Conversation au Sélect

Extrait d’un texte diffusé une première fois le 1er janvier 2015

Couleur café n°15
Le Sélect,Boulevard du Montparnasse

Le Sélect est un bel endroit mais il a peu d’histoire. Sur ce plan, il ne peut pas lutter avec La Coupole (mais la Coupole n’est plus la Coupole) ou Le Dôme (sans charme, mais gastronomique). Le Sélect est un tout petit peu mieux placé que La Palette qui, certes, a eu l’honneur de l’une de mes rubriques (« Les hommes de la Palette« ) mais qui aujourd’hui a disparu. La Closerie des Lilas demeure à l’écart de ce concours, tant sur le plan historique que géographique.
Le Sélect se trouve à l’angle du Boulevard du Montparnasse et de la rue Vavin. Contrairement à ses voisins,

il n’a jamais vraiment cherché par le passé à être un restaurant ou même une simple brasserie. Non, jusqu’à il y a peu, c’était essentiellement un café, bien placé, agréable, avec sa terrasse ensoleillée et sa salle sombre et profonde. On pouvait, si on y tenait vraiment, y prendre une salade ou une omelette, mais on y commandait surtout des cafés ou des bières.
Ces dernières années, les choses ont un peu changé pour le Sélect. Tout d’abord, son horizon: le bâtiment d’en face, celui qui abrite La Coupole, s’est vu rajouter cinq ou six étages d’un immeuble peu élégant mais sans doute de beaucoup de rapport. La nouvelle construction en a profité pour englober l’incroyable terrain vague dans lequel messieurs Fraux, Lafon et Cie avaient stocké pendant des décennies les réserves de la Coupole derrière des palissades de chantier couvertes d’affiches. Avec l’arrivée du Groupe Flo, la Coupole a perdu peu à peu son âme, son chateaubriand et ma clientèle.

Il fait beau. Le boulevard est calme. Le soleil de onze heures chauffe gentiment la terrasse. Il fait bon à l’abri du dais gris et vert et des deux parois latérales vitrées. À deux tables voisines de la mienne où je lis les chroniques de Vialatte, deux femmes sont assises face à face. Encore du bon côté de la soixantaine, elles sont belles et élégantes, et plutôt du genre septième que seizième. Sur leur table, il y a deux verres de vin blanc et une soucoupe pleine de cacahouètes que, bien entendu, elles n’ont pas touchées. Le vin est d’une jolie couleur, or clair. Le bord de l’un des verres est très légèrement taché d’une trace de rouge à lèvres. Elles parlent. La table qui nous sépare est inoccupée, ce qui, malgré tout l’intérêt que je porte à Vialatte, me permet de tenter d’écouter ce qu’elles disent. Elles parlent des dernières vacances de Pâques que l’une d’elles a passé dans sa propriété du Gâtinais, où il a fait un temps splendide, merci. Je comprends qu’en l’absence de son mari, en voyage d’affaires à Dubaï, elle avait invité ses quatre petits enfants et trois de leur cousins, quatre garçons, trois filles âgés de 13 à 17 ans.
 — Mais dis-moi, ma chérie, tu étais seule pour manager tous ces ados? Ça n’a pas été trop difficile?
Oh, tu me connais, ma chérie, avec moi il faut que ça roule. Sinon, je ferme les écuries et la piscine !
Ah oui, évidemment, dans ces conditions…

Alors, avec Vialatte, j’ai pensé : et c’est ainsi qu’Allah est grand!

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