Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 10-3 – Agapimenimou

—Eh bien, voilà. A force de tourner et de tourner autour de la chose, de l’éclairer sous toutes les lumières possibles, à force de la photographier sous tous les angles et d’agrandir les clichés, j’ai fini par me concentrer sur une zone particulière d’un cercle de bronze. Elle m’avait attiré dès le début car on pouvait y voir de tout petits coquillages incrustés dans la
matière. Mais ce qui était étrange, c’est que leur disposition ne semblait pas le fait du hasard. J’ai hésité longtemps à ôter ces coquillages, car je ne voulais surtout pas endommager la surface. J’ai fait des essais et des essais de nettoyages sur de vieux machins rouillés avant de me décider. Et puis ce matin, je me suis lancé. A la pipette, j’ai versé sur le premier coquillage une goutte de mon mélange de vinaigre et de soude caustique largement étendue d’eau distillée.

Chapitre 10-3 – Agapimenimou
Hiver 1902 

A ce stade du discours, Seirina décide de passer à l’action. Changeant encore une fois de position, comme par inadvertance, elle prend appui sur le genou de Tim. Une fois réinstallée, elle y laisse sa main. Le jeune homme ne semble même pas s’en rendre compte. Imperturbable, il continue :

—Au début, je me suis affolé à cause des petites bulles qui se formaient autour du coquillage. J’avais peur de causer des dommages irrémédiables et j’ai voulu arrêter l’expérience en tamponnant la zone avec la manchette de ma chemise. C’est alors que le coquillage est resté collé sur le tissu, révélant sur le cercle de bronze une toute petite surface plus claire. Bizarrement, le petit rond vert pâle semblait traversé par une rayure recourbée. J’ai déchiré ma manchette et j’ai recommencé l’opération sur tous les coquillages de la zone. Au bout de deux heures, j’avais fait apparaître une surface presque propre d’un peu moins d’un pouce carré. J’ai laissé sécher pendant une heure sous la lampe. J’en ai profité pour consigner soigneusement la procédure et le déroulement de l’opération. Ensuite, j’ai brossé tout doucement la zone avec un très fin pinceau à poils de martre. Vers la fin de la matinée, c’est tout juste si le petit rectangle nettoyé ne brillait pas. Et c’est à partir de ce moment que j’ai pu vraiment examiner ces traces que cachait chacun des coquillages enlevés.

La main de Seirina remonte doucement le long de la cuisse de Timothy qui continue son exposé comme s’il se trouvait devant un aréopage de confrères.

—De façon évidente, ces rayures sinueuses et anguleuses étaient des caractères. Je reconnus facilement que les trois premiers étaient des lettres d’un alphabet grec ancien, utilisé à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ dans la Grèce continentale. Mais je butai sur les deux caractères suivants que je ne connaissais pas. En poursuivant mon examen, je tombai encore sur deux caractères grecs et un caractère mystérieux. Je consultai alors mon Encyclopédie Britannique qui, au chapitre Grèce Antique, m’apprit que l’alphabet phénicien avait précédé l’alphabet grec. Il se rencontrait un peu partout en Méditerranée jusqu’au milieu du troisième siècle. Il avait persisté un peu plus longtemps dans ce que l’on appelait alors la Grande Grèce…Qu’est-ce que tu fais, Seirina ?

—Mais rien du tout, Agapi. Je t’écoute. C’est passionnant. Mais il commence à être tard, et puis il fait bien trop chaud dans ton laboratoire. On devrait sortir, aller dîner en ville, quelque part, au frais. J’aimerais bien aller au Gerofinikas, par exemple. Tu me raconteras la suite demain…

—Tout à l’heure, Seirina, tout à l’heure. Il faut absolument que je t’explique la suite.

Il reprend, tout excité :

—Donc, j’avais devant moi un objet compliqué, qui ressemblait en plus élaboré à l’astrolabe d’Hipparque. Cet objet était marqué de caractères disparus plus de deux cents ans avant la naissance du savant de Rhodes, mais encore utilisés quelque temps dans certaines parties de la Grande Grèce. Un objet scientifique, sophistiqué, construit quelque part en Grèce, avant la naissance d’Hipparque ?

Il se lève brusquement et faisant face à sa maîtresse, il prononce sur un ton d’exaltation contenue :

—C’était évident : à cette époque et dans cette région, un seul savant était capable d’imaginer et de construire un tel objet : Archimède, Archimède de Syracuse !

Seirina n’en peut plus de rester dans cette pièce sombre et surchauffée, assise sur ce canapé dont le cuir lui colle à la peau des cuisses. Elle ne voit pas non plus la différence que ça peut faire que ce soit Archimède ou Hipparque ou n’importe quel autre vieux Grec mort depuis longtemps qui ait inventé cette pendule de voyage. De toute façon, les petites montres broches qu’elle a vues dans une bijouterie d’Akadimias sont bien plus jolies et bien plus pratiques. Pourtant, comme elle n’a pas renoncé à ses projets de sortie en ville, elle se précipite vers son amant, passe ses mains autour de sa taille et, se dressant sur la pointe de ses pieds nus, elle tend son visage vers lui et dit, radieuse :

—Mais, c’est merveilleux, mon chéri. C’est extraordinaire ! Archimède ! Et de Syracuse en plus ! Ah ! Tu es merveilleux ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Elle l’embrasse sur la bouche et, se collant à lui, elle recule jusqu’au canapé où ils s’effondrent tous les deux. Tim résiste bien un peu. Un moment, il tente même de se dégager. Mais, sous les caresses de plus en plus étranges de Seirina, sa résistance faiblit rapidement. Alors, il envoie Archimède et sa machine au diable, et enfouit son visage dans le corsage de la jeune femme.

Fin du chapitre 10

 

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