Les corneilles du septième ciel (32)

Chapitre 32

Pendant sa garde à vue, Ph. apprit les noms des enquêteurs. Non seulement, il connaissait les capacités intellectuelles hors normes de ses anciens camarades de promotion mais il se souvenait aussi de ses expéditions punitives chez les ragondins de la Palmyre avec l’un d’entre eux, Bruno Body, qui était l’auteur d’une thèse remarquée sur l’« Echec de la domestication du ragondin des Andes en Charente-Maritime de 1492 à nos jours ». Il était convaincu que ce dernier ne se laisserait jamais abusé par le scénario, au demeurant fort astucieux, qu’il avait échafaudé pour faire porter la responsabilité de la mort de son maitre chanteur à des ragondins soi-disant enragés.

Un autre souci l’empêchait de dormir. Il avait dû quitter le lieu de son forfait quand il s’était aperçu que la compagne de sa victime n’était autre que Françoise, cette jeune femme rencontrée au Flore qu’il tentait de séduire sans succès à la terrasse ensoleillée du Cyrano. Bien que son agressivité envers son maitre-chanteur et maintenant aussi son concurrent auprès de cette jolie jeune femme s’en trouva décuplée, la prudence lui dicta de s’en aller au plus vite avant qu’elle le reconnaisse. Bien lui en prit car au moment où il s’élançait pour asséner de toutes ses forces le dernier coup de fouet, elle alluma sa lampe torche et en dirigea le faisceau vers lui. Il eut à peine le temps de se retourner et de s’enfuir au triple galop. Il se demandait si, malgré la violence de son acharnement, Lorenzo n’aurait pas réussi à échapper au funeste sort qu’il lui réservait.

Les craintes de Ph. étaient doublement fondées. Non seulement Françoise avait signalé à ses médecins son étrange ressemblance avec le ragondin qui les avait attaqués mais en plus Lorenzo n’avait pas succombé à ses blessures. Il avait été recueilli et soigné par la jolie Myriam, la fille d’Isaac d’York, un riche marchand juif bien connu à Fontenay-le-Comte qui la tenait cloitrée à l’abris des regards. Nul n’en connaissait la raison mais sa beauté aurait à coups sûrs soulevé bien des convoitises parmi la jeunesse de cette sous-préfecture sinistrée de Vendée.

Ce matin-là, elle avait profité de l’absence de son père pour se rendre dans le marais cueillir des plantes avec lesquelles elle confectionnait des onguents aux vertus thérapeutiques réputées dans toute la région. Elle découvrit le corps inanimé du beau Lorenzo lacéré de multiples coups de fouet. Il avait perdu beaucoup de sang parce qu’il prenait de l’aspirine pour ses migraines. A sa pâleur, elle devina la gravité de son état et appela sur son portable Wamba, leur jardinier, pour qu’il vienne la rejoindre avec sa brouette dans laquelle ils ramenèrent le corps à la nuit tombée pour éviter les rencontres importunes. N’écoutant pas les informations à la radio et ne regardant jamais la télévision, la belle Myriam n’eut pas connaissance de la disparition d’un photographe parti à la chasse aux ragondins dans la Marais Poitevin. Pendant une semaine, elle lui prodigua des soins de sa composition et au matin de septième jour, il ouvrit un œil. La première chose qu’il demanda fut son armure. Myriam s’en étonna à peine car elle ne lisait que des romans de chevalerie.

  • Et pourquoi avez-vous besoin de votre armure, Monseigneur ?
  • Je dois aller défier ce traître de Bois-Guilbert qui nous empêche moi et mes camarades d’Ecole de réunir la rançon exigée pour la délivrance de notre bienaimé roi Richard retenu prisonnier au Québec par le félon Front de Bœuf.

Myriam compris que la partie était loin d’être gagnée ; le beau Lorenzo n’avait pas perdu que du sang.

  • Mais, Monseigneur, êtes-vous en état de reprendre le combat ?
  • Oui, belle Dame, et je compte me rendre dès aujourd’hui au tournoi d’Ashby où Bois-Guilbert et ses sbires vont certainement exterminer mes collègues à l’occasion d’une joute truquée.

C’est alors que le preux chevalier réalisa qu’il n’avait ni épée, ni armure, ni destrier pour parvenir à ses fins. Myriam alla chercher une petite cassette remplie de pièces d’or qu’elle cachait dans une anfractuosité du mur de sa salle de bains.

  • Ce sont mes économies, monseigneur. Prenez-les, elles sont à vous. Je sais que vous en ferez bon usage. Elles vous permettront d’acheter un cheval et une panoplie complète de chevalier pour aller défendre l’honneur de Richard et par la même occasion celui de Bruno, Jim, Edgar et les autres qui ont déjà sautet sur leurs destriers et qui galopent sans le savoir vers un destin cruel au tournoi d’Ashby.

Une réflexion sur « Les corneilles du septième ciel (32) »

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    C’est avec une infinie tristesse que vont s’envoler pour toujours Les Corneilles dont la fin prochaine, provisoire espérons le, clôturera la troisième époque de cette saga. L’auteur invoque, non pas un manque d’inspiration mais le besoin de faire le point ou plutôt le tri, d’après son conseiller littéraire qui préfère garder l’anonymat.
    Mais réjouissez vous, chers lecteurs, car le JdC vous proposera dans un proche avenir, on espère avant La Toussaint, le dernier ouvrage de l’auteur des Corneilles, Gratitudes, qui est une série de remerciements délicats à ce que la vie nous offre au quotidien et que la plupart d’entre nous oublient, mais pas lui. Donc, restez à l’écoute du JdC dans les semaines qui viennent pour ne pas rater ce splendide texte de Lorenzo qui n’est pas sans rappeler, qu’il n’en prenne surtout pas ombrage, Je me souviens de Georges Perec.
    Paraîtrons ensuite La Fontaine Médicis, en hommage à un de ses auteurs préférés, A la Terrasse du Rostand-by, en hommage à un de ses auteurs préférés, L’Ami de Trop, en hommage à un de ses auteurs préférés, La Biche fait dodo, un délicieux recueil de souvenirs d’enfance, Le Beau Marché, une compilation de ses blâmes et éloges parus dans les Cahiers du Cinéma, et A Musset vous bien, une comédie irrésistible.

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