Retour sur la Piazza Farnese

Il y a 6 ans, je publiai cet article auquel je n’ai rien changé, sinon son titre en y ajoutant le mot « retour ». Mais je suis allé chercher dans la presse si cette affaire avait évolué sur le plan judiciaire. Eh bien oui, et je vous ferai savoir comment à la fin de l’article.

11 mars 2015

Sur la Piazza Farnese, c’est une belle fin de matinée de mars, fraiche et ensoleillée. Pour la centième fois depuis que nous venons à Rome, nous avons erré un peu sur le Campo dei Fiori dans les allées du marché au milieu des fruits, des fleurs, des bouteilles d’huile, des pâtes multicolores, des olives en vrac, des épices en sachet, des bruits, des odeurs et des triporteurs abandonnés.

Et puis, pour la centième fois, nous avons pris la Via dei Baullari, cette ruelle qui nous amène à chaque fois, bouche bée, sur la grande Piazza Farnese, entre les deux fontaines, juste dans l’axe de l’Ambassade de France. D’ordinaire, hormis une demi-douzaine de touristes et un carabinier devant la porte de l’ambassade, la place est pratiquement déserte. Mais aujourd’hui, elle n’a pas son aspect habituel. La différence, ce n’est pas la présence du véhicule tout terrain ni celle des deux soldats à mitraillettes que leurs tenues camouflées n’empêchent pas de repérer parfaitement, ni les barrières métalliques disposées à cinq mètres de la façade du palais. Cela, c’est la modeste contribution de l’Etat italien à la sécurité des intérêts français, menacés sérieusement depuis quelques semaines. Non la différence, c’est la présence d’un groupe d’une vingtaine de personnes qui ne ressemblent en rien à des touristes. Elles ne sont pas rassemblées autour d’un guide porteur de micro et de parapluie à oriflamme. Elles ne portent pas de sac à dos, de banane, de casquette, d’appareil photo ni de tige à selfies. FARNESEElles sont habillées de manteaux sombres ou d’anoraks tristes. Elles discutent à mi-voix, l’air grave, par petits groupes. Certaines d’entre elles portent des feuilles imprimées et, de temps en temps, elles en remettent une à un passant après lui avoir dit quelques mots. À proximité, une banderole attachée à une barrière montre des photos de jeunes gens souriants et des mots en italien que je comprends mal. Nous hésitons, nous tournons en rond. Une femme quitte le groupe et s’approche. Elle a dû nous entendre parler : « Vous êtes français ? » Elle est petite, sèche, tendue. Elle a un léger accent, un accent du sud. Je la prends pour une italienne qui parlerait couramment le français. Non, dit-elle. Elle est française, de Sanary. Et elle explique.

Le 13 août 2011, ils sont cinq dans une Opel Astra, Laurent, Julien, Vincent, Audrey, Elsa. Ils partent en vacances vers la Slovénie. Il est cinq heures du matin. Lui, Ilir Beti, 35 ans, Albanais résidant en Italie, roule dans son Audi Q7 noire. Il rentre de boîte de nuit avec sa petite amie et 1,51 grammes d’alcool dans le sang. Cela fait trente kilomètres qu’il roule à contre sens sur l’autoroute. Ça l’amuse. Il a déjà évité plusieurs voitures et accroché l’une d’entre elles, mais il ne s’est pas arrêté. Il poursuit sa route jusqu’à percuter l’Opel Astra. Elle est pulvérisée. Quatre morts à bord. Le cinquième passager restera infirme. Ilir Beti est indemne.

Le 20 juin 2012, le tribunal d’Alessandria le condamne à vingt et un ans et six mois de prison ferme pour homicide volontaire. C’est la première fois en Europe qu’une condamnation pour homicide volontaire est prononcée pour un accident de la route. Beti fait appel. La sentence est confirmée le 18 juin 2013 par la cour d’appel de Turin. Beti se pourvoit en cassation. La cour de cassation siège à Rome le 11 mars.

Nous sommes le 11 mars. Le groupe de soutien des proches est composé des familles et amis et d’associations françaises et italiennes. Il s’est réuni devant l’ambassade de France en attendant le procès qui se tiendra cet après-midi au Palais de Justice, de l’autre côté du Tibre. Le groupe demande la confirmation de la peine et l’application de la notion d’homicide volontaire à certains accidents de la route. Celle qui parle, c’est la mère de l’un des garçons morts. Au bout de quelques minutes, elle pleure, calmement, sans cesser de parler, d’expliquer, d’espérer. Nous comprenons, nous compatissons, nous finissons par nous séparer.

Demain, la Cour de Cassation déclarera fondé le pourvoi en cassation d’Ilir Beti et annulera sa peine. Un nouveau procès aura lieu. Un de ces jours.

Mise à jour mars 2021

En 2012, Ilir Beti avait été condamné en 1ère instance pour homicide volontaire à 21 ans et 6 mois de réclusion , condamnation confirmée en appel en 2013. 
En 2015, la cour de cassation requalifiait l’homicide de volontaire en involontaire.
L’année suivante en appel, Ilir Beti était condamné à 18 ans et 4 mois de réclusion. 
La même année, la cour de cassation augmentait la peine à 19 ans et 8 mois. 
La peine est définitive.

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