Le Saint-Régis

Couleur café n°35

 Le Saint Régis
6 rue Jean du Bellay – Paris 4ème

Je m’étais bien juré qu’un jour, j’entrerais au Saint-Régis pour y prendre un verre.  L’établissement est idéalement situé, à l’angle de la rue Saint-Louis-en-l’Ile, du nom du roi capétien, et de la rue Jean du Bellay, du nom du père du poète de la Pléïade . De plus, il est juste en face de la brasserie qui me vit probablement le plus au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la Brasserie Saint-Louis.

La façade du bistrot est engageante : à l’ancienne, ses larges vitrines sur allèges dans les tons gris foncé, séparées seulement par de minces montants de style atelier, donnent une vue réconfortante sur un bar aux multicolores bouteilles éclairées par derrière.

Des premières tables du Saint-Régis, celles qui sont situées près de l’unique entrée, on a une vue sur l’abside de Notre-Dame. Le décor du bistrot est hétérogène mais attirant : le sol, les murs et le plafond sont ceux d’une boulangerie-pâtisserie d’avant-seconde-guerre : simples carreaux de céramique blanche aux murs, carreaux ouvragés et staff de même au plafond, carrelage en damier noir et blanc ordinaire au sol. Quelques présentoirs en métal brun pour baguettes de campagne dorées viennent compléter l’impression. Une longue banquette en bois verni marron foncé recouvert d’un cuir de la même couleur partage la salle dans le sens de sa longueur. Du côté vitrine de cette frontière, on pourra s’asseoir sur la banquette à des tables parfois en bois, parfois en marbre. De l’autre côté de cette séparation, côté mur, on a placé une série de sièges en bois qui ont été prélevés dans un wagon de troisième classe d’avant la même guerre que plus haut. Ils sont placés deux par deux, face à face, de chaque côté de tables en bois assorties au reste du mobilier. Toutes les vernis, les cuirs et les bois bruts sont patinés au point que par endroits le marron foncé tire sur le jaune orangé. Deux ventilateurs tournent lentement au plafond et font semblant de brasser l’air ambiant.

En ce milieu de ce samedi après-midi, l’endroit est bondé et bruyant. Pour la plupart, ce sont des touristes venus vérifier l’état de la cathédrale. Ils sont un peu déçus car ils pensaient sans oser l’espérer qu’elle s’était effondrée un peu plus que ça. Ils sont en famille ; beaucoup ont des enfants et des poussettes avec des bébés dedans. Probablement fatigués, ils sont étonnamment sages.

J’avoue que ce qui m’a attiré dans ce bistrot, c’est aussi son nom, Le Saint-Regis. Sans accent aigu, il évoque pour moi un palace, un bar chic, un cocktail-lounge où James Bond, Malko Linge et Simon Templar avant eux, avaient l’habitude de donner leurs rendez-vous à Londres, à Nassau ou à Singapour. Toutefois et tout bien considéré, je vois mal 007, S.A.S. ou Le Saint dans le décor de boulangerie vieillotte de ce Saint-Regis là.

Mais si on lit Saint-Régis-avec-accent, on pense bien sûr et tout naturellement à Jean-François Régis, ce jésuite mort de faim dans le Massif Central lors d’une mission d’évangélisation au XVIIe siècle. Ayant exclu tout rapport entre le bistrot duquel j’écris ces lignes et un palace exotique, il reste à examiner quel lien il peut avoir avec un évangéliste mort de faim il y a quatre-cents ans ? Je n’en vois qu’un seul possible : le lieu de sépulture du jésuite. Suivez-moi bien : Régis est mort dans le Massif Central, et d’un. A l’époque, la tendance était d’enterrer les gens sur place, donc dans le Massif Central, et de deux. Et qui dit Massif Central, dit Auvergne, et de trois. Et qui dit Auvergne dit bougnat, et de quatre. Et qui dit bougnat dit bistrot parisien, et de cinq. Et quand on sait que l’Auvergne compte parmi ses villages haut perchés un petit bled qui s’appelle justement Saint-Régis-du-Coin — ça ne s’invente pas — on peut légitimement penser que sur ses quatre-cents habitants, il y en a bien un qui est monté à Paris pour ouvrir un bistrot et accrocher fièrement l’enseigne « Le Saint-Régis ». On comprendra que le même ait laissé tomber le « du coin » qui manquait un peu de prestige, et de six. C.Q.F.D.

Un peu plus tard, en discutant avec le serveur, j’apprends en quelques minutes que le patron du Saint-Régis est grec, que son prénom est Rigas, que la traduction de Rigas est Régis, que le décor actuel, tant pour les carreaux de céramique que pour les sièges en bois et les présentoirs à baguettes — qui étaient à l’origine de simples porte-bagages — a été acheté en bloc à la RATP lors d’une vente aux enchères, que Jean du Bellay est un cardinal qui, mis à part le siècle dans lequel il a vécu, n’a rien de commun avec Joachim le poète et qu’en fait, le serveur avec qui je suis en train de discuter est le patron du Saint-Régis.

C’est fou comme on peut se tromper !

 

3 réflexions sur « Le Saint-Régis »

  1. Bon! Me voilà rassuré de savoir car on ne nous dit pas tout. Pour l’Ile de Sein je savais qu’il y avait une dérogation comme pour Saint-Pierre et Miquelon qui remonte à 1940.

  2. La semaine dernière.Le statut particulier de L’ile Saint-Louis qui la fait dépendre directement du recteur de l’ile De Sein, lui permet d’échapper Aux mesures de confinement en accord avec Donal Trump qui considère que la présence des bras de Seine et la fermeture des ponts suffisent à la protéger de l’épidémie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *