Journal de Campagne (24)

Journal de Campagne (24)
Mercredi 8 avril 2020 – 16h47

En cette joyeuse période de confinement, je rencontre de grandes difficultés à lire. D’après ce que j’entends, je ne suis pas le seul. Dans un des premiers numéros de mon Journal de Campagne, j’avais précisé la liste des livres emportés en exil, dont aucun n’avait bougé de son étagère après plusieurs jours. Finalement, et je l’avais fièrement annoncé, j’ai réussi à terminer le dernier Ian McEwan, Une Machine comme moi, mais je n’ai même pas eu le courage d’en faire une Critique Aisée. Avec le temps que j’ai mis à le lire, quand je suis arrivé à la fin, j’avais oublié le début. Comment faire une critique honnête dans ces conditions ? J’ai progressé aussi, mais bien peu, dans le Voyage au bout de la nuit.

Intéressante, cette seconde lecture :  je me suis aperçu que, lors de la première, je n’avais probablement pas dépassé le deuxième tiers. Je me souvenais assez bien de la guerre, de la convalescence, du séjour en Amérique, de l’extraordinaire aventure africaine, du cabinet médical de banlieue, mais du reste, rien du tout. C’est donc que j’avais dû abandonner le récit peu près au moment où Bardamu quitte son cabinet. A partir de là, je progressais en terre inconnue. A force de débroussailler ces phrases déglinguées et d’avancer dans ce monde misérable, je me suis posé la question : mais pourquoi donc continuer à lire cette prose exténuante et de surcroît désespérante ? Je n’ai pas trouvé de réponse à cette question et Céline est retourné dans la petite valise qui l’avait amené et dans laquelle il retournera, un jour, à Paris.

Et je le dis aujourd’hui, honteux mais sincère : pour la seconde fois, je n’ai pas pu finir le Voyage au bout de la nuit. C’est très étrange, ce qu’un confinement vous fait faire.

Mais, j’ai repris un autre livre : Les Particules élémentaires. Je vous en parlerai un autre jour, peut-être.

 

8 réflexions sur « Journal de Campagne (24) »

  1. à Jim,
    oui, c’est d’ailleurs pour cela que j’ai tenté de le lire !
    D’où ma stupéfaction !!!
    Mais je vais m’y remettre au cas où mon avis ancien serait erroné.

  2. Je suis étonné que les amateurs du blog et son auteur lui-même se trouvent découragés par la lecture.
    En la matière, ma soif est insatiable.
    Contrairement à Jim et Philippe, j’adore lire dans la Pléiade, serrer ce fin papier entre mes doigts, en tourner les pages, aller de la notice au texte et du texte aux notes. Je regrette amèrement de n’en avoir que deux volumes dans ma campagne de confinement quand plus de cent soixante quinze m’attendent à Paris (je suis compulsif : je les ai achetés tout au long de ma vie pour pouvoir les lire pendant ma retraite, lorsque mes moyens ne me permettraient plus de le les offrir).
    Mais ici aussi, les murs sont couverts de livres et de bandes dessinées.
    En plus du Guetteur d’ombre déjà évoqué, j’ai relu le Premier Homme de Camus, mais cette fois en bande dessinée, justement, avec les magnifiques dessins de Jacques Ferrandez, amoureux sensuel de l’Algérie. Et puis La Grande Peur dans la Montagne de Ramuz, écrivain suisse au style déconcertant et près de six cents pages sur les neuf cent quatre vingt que compte la passionnante et innovante biographie de De Gaulle par Julian Jackson.
    Et lorsque j’aurai fini, j’aurai tout oublié.

  3. Je suis heureux d’apprendre que je ne suis pas le seul en cette période de confinement à délaisser la lecture. Rien n’y fait! C’est pareil pour ma chère et tendre pourtant lectrice attentionnée, depuis longtemps animatrice dévouée d’un club de lecture parisien mais international par ses membres (livre en anglais, VO ou traductions), et qui profite généralement des vacances pour préparer la rentrée*. D’autres activités tout aussi utiles prennent le relais: la contemplation et la réflexion. Ce n’est pas du temps de perdu.
    *PS, pour Lorenzo: l’un des livres qui a le plus enflammé la discussion du club de lecture, il y a déjà longtemps, était La Tache de Philip Roth (The human stain).

  4. Si tu cherches dans cette lignée tu as aussi le perpignanais Brasillach

  5. Apprenant que Corinne était psychiatre, comme mon papa, je saute sur l’occasion (j’ai bien dit l’occasion) pour lui proposer ma réflexion un peu longue sur cette même difficulté à lire. J’espère qu’elle me répondra ….
    Je précise que, contrairement à ma conclusion, je n’ai toujours rien lu au bout de trois semaines de confinement. Mon raisonnement devait donc avoir une faille …
    Merci d’avance à Corinne pour ses commentaires de mon commentaire et merci à Philippe de nous accueillir et nous permettre de correspondre. (tu peux même nous lire, veinard !)

    La non lecture

    Pendant des années, j’ai acheté de façon compulsive des livres que j’avais envie de lire mais que je ne lisais pas, faute de temps, de patience ou de curiosité. Je me posais souvent la question : mais pourquoi fais-je cela ? A force de me le demander, j’avais fini par trouver une réponse plausible même si elle n’était guère optimiste. Je me disais qu’un jour prochain, le plus lointain possible, je ne pourrai plus marcher et je serai alors bienheureux d’avoir une telle bibliothèque à mon chevet. Comme dans une villa que nous avions louée, un mur entier de notre maison (au moins) est couvert de livres que je n’ai pas encore lus. Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je me réjouirais de cette initiative pathologique pour une raison hélas différente. Je crois à la fatalité. En voilà encore une preuve indéniable même si elle nous fout une trouille dingue. .
    Une première semaine de confinement et je n’ai rien lu. Ce n’est pas une surprise. Cela fait des mois voire des années que je ne lis plus, ou plutôt que je lis moins et que j’ai du mal à lire. Je me suis aussi posé des questions sur cette évolution contradictoire avec ma frénésie à acheter des livres. Non pas que je lisais énormément auparavant mais j’avais lu pas mal dans ma vie.
    J’avais trouvé deux explications concevables.
    La première venait du manque d’intérêt que j’éprouvais le plus souvent. Je commençais un livre et je ne le finissais pas ; je lisais plusieurs livres à la fois que j’oubliais les uns après les autres sans les avoir terminés. Je ne me sentais pas ou plus concerné. Un peu par provocation, j’avais conclu cette paresse ainsi : je ne lis plus de romans d’amour parce que c’est trop loin, je ne lis plus de romans de mort parce que c’est trop près. Or ces deux thèmes sont à l’origine de la majorité des romans ! J’avais un autre rejet subjectif : il fallait que je trouve l’histoire cohérente. Dans La Tâche de Philippe Roth, je ne parviens pas à croire une seconde au motif de la mise à l’écart du personnage principal. Il y a une disproportion entre sa notoriété méritée et ce motif futile, objectivement peu crédible et encore moins recevable. Alors, à quoi bon s’élancer dans une aventure non pas imaginaire mais fausse ? Je ne m’intéresse plus qu’aux récits sur la vraie vie. Bien sûr, un roman du passé passait mieux dans la mesure où il m’était difficile de juger de son authenticité en raison du décalage des époques. Je me tournai de plus en plus vers les essais, les biographies, les livres d’histoire. Je découvris ainsi par la force des choses des écrivains authentiques mais incapables d’écrire de la fiction, comme moi j’étais devenu incapable de lire de la fiction. Je les appréciais tout en me disant que leur handicap les excluait du monde de la vraie littérature où le style ne suffit pas, il faut aussi une histoire inventée mais apparemment vraie aux yeux du lecteur. J. Garcin, E. Carrère, D. Blonde en font partie et ils ont pourtant une très belle écriture. Blondin a commencé en vrai écrivain et a fini en journaliste, exceptionnel, mais en journaliste ne parlant plus que des événements réels de la vraie vie. Il n’a plus été capable d’imaginer une fiction.

    La deuxième venait de deux facteurs liés : le temps et l’usage du temps, autrement dit, la passivité ou l’action.
    Le temps. Notre vision de la vie est différente quand on la vie devant nous et quand nos jours sont comptés. Au soir de ma vie, je n’apprécie plus que ce qui me semble essentiel. Cela pose la question de savoir pourquoi ce qui me semble essentiel l’est devenu avec le temps. Est-ce cela l’expérience de la vie ? Alors, c’est une acquisition à la Pyrrhus mais pas une accession à la sagesse. Au contraire, l’expérience nous éloignerait petit à petit de tout. Quand on est étudiant, on prend les transports en commun sans état d’âme. Quand on est vieux, on les prend à nouveau mais on est devenus critiques envers ce qui nous entoure et nous insupporte : l’incorrection, l’indifférence, la saleté, les odeurs, la tristesse … Nirbhaï, mon ami indien, m’avait dit que ce qui l’avait le plus choqué en venant pour la première fois chez nous, c’était qu’en entrant dans le métro personne ne disait bonjour. Au soir de ma vie, je ne supporte plus cela.
    La passivité ou l’action ? Quand j’étais jeune, j’étais, et je me souviens de ce reproche que me faisait souvent ma femme, un passif, un sensitif non actif primaire comme je l’avais lu dans un ouvrage sérieux. Disons plutôt un passif pour les pessimistes et un contemplatif pour les optimistes. Je me souviens avoir passé un après midi entier à regarder couler la Saône devant la maison de mon ami Basile. Et puis, avec le temps ou l’expérience, l’inaction m’est devenue insupportable et je n’en connais pas la raison. Lire, aujourd’hui, comme mon ami Bertrand le fait en permanence depuis qu’il est à la retraite, me semble une erreur, une faute, voire un suicide. Quoi ? Déjà mort ? N’existerait déjà plus pour le lecteur que la vie des autres ? La sienne en est réduite à des tâches végétatives : dormir, manger et lire qui peuvent se faire seul et sans bouger. Non, la vie, notre vie, même son dernier chapitre, ne peut pas être réduite à cela, elle ne doit pas être réduite à cela.
    Il est un dernier facteur que la lucidité plus que la modestie oblige à mettre en dernier. Comme mon ami Philippe, je fais « autre » chose. Lui écrit compulsivement, moi je fais de la photographie compulsivement. Je ne dirai pas ici tout ce que la photographie m’apporte car je n’en ferai pas si ce n’était pas le cas. Et puis, moi aussi j’écris, sans prétention ni courage, pour moi, parce que j’ai tant de choses à me dire. Alors, tout ça prend du temps, beaucoup de temps, tout mon temps, y compris le temps gagné sur le sommeil par des insomnies de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues …
    Conclusion : avec les contraintes dues au confinement, je ne peux plus faire de la photo, je suis obligé d’être passif non actif primaire et je ne vois plus les autres. Alors je vais bientôt retourner à la lecture qui me semble la seule solution à toutes ces frustrations !

  6. Par les temps qui courent, mieux vaut lire des éditions de livres imprimés en caractères assez gros qui ne fatiguent pas. J’ai remarqué que les éditions de La Pléiade ne donnent aucune envie de lire, ou de relire, on est fatigué avant même de commencer à lire. Je me demande pourquoi j’en ai acheté à une époque.

  7. C’est étrange
    Je vis la même chose
    J’ai choisi Camus
    J’ai un livre de la pléiade et d’autres poches
    Je lis 15 pages et ne fixe rien
    J’etais médecin psychiatre .J’avoue que cette incapacité à lire ,m’interpelle .
    Un sujet de réflexion ?
    Etrange mais afffaire à suivre …..

  8. Voyage au bout de la nuit : moi aussi tentée, le volume de la pléiade trône sur mon bureau :nous avons parfois la lecture un tantinet snob dans la famille …
    À propose de snob , j utilisé mon carré Hermès , relique de soirées mondaines ou l on recevait un foulard en cadeau…. J étais jeune eT ironique , plus âgée je trouvé bién agréable le contact de la soie, pour m isoler du sournois Covid…
    je ne l ai toutefois pas découpe…
    ET pour achever le journal du jour du 16 , observe une silhouette sur une terrasse: pensant à un suicide imminent, je sors les jumelles d opera(suis snob..cf chanson Boris vian) eT que vois je?un bedonnant plonger sans grâce dans son jacousi…au 7 eme étage!!!
    J ai immédiatement pensé au savoureux constat d assurance que pourrait occasionner une fuite d eau….
    Mais Philippe je ne voudrais pas te replonger dans de … sinistres souvenirs….

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