Proust l’avait déjà noté

(…)
R.B. : Oui, je crois que je ne serai jamais satisfait du compte que je pourrais rendre à cet œuvre. Le problème, c’est que je sais bien que c’est une œuvre extrêmement importante pour moi, je l’ai lue et relue — entendons-nous bien, il faut savoir ce qu’est lire Proust, il n’est pas dit qu’on lise tout Proust à chaque fois, en tout cas on relit certains fragments, peut-être jamais les mêmes, peut-être on saute toujours les mêmes, qui sait, c’est une chimie mystérieuse —, mais enfin disons que c’est une œuvre que, beaucoup d’entre nous, nous habitons toute la vie. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que dans la vie, quand il nous arrive des choses personnelles, à tout instant nous retrouvons une espèce de déjà-dit en Proust, et souvent à propos de choses extrêmement futiles, tout d’un coup on se dit : ah, mais ça, Proust l’a déjà noté…

J. M. : Déjà dit, déjà vécu…

R. B. : Oui, déjà dit, déjà vécu par Proust, et cela non pas dans une sorte d’antériorité agressive et oppressive, mais comme je l’ai déjà dit dans une extrême fraternité, parce que c’est quand même une œuvre qui a été faite par un homme d’une profonde bonté, enfin d’une profonde délicatesse et certainement d’une grande tendresse, même s’il avait comme tout le monde des côtés cruels en lui.

Ceci est une transcription partielle d’une émission diffusée sur France Culture en 1978, extraite de « Marcel Proust-mélanges » par Roland Barthes au Editions du Seuil – 2020
J.M. C’est Jean Montalbetti et R.B., c’est Roland Barthes

7 réflexions sur « Proust l’avait déjà noté »

  1. Laurent Binet, c’est génial! La 7ème fonction du langage, bien sûr, mais pas seulement. Avant ça, HHhH, et depuis Civilisations, sur des registres totalement inattendus, ont confirmé le talent de cet écrivain presque notoirement méconnu. Mais surtout, Laurent Binet fréquente le même restaurant chinois que moi, L’Empire Céleste dans le 5ème arrondissement (enfin, c’était avan le Covid). C’est tout dire sur son bon goût, et je suis sérieux!

  2. Je ne suis pas certain que Roland Barthes se soit occupé de Bouvard ou de Pécuchet. Il est probable qu’il devait être mauvais dans certains domaines. On dit par exemple qu’il était très moyen au bridge et nul au golf.

    Pour ce qui est de Trump, dire qu’il est « probablement un excellent homme d’affaires » est une forte hyperbole, sinon une profonde erreur. Dire qu’il est un esbroufeur de première classe serait au contraire une litote.
    Le Donald a hérité une fortune de son père (au détriment d’ailleurs des autres héritiers par abus de faiblesse de Trump, mais ceci est une autre histoire). Il a échoué et fait quelques faillites retentissantes et douteuses (université, casinos). Les déclarations fiscales de Trump indique qu’en 9 ans, il a perdu 1,17 milliards $.
    La plupart des «Trump Towers» dans le monde ne lui appartiennent pas. Il touche seulement des royalties pour leur donner son nom. Ses affaires hôtelières ne marchent pas si bien que ça puisqu’on sait maintenant qu’il a des dettes au moins à hauteur de 410 millions $, dettes qui ne sont pas garanties sur des biens immobiliers ou mobiliers mais par sa garantie personnelle. Il est donc dans une très mauvaise situation financière personnelle.
    Par esbroufe, en contestant le résultat des élections, il vient de recueillir près de 200 millions $ de petits donateurs qui croient donner pour permettre les procès en annulation des élections. Ces procès n’auront pas lieu et Donald pourra garder l’argent pour lui.
    J’ai appris d’un journaliste US à la télévision française hier que les fameux pardons qu’il accorde ou compte accorder un peu partout à lui-même ne peuvent concerner que des crimes fédéraux. Cela voudrait dire que s’il a commis des crimes contre un état en particulier, le pardon ne jouera pas. 
Au moins l’état de New York ne va pas s’en priver. C’est d’ailleurs en cours.

    Il y a quand même de bonnes nouvelles.

  3. Il est possible d’être un excellent critique de Proust, et aussi de Bouvard et Pecuchet, et d’être mauvais dans d’autres domaines. Il y a d’ailleurs un exemple contemporain avec Trump qui est probablement un excellent homme d’affaires mais un politique exécrable.
    PS : contrairement à Philippe, j’avais lu, ou essayé de lire, Barthes avant de lire le pastiche de Rambaud.

  4. Eh bien, je ne sais pas si Barthes a détruit l’occident, mais ce que je sais c’est que ses conférences, cours, notes et réflexions sur Proust et sa Recherche sont passionnants. Comme vous le savez sans doute, je ne suis ni un philosophe, ni un linguiste, ni un agrégé de littérature. Ce que vous savez aussi, c’est que je suis un amateur de Proust. En dehors de la Recherche et de Contre Sainte-Beuve que je recommande à tout un chacun, j’ai lu jusqu’ici pas mal de choses à propos et autour de Proust et de la Recherche du temps perdu.
    Et, mis à part quelques paragraphes de Barthes trop Normaliens pour que je puisse seulement les comprendre, je n’avais jamais rien lu d’aussi clairvoyant ni d’aussi sensible sur l’œuvre du petit Marcel. Il y a en particulier des pages sur le désir d’écrire, sur la frustration de ne pouvoir le faire, qui sont l’essence de la Recherche et qui semblaient être des sentiments partagés par Barthes dont le rêve était d’écrire un roman, ce qu’il n’a jamais pu faire. (Ne voyez là aucune similitude avec mon cas personnel, moi qui suis peut été en train d’achever Le Cujas)
    P.S. : sans avoir jamais rien lu de Barthes avant, j’avais lu le Roland Barthes sans peine il y a sans doute une quarantaine d’années et j’avais trouvé cela très amusant. Mais, quand on lit un pastiche sans avoir lu auparavant l’auteur pastiché, on s’amuse, c’est certain, mais le pasticheur insistant volontiers sur les côtés ridicules ou obscurs du pastiché, on risque, après s’être bien amusé, de se faire des idées fausses. Et c’est ce qui m’était arrivé.

  5. @Edgard. Il se trouve que j’ai lu le livre de Binet et je l’ai trouvé moi aussi formidable, d’une culture et d’un humour très rares de nos jours. Oui, vraiment un chef d’œuvre !
    Pour les inconditionnels de Roland Barthes qui éprouveraient comme moi des difficultés avec cet auteur majeur, je conseille aussi de Burnier et Rambaud le « Roland Barthes sans peine ». C’est un pastiche d’une totale absurdité et d’un grand secours : il est indiscernable du vrai Barthes.

  6. Je profite de cette publication pour appeler l’attention des fidèles de ce blog sur un petit chef d’œuvre d’humour et de cruauté : « La 7ème fonction du langage » de Laurent Binet, qui, à l’occasion d’une enquête policière sur la mort accidentelle (?) de Roland Barthes, dresse un portrait assassin de quelques uns des fossoyeurs de l’Occident et de ses valeurs comme Foucault, Derrida et Barthes lui-même bien sûr. Si vous ne l’avez pas lu, précipitez-vous, et si vous l’avez lu, relisez-le. En ces temps de crise, cela fait du bien de rire.

    Je vous épargnerai l’expression du mal que je pense de ces gens, auxquels j’ajoute Sartre, bien sûr …

  7. Eh bien, je dirais que Roland Barthes et moi nous ne sommes pas tout a fait d’accord sur ce point. Malgré toute la qualité d’analyse dont mon ami Roland fait preuve dans les paperolles publiées dans ses « mélanges », il prend ici les choses à l’envers.
    Je veux dire par là que, en ce qui me concerne en tout cas, c’est lorsque je lis Proust et plus particulièrement la Recherche que j’éprouve une sensation de déjà vu, et non l’inverse.
    Je m’explique : Roland dit que c’est lorsqu’il lui arrive quelque chose, il pense l’avoir déjà lu dans Proust, alors que moi, c’est quand je lis Proust que je réalise que j’ai déjà vécu ou pensé ce que je viens de lire.
    A mon humble avis, ça doit tenir à l’âge auquel on lit la Recherche. Moi, je l’ai lu très tard.

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