Archives de catégorie : Récit

Le stockfisch et la méduse

Couleur café 

diffusé pour la première fois le 8 juillet 2014

Le Soufflot, rue Soufflot

 Cet après-midi, je me suis installé tranquillement avec ma canne anglaise et mon iPad à la terrasse du café Soufflot. Il faisait doux et j’avais soigneusement choisi une table à l’extérieur, avec banquette en vannerie perpendiculaire au trottoir. De cette manière, je faisais face au bas de la rue, avec en horizon la cime des arbres du Luxembourg. J’ai commandé mon demi pression à un garçon pour une fois aimable, qui m’a servi dans les deux minutes une bière très comme il faut.

J’ai sorti mon iPad, je l’ai ouvert et je l’ai connecté à Internet par le biais du réseau wifi du bistrot. Ça a marché tout de suite.

Tout allait donc bien, très bien même. J’étais en paix avec le quartier pour ne pas dire avec l’Univers, dans des dispositions d’esprit parfaites pour travailler mon texte sur cette gentille petite scène dont j’avais été le témoin il y a quelques mois dans un autre bistrot, celui du haut de la rue Gay-Lussac, et à laquelle j’avais donné comme titre provisoire: « Le bon, la brute et les enfants ».

J’ai entrepris de relire l’ébauche que j’avais écrite le jour même de la scène.

Et puis, c’est arrivé. J’ai commencé à percevoir la voix Continuer la lecture de Le stockfisch et la méduse

Pisistrate

Il y a toujours à apprendre des Grecs, surtout des antiques.
Prenez Pisistrate par exemple. Athénien de bonne famille, il vécut de 600 à 527 avant J-C.
Maitre dans l’art d’exciter les passions populaires, il parvint à la Tyrannie en l’an 561 de la manière suivante : blessé accidentellement par son barbier, il se présente devant la foule le visage ensanglanté en prétendant qu’on vient de tenter de l’assassiner.
On le croit, il est pris en pitié et se voit accorder le droit de se faire accompagner partout d’une garde constituée de porte-matraques pour le protéger.
C’est avec cette garde qu’il s’empare de l’Acropole et se fait nommer tyran. Il le restera jusqu’à sa mort à l’âge de 73 ans. Continuer la lecture de Pisistrate

Journal de prisonnier, dernière édition

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse : 

3 aout (1940)

Je me fous de tout. Je n’ai plus de courage. De plus en plus impatient, j’attends ma mère avec les papiers nécessaires pour ma sortie du camp.
Nous devenons un peu fous. Nous interprétons tout de travers. Mes nerfs sont tendus comme une corde prête à se rompre.
J’écoute le haut-parleur qui m’appelera peut-être tout à l’heure…
Deux femmes venues d’Andilly en vélo ont accepté d’aller pour nous à Paris. Elles prendront le train, se chargeront de nos courses. Prunet, Mas, Dumousseau, Poirier et moi nous leur confions nos espoirs. Petites lettres…Elles reviendront apporter leur réponse ici dans deux ou trois jours.
Ce soir, les Ponts et Chaussées partent à leur tour, avec des faux papiers fournis par Continuer la lecture de Journal de prisonnier, dernière édition

Allumer le feu

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse :

Il serait peut-être exagéré de vous dire que je suis un pur esprit, mais ce qui est certain, c’est que je ne suis pas un manuel. En général, mes confrontations avec la matière ne se terminent pas à mon avantage et laissent un désordre souvent remarquable dans l’espace environnant. Encore heureux quand il n’y a pas de blessé.
Il serait certainement inexact de vous dire que je méprise l’exécution des tâches matérielles, mais j’avoue que je les évite, et quand je suis contraint d’en accomplir une, je n’y prête pas vraiment attention, je l’oublie instantanément et serais bien incapable de vous la raconter.
Pourtant, puisque c’est votre question, il en est une que je pourrais vous décrire assez précisément pour l’avoir accomplie un nombre considérable de fois. C’est celle qui consiste à allumer un feu.
Avant de me lancer dans cette vaste fresque, j’ai hésité entre deux modèles : le premier était celui de la courte nouvelle de Jack London, « Construire un Feu« , qui, dans un style à la fois sobre, humoristique et tragique, expose la nécessité vitale pour le héros d’arriver à allumer un feu. Le deuxième était « L’oncle Podger accroche un tableau« , chapitre délirant du roman d’humour britannique et désuet de Jerome K.Jerome « Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien)« .
Si vous avez lus ces deux courts chefs d’œuvre, vous pourrez juger par vous-même de quel côté je suis tombé. Si vous ne les avez pas lus, tant pis pour vous.

*

Quand nous arrivons de Paris dans notre maison de campagne, quand nous avons Continuer la lecture de Allumer le feu

Les neiges d’antan

C’est le programme minimum de l’été.

Alors, on rediffuse : 

Ce texte a été écrit et publié en octobre 2016. Neuf années plus tard, quand chaque matin, le vent d’ouest et le vent d’est nous apportent leur lot de nouvelles ulcérantes, il est bon de se rappeler les plaisirs minuscules et les soucis ridicules d’autrefois.

Chronique des années 10 

3 – Sainte Geneviève 

-7:30 réveil.
Petit déjeuner habituel : café allongé sans sucre, trois ou quatre tartines sans gluten avec une légère couche de Saint Hubert sans cholestérol. Quelques compléments alimentaires pour le soyeux du poil. Les dernières nouvelles sur BFM : Alep est encore plus détruite qu’hier et Mossoul bien moins que demain. On va organiser un referendum auprès des zadistes pour savoir s’ils approuvent le referendum qui vient d’approuver le projet de Notre Dame des Landes. Il sera toujours temps ensuite de vérifier si cette consultation était bien constitutionnelle. On apprend que notre président a tout avoué, sans anaphore ni vergogne, tout simplement. Bonne nouvelle : quatre cents emplois Alstom ont été sauvés à Belfort pour les deux années qui viennent, à un million le bout. C’est l’Etat stratège qui a trouvé l’idée. Celui-là même qui n’avait rien vu venir a décidé de passer commande pour une trentaine de locomotives capables de rouler à plus de 300 km/ heure pour les faire circuler sur des voies inter-cités, où, techniquement elle ne pourront pas dépasser le 200km/heure et où, de toute façon, compte tenu des faibles distances entre arrêts, rouler plus vite n’aurait aucun intérêt. Il sera toujours temps de voir si cette commande sans appel d’offre était Continuer la lecture de Les neiges d’antan

La cerise sur le gâteau

par MarieClaire (Ce texte a été diffusé pour la première fois le 21/11/2017)

Le réveil sonne. Pas une vraie sonnerie, plutôt un genre de klaxon. Elle déteste ce bruit et sursaute. Il est sept heures trente, il serait temps de se lever, mais avant, elle s’étale encore une fois dans le grand lit tiède où elle est seule : Louis est parti la veille à Toulouse. Il se donne des airs importants quand sa boîte l’envoie en province. Lui et son fidèle attaché-case, cette idée la fait bien rire.

Ce matin, elle ne ressent pas l’élan qui devrait la mettre à bas du lit. Elle est seule, si tranquille. Penser à ce qui l’attend : la foule du métro, les heures au bureau, enfermée avec un travail sans intérêt, les collègues agaçants… Elle les voit déjà : Monsieur Poinseau son chef pointilleux, Simon qui a toujours perdu quelque chose et la dérange constamment, Suzanne et son sourire pincé. Il y a aussi Alma qui se prend pour une star et qui ne s’appelle sûrement pas Alma, plutôt Janine ou quelque chose comme ça…

Non, pas ce matin, elle ne pourra pas les affronter. Impossible de se lever. Ce serait si bon Continuer la lecture de La cerise sur le gâteau

Go West ! (95)

(…) Quant à Julius, je n’ai retenu de lui que ce que j’en ai dit plus haut : son accent, son rire, quelques bribes de sa vie, son ouverture d’esprit et sa gentillesse. Et soudain je me rappelle qu’alors que nous approchions d’Harrisburg, il m’a dit :
— Aujourd’hui, tu es un étudiant. Tu voyages, tu vois des pays, tu découvres des choses. Plus tard, tu seras un ingénieur. Un jour sans doute, tu seras important ; les gens t’écouteront. Alors quand tu leur raconteras ton voyage en Amérique, sois juste avec mon pays.

Nous sommes arrivés Harrisburg le vendredi 17 août en début d’après-midi. Une heure avant, nous nous étions arrêtés une dernière fois pour faire le plein d’essence dans une station-service. Julius avait consulté la carte routière offerte par Esso pour repérer la route qui pourrait me mener jusqu’à Washington, puis, il avait ouvert le coffre de la voiture et en avait extrait un rectangle de carton blanc. C’était le couvercle de la boite dans laquelle il avait rangé quelques livres et des dossiers. A l’aide d’un gros crayon bleu puisé au fond du carton, il avait tracé les contours de deux grandes lettres capitales qu’il avait ensuite remplis au moyen d’un gros crayon bleu. Le rectangle blanc disait maintenant « D.C. » Il me l’avait tendu en disant :
— Tiens ! Ça suffira. Les gens comprendront où tu vas.
Nous sommes repartis pour nous arrêter plus loin dans la dernière station-service avant l’embranchement pour Washington. Nous avons pris ensemble un dernier Coca et un dernier sandwich et puis je suis allé me placer à la sortie de la station et j’ai commencé Continuer la lecture de Go West ! (95)

Carpe diem, quam minimum credula postero

C’est pas pour me vanter, mais c’était quand même mieux avant !
Regardez un peu cette image de  la Fontaine Carpeaux. Elle date de cent cinquante ans.

Les hommes portent chapeau mou, melon ou gibus. Dans un coin, un ouvrier incongru porte une casquette.
Les femmes, elles aussi, sont en chapeau. Elles portent des robes à fronces et drapés, cintrées, baleinées, avec multiples découpes et manchettes incrustées. L’érotisme est dans les bottines à talons.
C’est pourquoi les jeunes filles, elles, portent des Continuer la lecture de Carpe diem, quam minimum credula postero

Go West ! (94)

(…) Julius rentrait chez lui chargé de cadeaux pour toute la famille mais, comme il me l’apprît quelque part entre Las Vegas et Denver, le cadeau le plus extraordinaire qu’il rapportait était pour lui : c’était sa voiture, la Cadillac Fleetwood Sixty Special, année 55, couleur rose, exactement le même modèle et la même couleur que la voiture d’Elvis Presley.

Si, comme le monde entier, je connaissais Elvis Presley, à cette époque, je n’en étais pas vraiment fan. Je me rangeais plutôt parmi les adeptes de Duke Ellington, d’Oscar Peterson et d’une récente révélation, Dave Brubeck. Que deux microsillons de Ray Charles figure dans ma discothèque me paraissait une concession suffisante à la musique populaire. Alors Elvis…
Je ne savais pas grand-chose de sa musique et pas davantage de sa vie privée. Mais je savais qu’effectivement, un jour, Elvis avait acheté une Cadillac rose. Cet événement avait déclenché les commentaires ironiques des journaux français qui y avait trouvé la confirmation du mauvais goût bien connu des Américains.

Julius avait acheté la voiture à un marin de la base de San Diego, un fils de famille, qui lui-même l’avait gagnée au poker à un vague scénariste hollywoodien. Le marin achevait un engagement d’un an dans la Marine que son conseil Continuer la lecture de Go West ! (94)

Se baigner dans la Seine ? 

Sous l’influence du lobby constructeur d’EDP (Engin de Déplacement Personnel) et corrupteur d’édiles, la voie Georges Pompidou a été sacrifiée sur l’autel festif du parisianisme bobo hidalgien. Le bon Georges n’en a pas fini de se retourner dans sa tombe.
Le 17 juin dernier, je l’ai parcourue, cette voie, du Pont des Arts au Pont Sully-Morland. Il faisait une chaleur à convertir un climato-sceptique. Curieusement, et malgré les hordes bigarrées de touristes ébahis et bon enfant ou épuisés et hargneux qui recouvraient les quais supérieurs, les ponts, les boulevards, les avenues, les places et les terrasses, sur l’ex-voie sur berge il n’y avait personne ; ou presque. À part quelques amoureux enlacés sur les pelouses à tiques et herbes folles, quelques clochards mal réveillés à odeur de régurgitation, quelque solitaires suicidaires et indécis car ne sachant pas nager, et deux ou trois égarés cherchant à sortir indemne de cette fournaise, il n’y avait personne ; ou presque. Dans les personnes ou presque, je ne compte pas les centaures arrogants Continuer la lecture de Se baigner dans la Seine ?