Les corneilles du septième ciel (46, 47, 48 et49)

Chapitre 46

L’arrêt du Conseil d’Etat annulant les résultats du référendum fut à l’origine d’une situation inédite comme n’en avait encore jamais connue le JdC. En effet, son fondateur en 1912, monsieur Emile Zola, avait imposé que l’Assemblée des lecteurs ait 51 % des voix au Conseil de Gestion du journal. Cette mesure considérée comme démagogique par la plupart de ses directeurs successifs, allait remettre en cause son existence même. Le rejet par le Conseil d’Etat déjugeait la Direction en place et imposait la tenue d’élections anticipées à la tête du JdC. Son Rédacteur en Chef et en poste, un scientifique rigoureux, froid et peu enclin à la gaudriole, le prit fort mal. L’opposition qui se permettait de le contester était menée par madame Lariégeoise, une militante écolo-communiste qui avait débuté en bas de l’échelle comme secrétaire puis gravi tous les échelons de la hiérarchie pour se retrouver, certes en fin de carrière, pour ne pas dire dans les prolongations, expert au contrôle de gestion. Bien qu’elle ait été dans un lointain passé sa voisine à l’école maternelle de la rue Durouchoux, elle refusait les frasques directives d’un Rédacteur en Chef jadis bienaimé que ses succès littéraires récents avaient quelque peu éloigné des réalités.

Le résultat des élections ne fut une surprise pour personne sauf pour Jim qui ne voyait point de salut en dehors de son ancien chef-scout au lycée Saint Louis. Ce dernier fut mis en ballotage défavorable face à madame Lariégeoise qui avait réussi le prodige de faire revenir participer au vote son vieil ami René-Jean, émigré au Canada. Sur le plan arithmétique (excusez-moi de me mêler de ce qui ne relève pas de ma compétence) la situation était sans solution. Pour obtenir la majorité absolue, une alliance contre nature devait se faire entre Lariégeoise (extrême gauche modérée) et Ph. (extrême droite modérée). D’un côté la candeur juvénile d’une femme honnête bien qu’elle ne fût plus juvénile, de l’autre la roublardise d’un expert dans l’art d’écarter ses concurrents sur le plan littéraire comme ce pauvre Lorenzo, auteur d’un roman méconnu qu’il avait plagié et dont il avait tiré, l’honnêteté obligeait à le reconnaitre, un chef d’œuvre.

De quoi ne pas s’en remettre, se lamentait tous les soirs Lorenzo depuis qu’il ne délirait plus. Madame Lariégeoise, à laquelle ses obligations à la tête du Parti Communiste de Chants de Fées laissaient du temps libre, était la première à venir lui remonter le moral.

  • Ne t’inquiète pas, mon petit Lorenzo, on va lui faire la peau à ce pilleur d’intrigues !

Elle employait ce langage bienveillant digne des psychanalystes alors qu’elle mesurait vingt centimètres de moins que lui ce qui ne manqua pas de susciter certaines interrogations chez ses biographes.

Grâce aux efforts des deux partis, un compromis acceptable fut trouvé dans la nuit du 24 décembre : Ph. resterait Rédacteur en Chef-Bienaimé (il avait exigé que la définition de son poste soit mot à mot celle-là et que soit confirmée sa qualité de Bienaimé dont personne ne comprenait la nécessité et encore moins la justification) et madame Lariègeoise occuperait désormais le poste de Directrice-Adjointe ce qui lui conférait un poids considérable (à la tête du JdC, NDLR). Autrement dit, son avis devenait aussi important que celui de Ph. et, sur le plan électoral, sa double-voix équivalente à la sienne. L’issue du futur référendum risquait d’être différente de la précédente ce qu’espérait l’auteur d’A la recherche des corneilles perdues au chapitre 45.

Chapitre 47

Quand ils se retrouvèrent à la terrasse du Cyrano où ils avaient convenu de prendre l’apéritif ensemble, Françoise et Annick furent impressionnées par la tristesse de Ph. Non seulement, il avait la mine défaite, mais en plus il ne disait pas un mot ce qui était très inhabituel chez lui. Le contraste était saisissant avec les deux jeunes femmes qui rayonnaient de bonheur : Françoise, dont la vie avec Pierre s’épanouissait dans l’attente d’un premier enfant, et Annick, dont la relation avec Pierre atteignait les sommets de l’érotisme. Françoise, plus polie que jalouse, ne releva pas cette allégation dont elle doutait en raison du poids de son amie et de l’âge de son mari.

C’est Annick qui tenta la première de dérider l’écrivain en lui racontant le retour à la raison miraculeux de Lorenzo dell’Acqua quand il avait vu son voisin de palier entrer dans sa chambre d’hôpital. Les incessantes campagnes de fouilles de Pierre et l’hospitalisation prolongée de Lorenzo expliquaient pourquoi ce dernier n’avait pas été informé du mariage dans l’intimité des deux tourtereaux. Ph. se réjouit du rétablissement de Lorenzo mais ni l’une ni l’autre n’osèrent le questionner sur le drame du Marais Poitevin.

  • Il a eu bien de la chance de survivre aux morsures d’un ragondin enragé
  • Mais, il n’a pas jamais été mordu ni enragé ! affirma Françoise
  • Ah bon, je l’ai pourtant toujours cru. Et quelle était la nature de ses blessures ?
  • Des lacérations comme auraient pu en faire les griffes de cet animal ou un fouet.
  • Bah, l’essentiel est qu’il s’en soit tiré, dit-il pour clore la discussion qui semblait le mettre mal à l’aise
  • Oui, d’accord, mais au prix de deux ans d’hospitalisation, ce n’est tout de même pas rien, ajouta Françoise quelque peu scandalisée par l’apparente indifférence de Ph..

La réserve de Ph. se comprenait d’autant mieux qu’il avait reconnu Françoise aux côtés de Lorenzo dans le Marais ce dont il n’avait pas fait état au procès. Françoise, de son côté et bien qu’elle n’ait pas osé jurer, était convaincue que l’agresseur de Lorenzo n’était pas un ragondin, mais lui, Ph., l’écrivain à la mode qu’elle avait reconnu dans le faisceau de sa lampe torche. La colère lui fit monter le rouge au visage mais elle se contint et ils passèrent à un autre sujet de conversation.

  • Alors, ce nouveau roman, lança Annick, il marche comment ?
  • Pas trop mal mais j’ai des soucis avec la municipalité de Chants de Fées dont la Maire, qui est pourtant une amie d’enfance, veut m’intenter un procès au prétexte que ma description des lieux est dévalorisante et risque d’éloigner les éventuels acquéreurs d’une résidence secondaire dans le bas de l’Aisne.
  • Parler de résidence secondaire me semble un rien optimiste, il s’agit plutôt de résidence funéraire pour un enterrement de première classe, crut drôle d’ajouter Annick.
  • Pas tant que ça, leur expliqua Ph.

La découverte d’un gisement de pétrole dans les douves de la maison dont il avait hérité avait transformé la situation économique du village. A part les derricks et les éoliennes, la Maire écologiste de Chants de Fées avait affirmé qu’il n’y aurait aucune dégradation de l’environnement. Cette information ne rassura pas pour autant Ph. bien qu’il fut un passionné de westerns. Ce qui l’avait désolé en plus de la pollution visuelle, c’était l’afflux d’hommes d’affaires chinois. Pour les habitants de Chants de Fées qui avaient espéré la venue de retraités aimables et conviviaux dans leur charmant village, le choc fut rude. La demeure de Ph. que sa délicieuse épouse avait transformée en chambres d’hôtes croula sous les demandes de réservation en provenance de Pékin. Elle qui avait pris l’habitude de recevoir un couple tous les trois mois, et encore seulement en période estivale, ne savait plus où donner de la tête. Pragmatique, elle s’était mise immédiatement à apprendre le chinois.

Chapitre 48

Sur ces entrefaites traversèrent la rue de Médicis deux vieilles connaissances de Ph, ses amis de cinquante ans, Bruno Body et Zéro Lamy, qui l’aperçurent assis à la terrasse ensoleillée du Cyrano et vinrent le saluer. Bruno, en orfèvre du quai du même nom, reconnut Françoise avant même que Ph fit les présentations. C’était la jeune femme qui avait été témoin de l’aventure de Lorenzo dans le Marais et au procès qui s’en était suivi. Bien évidemment, il n’en dit rien mais il tenait enfin une piste qui l’aiderait peut-être à prouver la culpabilité de son ami.

Ils devisèrent tous les cinq de la chaleur inhabituelle, des trottinettes électriques et des prochaines élections. Ils écoutèrent aussi le récit passionnant des soucis de Zéro Lamy dans la Réserve du Serengeti dont il était le Directeur. Des braconniers cherchaient à obtenir par tous les moyens des cornes de rhinocéros pour leurs vertus aphrodisiaques fort prisées au Japon, pas telles quelles mais une fois réduites en poudre, évidemment. Ce trafic lucratif était une plaie qui risquait de faire disparaître les derniers spécimens de cette espèce en voie d’extinction. Comme il était difficile voire suicidaire de vouloir arracher la corne d’un rhinocéros vivant, ils commençaient par tuer l’animal avant d’exécuter leur forfait.

Quand ils prirent congés, Zéro Lamy accompagna Ph. à l’Institut où il devait participer à une séance consacrée à la place de la photographie dans l’art, les deux jeunes femmes allèrent se faire bronzer sur les fauteuils autour du bassin du Jardin du Luxembourg et Bruno prétexta un besoin urgent pour se rendre aux toilettes du Cyrano. Il pénétra dans celle réservée aux handicapés, non parce qu’il l’était, mais parce qu’elle était assez vaste pour ce qu’il avait à faire. Il sortit de sa poche une barbe postiche, une perruque, de grosses lunettes aux montures en écaille, un stetson blanc puis retourna sa veste qui de beige devint marron foncé. Le patron du Cyrano ne sembla pas surpris de voir sortir des toilettes l’inspecteur Clouzot en personne. L’objectif de Bruno était de suivre discrètement Françoise et de l’interroger dès que son amie l’aurait quittée. Il se camouflait ainsi parce que la déontologie lui interdisait ces pratiques chères aux détectives privés de Truffaut mais indignes d’un haut fonctionnaire assermenté de la PJ.

Il repéra les deux amies assises au bord du bassin du Luxembourg et attendit qu’elles se lèvent pour se mettre à leurs trousses sans éveiller leurs soupçons. Elles firent dans Paris un périple qui dura une bonne heure avant de se séparer. Jadis sportif de haut niveau Bruno constata sur son i-phone que son essoufflement anormal était du aux 8,7 km parcourus depuis leur départ. Mais l’essentiel était qu’il allait enfin pouvoir aborder Françoise et la questionner.

Celle-ci faillit crier au secours quand l’inspecteur Clouzot la prit par le bras et lui murmura à l’oreille, par déformation professionnelle :

  • Suivez-moi, il ne vous sera fait aucun mal.
  • Mais que me voulez-vous ?

Bruno arracha sa barbe postiche et sa perruque. Françoise éclata de rire

  • Auriez-vous un moment à me consacrer, j’aimerais vous poser deux ou trois questions relatives à l’accident de Lorenzo ?
  • Mais volontiers lui répondit -elle.

Chapitre 49

Par souci de discrétion, Bruno et Françoise s’installèrent au fond d’un bar en bas des Champs Elysées. Ni une, ni deux, Bruno n’y alla pas par quatre chemins et Françoise reçut son message cinq sur cinq. Il commença par lui expliquer la raison de sa démarche sans omettre de lui révéler sa profession et Françoise ne put cacher sa joie de pouvoir enfin dire ce qu’elle avait sur le cœur. Ses révélations ne surprirent pas Bruno ; elles ne faisaient que confirmer ses soupçons. Non seulement, son ami était un voleur d’intrigues comme le lui avait révélé René-Jean mais en plus un assassin potentiel comme venait de le lui confirmer Françoise. Bruno se dit que le roman a priori léger dans lequel il avait accepté de jouer un petit rôle virait au lourd.

Tous les deux s’interrogèrent ensuite sur le mobile de Ph. Pourquoi s’attaquer à un médecin à la retraite, photographe et bienveillant ? Françoise, qui connaissait les deux personnages, se posait la question depuis deux ans sans avoir trouvé la moindre explication possible. Bruno lui rapporta alors le contenu des confidences de Louis-Charles qu’ignoraient Françoise ainsi que sa découverte chez un bouquiniste.

  • Ah bon, en plus de ses qualités de photographe, Lorenzo s’est essayé à l’écriture ?
  • Oui, mais sans aucun succès. Il faut reconnaître qu’il s’y était mal pris en confiant son roman au JdC dans lequel il parut en feuilletons assortis de commentaires pas toujours bienveillants de son Rédacteur en Chef.
  • Oui, d’accord, ce n’était pas malin, mais pas de quoi expliquer la suite
  • Si, lui répondit Bruno, parce qu’après avoir démoli son roman dans les lignes de son Journal en ligne, son Rédacteur en Chef qui n’était autre que Ph. reprit l’intrigue fort originale à son profit et publia six mois plus tard Un Souper d’Aveugles dont vous connaissez le succès commercial phénoménal. C’est lui qui conduisit Ph. au Prix Goncourt et à l’Académie Française.
  • Et alors ?
  • Et alors, eh bien, Lorenzo découvrit le pot aux roses et je le soupçonne sans preuve il est vrai d’avoir exercé un chantage auprès de Ph. Ce dernier ne trouva d’autre solution pour lui échapper que de l’éliminer physiquement. Dans les archives de la PJ, il est rapporté plusieurs événements troubles qui ont parsemé la vie de l’écrivain. Un séjour à la prison de la Santé suite à la noyade dans la Seine de son ami Louis-Charles évitée de justesse, plusieurs sinistres dont il aurait été l’auteur en Afrique comme l’incendie de la ferme de Karen Blixen dont il aurait ensuite détourné les assurances à son profit, des menaces répétées ayant conduit son ami d’enfance Louis-Charles à s’exiler au Canada après le plasticage de son Château de sable sur la plage de Saint Brévin, le récit sulfureux dans Playboy de la jeunesse de Lariégeoise, la célèbre cantatrice, qu’il avait su monnayer au prix fort, le vol de la robe de chambre de Marcel Proust au Musée Grévin, qui n’en sont que les exemples les moins terribles. Il échappa au pire grâce à son intelligence exceptionnelle qu’avait signalée ses professeurs dans une Ecole Scientifique prestigieuse dont il sortit major en 1968 avant de se lancer dans une carrière rappelant celle d’Arsène Lupin bien qu’il n’ait jamais hésité, lui, à s’attaquer aux faibles et aux déshérités comme le démontre sa tentative d’assassinat sur Lorenzo dans le Marais Poitevin.
  • Lorenzo dell’Acqua
  • A SUIVRE ????    
  • VRAIMENT ?
  • NOTE DE L’ÉDITEUR

    Pour répondre à une question qui m’a déjà été posée par plusieurs lecteurs du JdC, une question qui brûle les lèvres des autres à l’exception de ceux qui sont familiers de ma façon d’écrire et de mes thèmes favoris, je tiens à préciser que ni Lorenzo, ni Lorenzo dell’Acqua ne sont de mes pseudonymes et que je ne suis pas l’auteur des “Corneilles du septième ciel”, ni de tout autre texte, critique, aphorisme, calembour et autre contrepèterie signée Lorenzo, Lorenzo dell’Acqua ou Lorenzaccio.
    Par ailleurs, les aventures, accidents, analyses, analepses, avatars, avanies et apothéoses que vivent les personnages des « Corneilles » et en particulier les dénommés Philippe, Philippe 1, Philippe C et assimilés n’ont rien à voir avec ma propre existence. Qu’on se le dise ! 

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