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Désirer l’infinitif

Marie-Claire

Avoir le cœur qui flanche, les larmes au bord des yeux. Sans trop savoir pourquoi, ne plus se passionner pour rien. Faire saigner ses chagrins comme un enfant égratigne un genou blessé.

Chercher refuge auprès du piano. Poser ses mains sur le clavier. Frapper une touche, puis deux, retrouver ses automatismes.

Traduire avec ses doigts les notes que l’on a gravées dans sa mémoire, les laisser pénétrer en soi, ressentir un bien être, une chaleur, la paix.

Ecouter la musique, d’abord tendre, s’enflammer. Y trouver l’écho de ses sentiments, communier avec elle, s’y noyer.

Interpréter enfin le calme revenu, se détendre.

Effleurer le clavier d’une dernière caresse et quitter le piano, consolé.

 

Prendre sur soi, être toujours sur le qui-vive. Offrir de soi une image si lisse que rien ne s’y accroche. Donner satisfaction… Et voir le temps passer.

Dans un sursaut, lâcher prise. Décider de prendre du recul.

Choisir un moyen simple, prendre un congé, partir à la campagne. Marcher, mais marcher attentivement… Prendre de la terre entre ses doigts, retrouver son odeur un peu âcre qu’on avait oubliée. Observer le frémissement des feuilles, l’envol des oiseaux, la lumière changeante. Se griser des parfums : herbe froissée, mousse humide, champignon écrasé.

Se fondre dans la nature, participer à cette fête. Eprouver de la joie, récupérer son corps, se sentir vivant.

Avancer, aller jusqu’à la fatigue. Et puis, se rendre à l’évidence, il va bien falloir rentrer. Mais on n’est plus le même, on a retrouvé le plaisir d’exister.

Les journées de Monsieur Lambert

Ce texte est de Marie-Claire.
C’est sa deuxième publication.
La première date du 19 novembre 2016

Monsieur Lambert est ponctuel, c’est une qualité que sa femme lui reconnaît. Il ne se permet pas de flâner, la vie dans la maison est réglée comme ça, pas de temps perdu, pas de laisser-aller, une efficacité maximum. Même les enfants, un garçon et une fille, subissent cette loi et Madame Lambert en est fière.

Comme d’habitude, elle le regarde partir au bureau. Il est huit heures, il décroche sa gabardine du portemanteau, Il l’enfile, enroule son écharpe autour de son cou, prend son attaché-case, crie « A ce soir » à sa femme et claque la porte. Il a pris soin, avant de partir, de ramasser sa carte orange sur la console de l’entrée et de la mettre dans sa poche.

Il sort à petits pas, regarde le ciel menaçant puis monte dans sa voiture qu’il a garée devant le portail.

Arrivé à la gare, il prend le RER, ne descend pas à Étoile, station de son bureau, change à Châtelet, sort enfin à Luxembourg. Il avance droit devant lui, puis il tourne à droite, quitte le boulevard Saint-Michel pour la rue Soufflot.

Encore quelques pas et il se retrouve dans les pas de sa jeunesse : à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Il se sent chez lui. Les bibliothécaires le saluent d’un cordial « bonjour ». Chaque jour, elles s’étonnent de le revoir là : il ne correspond à aucun type d’habitués, trop vieux pour être étudiant. Trop jeune pour être retraité et sa façon de lire est si étrange ! Il choisit chaque matin une lettre de l’alphabet, dans l’ordre, et il prend trois livres dont le nom de l’auteur commence par cette lettre. Aujourd’hui, il en est au M -Malraux, Maupassant, Mauriac…Il ne les emporte jamais ; une fois son choix fait, Il s’installe à une place et passe la journée là, absorbé au point d’en oublier de sortir déjeuner.

Il est trois heures. A la maison, Madame Lambert fait des rangements et pense à son mari. Elle a beau le sermonner, il est incapable d’obtenir de l’avancement. Ce soir, elle lui en reparlera.

A la bibliothèque, Monsieur Lambert bouge. Il va rendre un livre pour se dégourdir les jambes. Les trois dames lèvent le nez. Le petit homme leur sourit. La plus jeune suit la progression méthodique de ses lectures. Arrivé au bout de l’alphabet, que fera-t-il ?

A six heures, Monsieur Lambert quitte la bibliothèque. Chaque soir, le voyage lui semble plus pénible : RER, changement, RER puis trajet en voiture.

Une fois chez lui, il pose sa carte orange sur la console, manteau, embrasse sa femme.

-Comment s’est passée ta journée ? demande-t-elle. Monsieur Lucas est-il toujours content de toi ? Tu pourrais lui demander une augmentation !

Cela lui rappelle les retours de l’école et les questions de sa mère : « As-tu été sage ? Quelles notes as-tu eues ? Tu pourrais faire mieux !  » Il en a la chair de poule.

Les enfants sont rentrés, il se garde bien de les questionner.

Les jours passent. Monsieur Lambert a négligé la lettre X, Xénophon ne le tente pas. Le Y lui apporte Yourcenar et Il oublie pendant quelques heures l’échéance qui approche. Un jour de plus et le Z sera là. Finir avec Zola, ce n’est pas si mal. Il a déjà vécu cent vies à travers ses lectures. Il a connu l’amour, la jalousie, la haine, l’avarice et la prodigalité, tant de péripéties.

Le jour suivant tire à sa fin. Il est près de cinq heures. Les enfants, rentrant de l’école, trouvent leur mère singulièrement nerveuse. Elle vient d’avoir un appel de la banque : « Votre compte est débiteur, Madame. » Elle ne comprend pas, elle va appeler leur père au bureau. Le petit garçon s’interroge aussi : depuis quelques temps, Papa se propose pour l’aider à faire ses dissertations, c’est nouveau. Sa sœur, elle, se contente de sucer son pouce.

Loin d’eux, Monsieur Lambert réfléchit. Il sait que l’heure de vérité est là. Les ressources de l’alphabet sont épuisées, ses ressources financières aussi. On lui avait donné de l’argent pour qu’il parte, Il n’y en a plus. Comment aurait-il pu annoncer à sa femme qu’on le payait pour se débarrasser de lui ?

Mais le temps passe, maintenant il est six heures. Il rend les derniers livres, adresse un salut aux dames et sort. Il achète un paquet de caramels, qu’il mange, un à un. Il déchire sa carte orange en confetti. Les petits morceaux colorés se mêlent aux papiers des caramels, s’envolent et tombent derrière lui, seules traces de son passage.

Il hésite puis se met à descendre le boulevard. Au début, on le bouscule encore. Il croise une multitude de femmes auxquelles il donne un nom : Anna, Emma, Mathilde, compagnes de ses journées volées.

Plus il avance, plus il a l’impression de fondre, de se dissoudre dans la foule, de s’évaporer. C’est doux, confortable, il est léger, léger…Arrivé place Saint-Michel, il ne voit même plus son reflet dans les vitrines.

Automne indien

Il fait très chaud. Après un mois de septembre pluvieux, l’automne s’est fait radieux.

Dehors, sur la terrasse, deux chaises longues attendent leurs occupants. Le tourniquet diffuse une fine pluie sur la pelouse et elle aimerait profiter de sa fraicheur, mais il a décidé de monter la bibliothèque. Les cartons la contenant encombrent le garage depuis des semaines !

–Déballe les montants pendant que je prends les mesures, dit-il.

Elle s’exécute avec mollesse et maudit cette maison qui depuis des mois lui gâche tous ses dimanches.

–On aurait ou choisir un jour de pluie pour faire ça. Il fait si beau…Ne fais pas les trous avant d’être sûr des mesures.

Elle frémit à l’idée de voir percer le joli papier peint et puis des gouttes de transpiration lui coulent le long du dos.

–Tiens les montants le long du mur. Du courage ! Après, nous en aurons fini.

Fini ! Si seulement c’était vrai ! Tout en obéissant aux ordres, elle tricote sa rancœur. Est-ce que ça Continuer la lecture de Automne indien

Adelante !

Elle s’appelait Soledad, ses parents l’avaient conçue au cours d’un voyage en Espagne. Mais elle était née à Paris-à Belleville, exactement.
Belleville, c’est pas le Pérou, ça grouille, ça piaille, ça n’a pas le sou ! Elle eut tout de même une enfance tranquille, fille unique d’ouvriers heureux.
Son prénom la faisait rêver. Dès l’enfance, elle se sentit d’ailleurs. Les hivers gris, les pavés froids, les nez qui coulent, ça n’était pas pour elle, elle n’était pas faite pour eux. Elle disait non à tout cela, secouant sa tête brune, faisant tinter les anneaux qu’elle portait aux oreilles et tournoyer ses jupes bariolées.

Le jour même de ses dix-huit ans, elle s’empara des économies familiales, du bas de laine durement gagné, et s’enfuit.
Elle prit le train pour Barcelone, elle y arpenta les Ramblas, resta honnête tant qu’elle le put, c’est-à-dire quelques jours, puis trouva gîte et couvert chez un peintre qui la prit pour modèle.
De cette vie-là, elle ne dit pas grand-chose, sinon que cela ne dura pas longtemps.

Un jour, elle prit le chemin de Madrid. Elle y logea non loin de la plaza Mayor, chez une vieille dame dont elle promenait les trois chiens. Ca n’eut qu’un temps, ces balades canines, elle en eut vite assez.
On la vit à Séville habiter un grenier près du Guadalquivir. Elle lavait les assiettes au fond d’un bouge affreux. Les clients l’importunaient, elle ne voyait jamais le ciel, le soleil, elle partit.
Arènes de Séville
Sur une route d’Estrémadure, elle rencontra Sébastien. Il venait de Puteaux et parcourait l’Espagne au volant de sa petite voiture. A la vue du pouce levé de Soledad et de sa jolie silhouette, il s’arrêta et chargea notre voyageuse.
Au fil des kilomètres, ils se racontèrent leur vie, s’attachèrent l’un à l’autre, devinrent amants.
Insensiblement, ils prirent la route du nord, passèrent la frontière, presque sans y penser. Il ramenait la fugitive.

A Paris, il l’installa chez lui, lui fit reprendre ses habitudes françaises, le cinéma le samedi soir, le gigot du dimanche chez les parents, le camping au mois d’août.
Elle coupa ses boucles brunes, mit des perles à ses oreilles, se fondit dans le paysage.
Un an passa. Ils envisagèrent d’avoir un enfant et obtinrent un crédit pour acheter une maison en banlieue.
A l’automne, celle-ci fut prête et ils s’y installèrent. Noël passa, l’enfant ne s’annonçait pas. Soledad devenait pensive, elle s’ennuyait. Assise devant la fenêtre, elle semblait attendre…

En janvier, il s’en inquiéta puis il sut qu’il allait la perdre : la maison s’emplissait de guitares, de castagnettes et d’éventails.

Nouvelle donne

C’est lundi, sale jour. De plus, c’est le lundi de la rentrée des classes et il fait mauvais. Lui, il est parti travailler. Le bus scolaire vient d’avaler les enfants et leurs cartables neufs.

Elle est seule dans cette grande maison silencieuse. Elle regarde par la fenêtre et voit les autres jolies maisons alignées. Le gazon commence à pousser dans les jardins, de nouvelles haies ont été plantées, les habitants s‘installent. Elle se dit que cette vue devrait lui plaire, mais elle n’en voit que l’uniformité, l’inachevé, le prévisible.

Elle quitte son poste d’observation et se heurte à l’armée de caisses qui, dans l’entrée, attendent d’être déballées. Il y a celle marquée « fragile » où doit se trouver la vaisselle des grands jours. Dans l’autre, elle se rappelle avoir mis du linge…Elle les compte : sept, huit, plus les cartons… Elle les ignore.

Le heurtoir frappe la porte d’entrée. De l’imprévu ? Ce n’est que le facteur qui, souriant, lui demande : « Alors, Madame, on emménage ? A quel nom le courrier ? Peut-être donnerez-vous un nom à cette maison ? Ce serait bien ! » Pour le moment, elle n’a vraiment pas d’idées, c’est la maison, c’est tout. Elle le renseigne et il part.

La cuisine ressemble à un champ de bataille. Comme ils ont pu, ils ont pris leur petit déjeuner. Tel un automate, elle range les tasses dans le lave-vaisselle, ramasse les céréales qui jonchent la table, jette le filtre à café, rebouche les pots de confiture. Clap, clap, elle entend le bruit de la machine et puis et puis, au loin, les grondements de l’autoroute, c’est encore pire que le silence.

Elle sort de la cuisine sans jeter un regard aux caisses. Dans le salon, les déménageurs ont déposé le canapé, le téléviseur et des cartons de livres. Elle se dit qu’elle pourrait les ranger, mais les étagères ne sont pas fixées.

Le téléviseur…Elle le branche et, pour la première fois de sa vie, elle l’allume un matin. Le voilà son compagnon ! Elle cherche un programme et se rend compte qu’à cette heure-là, il n’y a pas grand-chose.

Le télé-achat fera l’affaire ! Il peut lui procurer quantité d’objets qui lui feront un monde sans taches, sans poussières, sans rondeurs excessives … On la maquille, on la couvre de bijoux, on la muscle, on tond sa pelouse en un instant. Elle est fascinée.

Puis vient un feuilleton. Elle se plonge dans un dédale d’intrigues amoureuses. Elle en vient à penser à sa vie à elle. Ce matin, il est parti sans lui dire un mot. Ils en sont là. Ils ont même cessé de se disputer.

Le temps passe, il est midi. Elle a mis le son si fort qu’elle n’entend plus le bruit confus de l’autoroute. Elle saute le déjeuner. L’idée du diner à venir l’effleure, elle la chasse…Elle évite le journal télévisé fournisseur d’idées noires et déniche un vieux film américain. Comme prévu, les indiens sont derrière la colline, les chevaux et les cavaliers tombent, les méchants perdent et les bons sont triomphants. Voilà qui est réconfortant !

Dans son vieux châle, elle se sent molle et douce, elle se laisse couler et s’endort.

Mais les enfants rentrent, ils ont l’air contents de leur première journée. L’habitude prend le dessus : laver les mains, goûter, devoirs. Plus tard, il y aura le bain, le mari, le retour, la routine. Les petits se mettent à sortir les jouets des caisses qui jonchent leur chambre. Cela va leur prendre un moment.

Le soir tombe, il va rentrer. Dans la cuisine, elle se décide à prendre deux verres et une bouteille d’apéritif, extirpe du désordre son plus joli plateau et transporte le tout au salon.

Il arrive, elle entend la voiture. Il est dans l’entrée. Il doit regarder les caisses d’un air furieux…Mais il va peut-être s’asseoir tranquillement sur la canapé, à côté d’elle, sans faire de commentaires…Il va peut-être passer sur le désordre et même lui dire quelques mots d’encouragement…Alors, tout cela deviendra probablement supportable.

L’attente la nuit

Le jour va s’achever, j’allume les lampes un peu partout dans chaque pièce. C’est mon refus de la nuit qui pointe, toujours la même comédie, la hantise de ne pas trouver le sommeil quand le moment viendra. Là, il reste encore un peu de temps avant que je ne parte à sa recherche. J’ai consacré une bonne heure au dîner pour deux, souvent plus. La maison rangée, j’ai à effectuer les rites de chaque soir, des rites qui sont censés m’aider : volets fermés, fenêtre entr’ouverte, bouteille d’eau, journaux, au moins un livre. Après ça, la fête peut commencer !
J’ai posé un comprimé de somnifère coupé en deux sur la table de chevet : d’abord la moitié puis le reste pour plus tard… Je m’allonge, ma nuit d’attente est installée.
Les premiers moments ne sont pas inutiles, je pense à la journée écoulée, à ce qui se prépare pour le lendemain. A ce stade, je peux encore chasser les pensées négatives, c’est un sport auquel je suis devenue très adroite avec le temps. Mais au bout d’un moment, je flanche, il me faut d’autres armes.
Il est temps de me lever puisque le sommeil ne vient pas. Je saisis un livre au passage et me dirige silencieusement dans le noir jusqu’au salon. Pas question de réveiller quelqu’un.
Maintenant, le monde est à moi. Pas le monde de la journée qui va m’attendre, le temps qu’il faudra, embusqué quelque part. Le monde de la nuit est différent, plus libre, plus imaginatif. L’esprit s’y envole jusqu’à des coins secrets que l’on ne croyait pas pouvoir atteindre. Tout est facile, réalisable. Je tords le cou à mes angoisses et m’invente des destinées qui comblent mes ambitions, flattent mon ego, bercent mon cœur. La seule façon de m’échapper est là, puisque je ne vais pas le faire ailleurs…
Lorsque je n’y arrive plus, quand je ne peux plus décoller du réel, j’ai recours aux récits des autres : je prends un livre. Je lis un bon moment mais la fatigue arrive. Peut-être alors devrais-je retourner me coucher. Je ne peux pas, j’ai des mots plein la tête, ils tournent et s’agencent si bien… Mais le temps que je trouve de quoi écrire, ils s’effaceront comme les dessins tracés sur le sable lorsque la marée arrive. Ma tête fatiguée n’imprime plus rien, elle somnole mais ne cède pas. Alors, à quoi bon essayer de dormir.
Les soucis sont revenus, en rangs serrés, un véritable bataillon ! Mais j’ai encore une arme : tout doucement pour ne pas crever la bulle où je flotte, je mets un disque. Une voix féminine m’enveloppe. S’il y a encore quelque chose qui émeuve mon cœur, qui le blesse délicieusement, c’est la voix de cette femme. Je ne sais pas pourquoi particulièrement elle, alors que des chanteuses de blues, il y en a tant. Je ferme la partie de mon cerveau qui pourrait comprendre les paroles, seule l’envoûtante mélodie compte. Je me laisse aller…
Il est maintenant aux environs de quatre heures le moment où la nuit bascule. Le ciel est moins foncé, les bruits de la ville changent, bientôt la vie va recommencer. Il faut que j’arrête le processus. C’est bien joli de se créer un monde à soi, au milieu de la nuit, au milieu de nulle part, mais demain ? En fait demain est déjà là, qui réclamera un minimum d’efficacité !
Et puis, j’ai froid, la douceur du lit me tente, le combat est terminé. Arrivée à ce stade, je ne sais plus si j’ai lutté pour dormir ou pour rester éveillée ! Le dormeur près de moi se retourne. Je m’immobilise mais non, tout est calme. Dans le noir, j’arrange mes deux oreillers, je passe la main sur la table de chevet et y trouve les morceaux de somnifère que j’avale. Enfin, je m’installe confortablement et dans mon lit, j’attends…