Go West ! (14)

(…) En m’exécutant, je ne peux m’empêcher de penser que cette scène, je l’ai déjà vue, au cinéma, dix fois, vingt fois. Je me rappelle aussi qu’on m’avait dit : “Tu verras, en Amérique, tout est comme dans les films, les voitures, les restaurants, les routes, les flics…“ Et c’était vrai : c’était comme dans les films et moi, l’amoureux du cinéma américain, j’aurais dû savoir ce qu’il fallait faire et surtout ne pas faire : sortir de sa voiture. Je m’en souviens maintenant : avec un flic, ne jamais faire le malin, ne jamais plaisanter, ne jamais sortir de la voiture. Mais voilà, sur le moment, j’avais oublié et maintenant, me voilà penché sur la voiture, les mains écartées bien à plat sur le capot, en train d’attendre, le cœur battant et les jambes faibles, que le flic veuille bien me dire ce que je dois faire.

Il a bien fallu plus d’une heure pour démêler la situation. Voilà comment ça s’est passé : Après m’avoir fouillé et passé les menottes dans le dos, le flic m’avait enfermé à l’arrière de sa voiture. Ensuite, il avait rejoint celle de Cal, et depuis la banquette arrière de la voiture de police, j’avais pu les voir discuter pendant un long moment. Et puis, après avoir fouillé l’Oldsmobile, il avait examiné la Valiant de fond en comble. Je l’avais vu vider mon sac, en sortir mon passeport et écrire longuement sur un bloc-notes. Entre-temps, une deuxième voiture de police était arrivée – celle du sheriff – et la discussion entre Cal avec les deux policiers était devenue de plus en plus détendue au point que, plusieurs fois, ils avaient éclaté de rire en me voyant faire grise mine dans ma prison. Au bout du compte, l’officier de police était revenu à sa voiture pour me libérer. En m’appelant par mon prénom, il m’avait expliqué que la Valiant n’avait pas de plaque minéralogique. C’était la raison pour laquelle il m’avait arrêté pour contrôle.  Les papiers fournis par Cal établissaient bien qu’il était le propriétaire de la voiture, mais j’aurais quand même dû payer une amende de 30$ à cause des plaques manquantes. Ma situation d’étranger et les conditions de mon arrestation faisaient qu’on m’en dispensait. Cependant, comme il avait sorti son arme de service et qu’il en avait fait usage, le policier devait établir un rapport détaillé. Le shérif était très pointilleux sur le sujet. C’est pour cela qu’il avait relevé mon identité complète. A présent, l’affaire était close et tout le monde pouvait retourner à ses occupations. Il me souhaitait même un bon séjour dans le Grand État du Texas.

Cal et moi, nous sommes repartis vers l’ouest à petite vitesse, chacun dans notre voiture. Derrière mon volant, je me sentais encore un peu chose de cette aventure. Quel drôle de pays que ce pays où on achète une automobile en un quart d’heure, mais où les flics menacent de vous tirer dessus si vous sortez de votre voiture, où ils vous passent les menottes pour défaut de plaque d’immatriculation, mais où ils vous souhaitent bon voyage en vous appelant par votre prénom. Étrange et beau pays. Étrange, beau, et incompréhensible pays.

Un peu plus tard, nous sommes dans un diner, attablés face à face devant un petit déjeuner. Entre nous, sur le formica vert d’eau, il y a un distributeur de serviettes en papier, un sucrier, une bouteille de ketchup, une salière, une poivrière et un gobelet à cure-dents. Il y a aussi des œufs sunny side up, du bacon crispy, des steaks hachés avec des onion rings, de la salade cole slaw, des french fries, des french toasts, des doughnuts, du sirop d’érable, du lait homogénéisé, du jus d’orange sans pulpe, du café à volonté et de l’eau glacée. Toute l’abondance de l’Amérique est là, sur la table, mise à disposition par une serveuse nonchalante et gouailleuse. Entre les silhouettes des clients installés au comptoir, on peut apercevoir un mexicain basané, foulard sur la tête, en train de s’activer dans un brouillard sonore de vapeurs de friture. Dehors, de l’autre côté de la vitrine, la rue, large et bombée, écrasée de soleil. Quelques voitures sont garées face à nous. D’autres passent lentement, paisiblement. De l’autre côté de la rue, la façade d’une banque voisine celle d’un cinéma. Tout à l’heure, à six heures, on y donnera Who Was That Lady ? en première partie, avec Jack Lemon et Tony Curtis, et puis le grand film du soir The Guns of Navarone. Il est une heure de l’après-midi. C’est l’Amérique, c’est Electra, fondée en 1901, trois mille neuf cents habitants, altitude 1155 pieds selon le panneau à l’entrée de la ville.
C’est là que Cal a décidé de s’arrêter pour nous remettre des émotions de ce matin et faire mieux connaissance en déjeunant, tandis que le garagiste de la ville nous fabrique une plaque d’immatriculation pour la Valiant.

Cal a une petite quarantaine. C’est un grand type blond et costaud, plutôt beau mec. Il a une société d’air conditionné à South Valley, dans la banlieue d’Albuquerque. La ville est en plein boom économique, on construit partout, des maisons, des bureaux, des usines et tout ça, ça a besoin d’air conditionné, alors les affaires marchent plutôt bien. Il était venu à Dallas pour discuter d’un vague projet d’association avec une boite de Houston, mais il se méfie, parce qu’elle est un peu trop grosse pour lui et qu’il ne voudrait pas être absorbé. Alors, il pense qu’il n’ira pas plus loin dans le projet. Mais le voyage à Dallas n’aura pas été inutile, puisqu’il revient avec cette voiture. Il l’offrira à Todd pour son anniversaire, le mois prochain. Cal est divorcé. Depuis cinq ans. Son ex-femme habite à côté de Santa Fe avec ses deux enfants, Todd et Sal, seize et quatorze ans. Il a le droit de les voir un week-end sur deux.
— Ça se passe bien avec Sam, me dit-il, mais avec Todd, c’est plus compliqué. Je crois qu’il m’en veut toujours pour le divorce. »
Cal se retourne pour demander encore du café, puis, après un silence, il me demande :
— Et toi ? me demande-t-il ? Qu’est-ce que tu viens faire aux États ? Et d’abord, comment ça se passe pour toi, ici ?

 A SUIVRE (dans une semaine ? )

Qui sait ? Il n’est peut-être pas trop tard pour faire un cadeau ? 

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