par Lorenzo dell’Acqua
« Les Corneilles sont d’une bien belle plume »
in : Mes romans préférés, Coutheillas Ph, Gallimard, 2024
Ayant été agressé sur les réseaux sociaux par des critiques injustes de son dernier roman, Lorenzo a demandé et obtenu un droit de réponse dans le JdC. Comme ce n’est pas le genre à bayer aux corneilles, ni à se coucher avec les poules, ni un adepte de la politique de l’autruche, ni un manchot, ni une poule mouillée et encore moins un perdreau de l’année, il a pris la plume pour nous cocotter cette chouette réponse et voler dans les plumes de ces oiseaux de malheur.
Deux critiques m’ont profondément attristé : la première regrettait que NRCB soit le héros à vie de mes récits et la seconde que le modèle de ce personnage, un écrivain de la Rive Gauche adulé du grand public, soit trop facilement reconnaissable. Selon cette dernière, la réputation immaculée de ce dernier risquait d’en être ternie aux yeux de ses admirateurs et surtout du jury du prochain Prix Nobel de Littérature.
A la première, il m’est aisé de répondre que de nombreux chefs d’œuvre de la littérature regorgent de ce même procédé. D’Artagnan est le héros des Trois Mousquetaires, de Vingt Ans après et du Vicomte de Bragelonne, soit 5842 pages en tout. Plus proche de nous, San Antonio, comme Sherlock Holmes, est le personnage récurrent de célèbres romans policiers homonymes. N’oublions pas non plus Swann, Mickey, Ulysse, Astérix, Tintin et Milou, Lucky Luke, Malaussène, Arsène Lupin, la Coccinelle de Gotlib et Notre Seigneur Jésus-Christ. Signalons au passage que N-R-C-B est un hommage à mon héros en référence à N-S-J-C. Et, comme l’a écrit avec justesse René-Jean dans La Croix, N-R-C-B est aux Corneilles ce que N-S-J-C est au Nouveau Testament, ce dont personne ne s’est jamais plaint.
Alors pourquoi la critique explose-t-elle soudain avec une telle violence et me demande de trouver un autre personnage principal ? Sachez, mesdames et messieurs, que lorsqu’on en tient un sans peur et sans reproche, on ne le lâche pas et que, comme dirait l’autre, « qui aime bien châtie bien ».
Rappelons aux plus anciens à la mémoire défaillante et aux plus jeunes ne l’ayant pas encore lu que le personnage principal des Corneilles est un écrivain méchant, affreux, tricheur, menteur, copieur, voleur, affabulateur, séducteur, pervers, méprisant, égoïste, malhonnête, ingrat, cupide, prétentieux, orgueilleux, arriviste, mégalomane, alcoolique, gourmand, criminel à l’occasion, auquel, à mon avis, aucun individu normal ne peut s’identifier. Eh bien, à ma grande stupéfaction, un de mes meilleurs amis, écrivain il est vrai lui aussi, s’est reconnu dans ce personnage immonde alors que moi, qui ne suis pourtant pas particulièrement indulgent, j’avoue ne pas avoir décelé la moindre ressemblance entre lui et mon personnage.
Compte-tenu de cette interprétation surprenante et inattendue, la deuxième critique sera plus difficile à désamorcer en dehors de certains traits invraisemblables d’incompatibilité. Ainsi, le tombeur d’une étudiante américaine en Portugais ne peut pas être cet écrivain nonagénaire, timide et introverti. Il faudrait être fou pour l’imaginer aborder une jeune fille de cinquante ans sa cadette un soir sur la banquette arrière d’un autobus de la RATP ! Et pourquoi ne lui aurait-il pas offert un bouquet de roses par-dessus le marché ? De même, le Rédacteur en Chef détestable de mes récits, froid, cassant et méprisant envers son personnel servile, ne reflète guère la compassion et la bienveillance de l’écrivain qui n’hésite pas à donner la parole et aussi la plume à des scribouillards post-soixante-huitards attardés. En revanche, l’aventurier parcourant le monde onze mois par an à pied (rarement), en Buick, à cheval, en pirogue, en Concorde et en classe affaire, à dos de chameau ou à la nage, correspond bien aux récits admiratifs de son épouse. De même, l’inconditionnel de Truffaut, de Sautet et d’Hitchcock est fidèle au souvenir qu’il a laissé parmi les membres du cinéclub de Villacoublay. Quant à l’intrépide sportif capable, malgré son âge et grâce à la gymnastique bihebdomadaire, de se faire cinq terrasses de cafés parisiens en moins de deux heures, il nous a semblé très ressemblant.
Il existe bien d’autres similitudes relevant peut-être d’un pur hasard comme la consommation de demi-pression à répétition dès 8 heures du matin, l’amour de la campagne désolée de l’est de la France en hiver, le gout des automobiles de luxe et de la côte de bœuf-frites. Il est également concevable que chacun de ces deux personnages aurait pu être le brillant scientifique qui vous explique la physique quantique en deux minutes, le guide touristique pour joggeuses égarées dans le Jardin du Luxembourg, l’archimillionnaire vendeur de châtaignes grillées, l’homme qui parlait aux veaux ou encore l’Américanophile de fer.
A l’opposé, les manières grossières, pour ne pas dire vulgaires du personnage de Lorenzo, n’ont rien de celles délicates de l’érudit que les plus éminents salons littéraires de la capitale s’arrachent. De même, le criminel sordide des Corneilles ne peut être qu’une pure invention tant l’imagination débordante de l’écrivain lui épargne la nécessité de copier qui que ce soit et de le supprimer ensuite pour effacer la trace de son forfait.
On apprend ce soir, d’après une dépêche de Mediapart reçue vers 20 heures sur nos téléscripteurs, que le Dîner d’Aveugles, Prix Goncourt 2021, ne serait que le copier-coller d’un roman passé inaperçu d’un proche de l’écrivain.