Dernière heure : Pour Facebook, votre vie privée ne vaut pas un clou

Dernière heure : Pour Facebook, votre vie privée ne vaut pas un clou.
Mardi 8 janvier

Cet article du New York Times est un peu long, je le reconnais. Je l’ai néanmoins traduit car il me parait plein d’enseignements pour les utilisateurs innocents de Facebook, qui ne veulent toujours pas voir les perversités et hypocrisies du fournisseur principal de cette drogue du XIXème siècle : les réseaux sociaux.

Il intéressera peut-être aussi les professionnels du droit qui voudront bien excuser les maladresses juridiques que j’ai pu laisser passer lors de ma traduction.

Mon faible vernis juridique me conduit à penser que la situation française ne doit pas être différente, dans la mesure où j’ai toujours compris qu’un préjudice inchiffrable n’en était pas un.

***

On devrait pouvoir trainer Facebook en justice
Une violation de la vie privée est un préjudice véritable.
Neem Singh Guliani – Avocate
New York Times – 6 janvier 2019

Après la révélation par le New York Times le mois dernier que Facebook a continué à partager les informations personnelles de millions de consommateurs avec des Sociétés telles que Netflix, Yahoo, Spotify et Google — en dépit de ses déclarations contraires devant le Congrès — beaucoup de gens ont décidé d’effacer leurs comptes Facebook. Mais si les agissements de Facebook, telles qu’elles ont été décrites par le Times, violaient la loi, les consommateurs devraient pouvoir être en mesure d’envoyer un message encore plus fort, un message qui pourrait marquer plus fortement le compte d’exploitation de la société : la poursuite de la société pour dommages causés. Facebook le sait et a déjà agi de manière à rendre ces poursuites quasiment impossibles.

Par exemple, des consommateurs ont récemment engagé des poursuites en Illinois contre Facebook pour avoir violé une loi d’État sur l’atteinte à la vie privée en utilisant sans leur accord la technologie de reconnaissance faciale sur des photographies qu’ils avaient chargées. Facebook se défend en tentant d’amener la Cour à adhérer à des arguments troublants qui rendraient encore plus difficile pour les consommateurs de poursuivre les sociétés contrevenantes pour dommages causés. Facebook prétend que la loi en cause ne donne pas aux consommateurs un droit de poursuivre une société, autrement connu en tant que « droit privé d’action« , qui serait basé uniquement sur le fait qu’elle aurait violé la loi. Au lieu de cela, selon Facebook, les consommateurs devraient établir que la violation de la loi aurait causé un préjudice supplémentaire au-delà d’une simple violation du droit d’obtenir réparation en justice.

Si on applique cette interprétation détournée de la loi dans ce cas à d’autres contextes, le fait de partager vos messages intimes sans votre permission ou de remettre des détails de vos profils à des opérateurs politiques sans votre accord — même si ceci est en violation flagrante de la loi — tout cela ne couterait en justice pas un centime à la société. Facebook, de façon paradoxale, prétend que la vie privée n’a pas de prix en soi, même dans les cas où c’est précisément le non-respect de la vie privée qui permet de réaliser un profit. Ce n’est pas la première fois que nous voyons cet argument, et d’autres sociétés ont développé des arguments semblables dans des affaires de vie privée. De plus, des acteurs majeurs de l’industrie, y compris la Chambre de Commerce des USA, ont avancé des vues semblables. Ils combattent toute législation qui voudrait donner aux consommateurs la capacité de poursuivre les sociétés pour atteinte à la vie privée et ils font du lobbying pour une législation fédérale pour laquelle l’application serait liée seulement à des dommages matériels, et pas nécessairement à des violations de la loi.

Il est facile de comprendre pourquoi.

Les gigantesques atteintes à la vie privée sont devenues monnaie courante. En l’absence d’un « droit privé d’action« , les consommateurs ont peu de possibilités pratiques pour chercher réparation dans les cas où leurs données ont été mal gérées ou mal utilisées. Cette situation empêche l’utilisation d’un puissant bâton légal qui dissuaderait de violer la loi. Un « droit privé d’action » serait aussi important parce que souvent les agences gouvernementales n’ont pas les moyens d’investigation ni d’action pour traiter chaque cas où les droits à la vie privée des consommateurs sont violés. Ainsi, le « droit privé d’action » pourrait bien être la seule voie qui permette de rechercher la responsabilité des sociétés.

Dans de rares cas, le dommage causé par une atteinte à la vie privée peut être clair, tels qu’une perte d’emploi, d’argent ou de sécurité. Mais dans la plupart des cas, le préjudice, tout impressionnant qu’il soit, peut être virtuellement impossible à mesurer. Par exemple, comment prouver l’impact global des actions des sociétés qui vous « profilent » sur la base de données de santé sensibles en vue de modifier le contenu de ce que vous voyez et des annonces qui vous sont envoyées ? Comment mesurer l’impact sur la sécurité nationale ou sur la société en général du ciblage de personnes avec des annonces clivantes ou opportunistes. Comment déterminer l’impact collectif de la privation pour les consommateurs du contrôle des informations qu’ils possèdent et de la divulgation des détails intimes de leur vie, comme leur situation relationnelle ou politique à d’innombrables entités ? Les acteurs de l’industrie cherchent souvent à tirer avantage de l’extrême difficulté qu’il y a pour la plupart des gens à démontrer exactement comment ils ont été atteints par une violation de leur vie privée. La barre est placée tellement haut qu’elle est presque impossible à atteindre pour les consommateurs et les régulateurs qui tentent d’agir dans le domaine des atteintes à la vie privée. Dans la ligne selon laquelle les consommateurs doivent établir un dommage « concret », il ne serait pas suffisant de démontrer qu’une société a violé la loi, par exemple en partageant ses informations sans autorisation. Et il ne serait pas suffisant de démontrer que des millions de consommateurs ont été affectés ou que des milliards d’informations ont été indument partagées. Pour qu’une amende ou des indemnisations soient prononcées, les consommateurs auraient la lourde charge de démontrer que l’utilisation illégale de leurs données leur a causé un préjudice de manière tangible et mesurable, comme de provoquer un dommage physique, émotionnel ou financier.

Cette limite aux poursuites que pourraient engager des consommateurs peut être bénéfique pour l’industrie, dans la mesure où elle peut les protéger de poursuites légitimes naissant de leurs pratiques irresponsables dans le domaine du traitement des données et les aider à sortir pratiquement indemnes de violations à grande échelle de la vie privée de millions de personnes. Mais c’est une mauvaise chose pour tous les autres.

Dans la vague des innombrables scandales relatifs aux données, il est de plus en plus clair que ceux qui payent le prix de ces scandales sont les consommateurs, alors qu’en même temps, beaucoup d’acteurs majeurs de l’industrie continuent à engranger d’énormes profits. Il est plus que temps de remédier à ce déséquilibre. Alors que le Congrès examine la législation fédérale relative à la vie privée, il devrait être rendu clair qu’une atteinte à la vie privée est un dommage et que les consommateurs ont un droit à poursuivre en justice les sociétés qui les pratiquent.

9 réflexions sur « Dernière heure : Pour Facebook, votre vie privée ne vaut pas un clou »

  1. René-Jean, il m’arrive aussi d’être quadrupède lorsque je suis maladroit et que j’ai des pieds à la place des mains !

  2. Merci Jean de ton commentaire approbateur… Certains aiment donc Proust ET Nietzsche!

    Merci aussi de m’obliger à feuilleter mon petit Robert… ‘Quadrumane’

    ‘Quadrumanus,’ bas latin pour décrire un animal qui vit en hauteur, le singe, doté de quatre mains pour appréhender tout ce qui passe et se mange ou peut être jeté sur les gilets jaunes (qu’ils décrivent d’un nom gaulois sans pour autant ch… au lit!)

    Selon notre Mahomet (créateur d’Allah) occidental, Darwin (concepteur de notre déesse ‘Évolution’), l’homme est un singe évolué qui au lieu d’avoir quatre mains, se contente de deux afin de pouvoir ‘prendre son pied’ dans chacune!

  3. « vivez enfin Nietzschéennement! »
    J’approuve en quadrumane René-Jean Ravault. Nietsche est tonique.

  4. Je ne répéterai pas que « les grands esprits se rencontrent! » n’ayant pas atteint, pour ma part, cette altitude, mais, dans mes lectures quotidiennes, je suis aussi tombé sur cet article du NYT.

    Je me suis contenté de le ‘downloader’ (télédécharger) et de le lire. Baignant, par médias interposés, dans ce que Habermas appelle ‘la sphère publique’ américaine et ayant fait la dernière partie de mes études supérieures avé les cochons et les vaches en Iowa (City), je ne me ‘bâdre pas’ (québéquisme) de traduire; je fais appel à ma deuxième vie ou personnalité seconde, l’américaine pour donner un sens (forcément le mien, puisque lire c’est construire la signification de ce que l’on a sous les yeux en fonction de ce que l’on a derrière la tête [votre humble serviteur]) à ce que je lis dans la langue de Robert Redford…

    je salue donc l’excellent travail de Philippe (‘traduire c’est trahir’ Roland Barthes ou Umberto Eco ou un autre). je ne pinaillerais pas, sauf sur la terminologie qu’il évoque d’entrée de jeu: ‘un préjudice inchiffrable’ auquel j’opposerai, avec beaucoup de bémols, une vie privée ‘inestimable,’ terme qui permet de souligner le dilemme éthique: on ne saurait rembourser ou compenser financièrement l’inestimable… ce qui fait l’affaire de Facebook et de beaucoup d’assureurs…

    Mais comme on parle d’un montant de $ ou d’€, ‘inchiffrable’ est aussi un bon choix.

    Mais, rassurez-vous, là n’est pas l’objet de ce rarissime mien commentaire.

    Je ne me suis pas trop énervé (ce qui est rare) en lisant cet article, pour trois raisons.

    Le première est que je me suis senti partiellement incompétent. Je n’aime ni les chiffres ni le droit donc par endroits et beaucoup plus que Philippe, je ne me suis pas senti hyper compétent pour décrypter adéquatement certaines pointes du fromage ou de tarte d’experts…

    La seconde est que lorsque je fis mon doctorat en communication de masse chez les ‘Déplorables’ de l’Iowa, je rêvais de faire ce que Facebook et consorts parviennent à faire de nos jours. (et que dénonce cet article duNYT)

    Lorsque j’eus la chance de pouvoir faire mon services militaire dans la coopération culturelle à l’étranger, j’avais choisi le Canada francophone que je savais pas trop éloigné de New York. Mon père étant affichiste publicitaire mais n’étant pas aussi doué que lui en dessin, je voulais, par atavisme et réseaux de relations paternels, devenir stratège publicitaire! Je suis donc allé à Moncton, sur ordres du Général, dans le but de passer ma permission d’été chez D’Arcy, grande agence publicitaire new yorkais située sur Park Avenue où les ‘relations’ (French connections) de mon père ont pu me dénicher un stage.

    La chance me souriant, l’Université de Moncton, où j’enseignais la sociologie et la psychologie sociale apprises à La Sorbonne, ne voulant plus de sociologues français soixante-huitards (il y eut aussi un 68 et un 69 en Acadie [voir ‘L’Acadie, l’Acadie]) l’université acadienne m’offrit une bourse pour faire un doctorat dans une autre discipline que la sociologie et surtout dans une université anglophone, histoire de mettre mon cerveau à l’heure locale. (Les canadiens francophones, parlent français mais pensent américain)

    Évidemment, j’ai sauté sur l’occasion… quoi de mieux qu’un doctorat américain en ‘mass communication’ pour devenir stratège chez Publicis ou Avenir publicité à Paris où je comptais encore revenir alors?

    Au cours de ces études dans le pays créateur de la publicité et de la communication, en début 70, je découvris que la grande obsession des chercheurs en pub. était de faire coïncider ‘le Kaddy’ ou ‘le panier de la ménagère’ (expression très datée et machiste) avec ‘l’habitus (voir Bourdieu) communicationnel (consommation de médias mais aussi insertion psychosociologique dans les propres réseaux de coerséduction)’ de la dite ménagère.

    La plupart des recherches publicitaires consistaient à inclure dans l’emprunte (footprint) des médias (alors traditionnels ou de masse) ou dans la culture anthropologique des réseaux sociaux qui, alors, n’étaient qu’interpersonnels ou intersubjectifs (d’où la CoerSéduction de mon cru) les consommateurs existants à fidéliser ou potentiels à attirer des produits et services de l’annonceur (ou client de l’agence de pub.)

    Grâce à Facebook et consorts, tout ce travail de recherche est réalisé par les consommateurs eux même qui s’exhibent sur la toile à toutes heures du jour et de la nuit au sein de leurs réseaux de coerésuction. Leur vie privée leur semble suffisamment interessante pour que leurs amis (et beaucoup d’inconnus) l’estime (puisque, à leurs yeux, elle est estimable… La preuve, je le fais moi-même ici en ce moment!)

    Tout cela, en principe a donc pour but d’éviter les gaspillages publicitaires d’antan (70 à 90 % des budgets médias étaient gaspillés) l’emprunte des médias couvrant rarement l’habitus communicationnel des consommateurs ciblés.

    Aujourd’hui, la pub nous rejoint mieux et caresse mieux nos cordes sensibles puisque, grâce à Facebook et consorts, les publicitaires connaissent mieux notre habitus que nos propos exhibitionnistes leur ont révélé.

    Tout le monde (producteurs et consommateurs) gagne du temps et de l’argent. On peut même éviter magazins et vendeurs… d’où Amazone!

    Évidemment, le prix à payer est la perte des secrets de notre vie privée!

    Ce qui m’amène à mon troisième et dernier point… Ouf!

    Ce que l’article du NYT dénonce ne m’affole guère car je vis comme le personnage qu’incarne Robert Redford dans ‘The 3 Days of the Condor’ (consultez le net!)

    Dans ce film, l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux et qui là ne monte qu’un Solex (à New York en 74-76, c’est fort la pub quand même) cherche à déjouer les prévisions de la CIA qui le poursuit pour l’éliminer (voir le résumé du film sur le net). Redford change fréquemment de montures (‘Cherchez LE Femme’ disent les détectives américains) d’habitat, d’habitudes, d’habitus quoi!

    Si vous souhaitez que votre vie privée reste secrète, privatisez là en menant une vie trépidante, pleine d’imprévus, sans la moindre habitude, reniez vos croyances, si vous êtes hatées, convertissez vous à l’Islam! Mais n’allez pas en Syrie, la CIA vous y attend… enfin vous y attendait…

    Pour déjouer Facebook, le fisc, les détectives de votre conjointe et la CIA vivez enfin Nietzschéennement!

  5. Je pense que les preuves du préjudice doivent en effet être produites. Pour ce qui est de leur estimation, même un préjudice immatériel peut être estimé : préjudice psychique, privation de jouissance etc…
    Il existe également un système d’astreinte. Par exemple : 500 Euros d’astreinte par jour jusqu’à ce que le contrevenant se soit mis en conformité avec la décision du juge. Et l’estimation de cette astreinte dépend de la seule appréciation du juge en dernier ressort, sans qu’il doive être fait appel à des experts.

    En revanche, si un Etat ne reconnaît pas tel ou tel type de préjudice (je pense au droit au blasphème), il est plus difficile de faire admettre son dommage.

  6. …du juge, qui demandera à un ou plusieurs experts d’evaluer Le préjudice, qui demanderont à la victime de l’etablir avec preuves a l’appui. Et comment prouver et chiffrer les différents exemples cités dans l’article ?

  7. En vertu de l’article 9 du Code civil, toute personne qui considère que son droit au respect de la vie privée a été atteint peut porter plainte pour demander des dommages et intérêts à la personne coupable de cette atteinte.

    L’estimation de ce préjudice relèvera de l’appréciation du juge.

  8. Facebook m’écœure et devrait être interdit depuis longtemps et Zuckerberg mis en prison. Mais plus rien de m’étonne de ce qui se passe de l’autre côté du big pond. Ce soir je dit:
    Zuckerberg et Facebook au pilori!
    Dump Trump!
    Libérez Carlos Ghosn, que son successeur Mr Saikawa et principal accusateur se fasse hara-kiri!

  9. J’ai fermé mon compte Facebook (ouvert il y a 10 ans pour suivre mes enfants, et finalement jamais utilisé).
    Je ne fais plus de recherche avec Google; plutôt Qwant, site européen (français ?).
    Je n’ai aucun produit Apple
    Je n’ai jamais rien acheté sur Amazon: il y a une très bonne librairie à Vincennes (j’avoue une exception: je n’ai trouvé que sur Amazon une réédition d’un livre écrit par mon arrière grand-père Paul Vuibert en 1913)
    Il est plus facile de résister aux Gafa que de les trainer en justice pour violation de la vie privée!

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