoureuse instable, et un dessinateur de charme. Mais pourquoi reprocher au film les faiblesses de ses personnages. Ils sont tels que les ont voulus les auteurs, en l’occurrence Sautet et Dabadie. Et il est certain pour moi que de tels personnages existent dans la vraie vie. Pour César, il suffit par exemple de penser à Bernard Tapie. Par ailleurs, il se trouve que j’ai rencontré plusieurs fois un ferrailleur enrichi qui certes n’avait pas le charme de César mais était animé par une même volonté de bulldozer. Par contre, je n’ai pas connu de Rosalie.

Ou alors, à mon insu.

4 réflexions sur « Rendre à César… Critique aisée n° 210 »

  1. Le débat que j’ai essayé de soulever de façon maladroite, c’est qu’il me semblait y avoir pour chacun de nous deux sortes de films : ceux que nous avons aimés quand nous les avons vus pour la première fois (comme César) mais qui ne résistent pas au temps, ou en tout cas pas à notre âge, et ceux que nous avons aimés et que nous aimons toujours cinquante ans après. Pour quelles raisons ? C’était la question posée. Tout cela est purement subjectif et ne prétend pas à être La Vérité …

  2. Les chefs d’œuvre ne sont pas concernés car ils échappent au jugement du temps, c’est d’ailleurs pour cette raison que ce sont des chefs d’œuvre. Je critique ce film parce qu’il est daté et que cinquante ans plus tard, il a déjà perdu non seulement tout intérêt mais aussi tout sens. Pourquoi Shakespeare est-il resté, lui ? Par contre, je ne suis pas certain que le Sautet de César et Rosalie sera une référence dans cinq cents ans.

  3. Pour répondre à ton interrogation finale, de loin la plus intéressante, je me permets de te rappeler que si, si, tu as connu Rosalie, même si tu ne t’en souviens pas. C’est elle qui me l’a dit. Elle n’a pas oublié ton charme ravageur dans les années cinquante quand elle t’avait rencontré aux Cahiers du Cinéma. Elle se souvient de tes articles sans la moindre tolérance vis à vis de tes amis qui t’aimaient beaucoup. Elle n’en comprenait pas la raison et, m’a-t-elle confié, ton psy non plus d’ailleurs. Une superchouette fille, cette Rosalie qui nous avait invités à passer quelques jours de rêve dans cette maison de famille au bord d’une plage à Noirmoutier. Tu ne t’en souviens vraiment pas ? Menteur !

  4. Ce film m’a fait penser à Jules et Jim.
    Le romantisme du N&B sur une idée simple, celle du triangle amoureux.
    Un seul thème et peu de personnages, juste ceux qu’il fallait.

    Du grand cinéma français qu’on a perdu devant les intrigues tarabiscotées, les retours en arrière incessants, les effets spéciaux, la multiplicité des rôles et des lieux, la couleur aussi qui tue l’intimisme et surtout les exigences de la mercatique internationale.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *