Aventure en Afrique (40)

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Voir la mer (1)– la soudure
Début novembre, un soir au cours d’un apéritif, nous avions évoqué les vacances que nous pouvions pendre au mois de décembre soit une année pleine de service. Henri nous a dit en plaisantant : « en tant qu’Alsacien, je n’ai jamais vu la mer ». Il y eu un grand blanc puis un « pourquoi pas ? ».

Je précisais : « Je me permets de vous rappeler qu’officiellement nous n’avons pas le droit de sortir du département de Niamey sans un laissez-passer ».
Nous nous mîmes au travail : trouver une carte Michelin de l’Afrique Nord et Ouest, choisir un itinéraire, relever les positions des stations-services, des campements…Nous avons appris plus tard, à nos dépends, que sur le lot ils y en avaient de non approvisionnés depuis plusieurs semaines, de fermés et “Via Michelin“ n’existait pas encore.

Nous décidions de partir le dimanche 2 décembre, mais il était plus prudent, au préalable, de tester le matériel. Le dimanche précédent nous prenions la route d’Ayorou, sur la rive gauche du Niger : soit 200 km de mauvaise piste.
Au retour François se plaignit d’avoir des difficultés à passer les vitesses. En regardant la 2CV. nous trouvions qu’elle penchait du côté avant droit. En observant de plus près, nous découvrions avec inquiétude : le longeron supportant le moteur était fendu à sa  jonction avec le châssis.
En France dans un tel cas il y avait obligation de le changer, mais nous étions en Afrique…

Le lundi matin la voiture était devant l’atelier du Génie Rural non loin de mon bureau. Elle  commençait  à être “désossée“ par Bagagi le chef mécanicien. Au bout de deux jours, il nous a dit : il faut tenter de souder tout cela en ajoutant un bout de cornière. « Nous n’avons pas le choix nous partons dimanche ».
Pendant cette semaine, François obtint un rendez-vous avec le consul de France qu’il connaissait, pour lui faire savoir notre projet. Celui-ci lui rappela qu’en tant que VSNA nous n’avions pas le droit de sortir du département de Niamey… François lui remit discrètement notre itinéraire. Le consul précisa: « Je ne pourrais rien pour vous, débrouillez-vous de revenir mort ou vif sur le territoire du Niger».

Nous avons retrouvé dans notre dossier sur le Niger, un petit carnet écrit par ma copilote tout en roulant sur les pistes cabossées. Il est écrit :

« 2 décembre (1973) 5h.50 départ 51654km. ». Les trois 2CV roulaient sur la seule route goudronnée du pays, sur une seule bande de roulement. Note : 7h55 Dosso, 10h. Gaya, 10h.20 douane du Dahomey, natures des cultures rencontrées, évènements … . (Le Dahomey s’appelle aujourd’hui le Bénin).
Un douanier nous a dit : « Aujourd’hui c’est dimanche on ne passe pas…ou c’est payant ». Nous garions nos 2CV en cercle autour du seul arbre qu’il y avait devant le poste de douane.

Nos épouses gardaient nos véhicules, et nous nous dirigions tous les trois vers le bureau. Nous y pénétrions, le chef avait été rejoint par son second. Nous étions surpris par l’odeur d’urine se dégageant de la pièce contigüe, c’était la prison, dont la porte était ouverte pour faire courant d’air ! Le mur opposé à la porte était un urinoir au pied duquel il y avait une rigole pour canaliser les “jus“. Cette odeur nous piquait la gorge et les yeux…cela faisait peut être partie de la mise en scène ! Le chef attaqua d’un air agressif : « vous touristes français avec vos dollars… ». Nous le laissions parler, puis lui expliquions calmement qui nous étions, ce qu’était un VSNA qui donnait 18 mois de sa vie pour l’Afrique. A tour de rôle nous prenions la parole. Ils devaient être tellement habitués à cette odeur de pisse qu’ils ne la sentaient plus. L’un d’entre nous se leva et revint avec cinq canettes fraiches de Braniger (bière fabriquée au Niger). Nous sentions que nous n’étions plus les riches touristes : nous avions pris de notre temps pour discuter avec eux. Nous leur faisions cadeau de quelque dizaine de F.CFA pour qu’ils s’offrent de la bière et pour le bon moment passé ensemble.

Nous trouvions derrière chacun de nos parebrises une demi-feuille rose annotée, qu’ils nous ont dit de conserver jusqu’au retour. Ce n’était donc plus dimanche : nous pouvions passer ! Cela faisait plus d’une année que nous vivions au Niger, nous commencions à connaître le tempérament des habitants et à respecter les protocoles ! Cela nous a beaucoup aidés lors de ce voyage. Après le pique-nique nous nous apercevions, tout en roulant que le réservoir d’essence des Charpentier fuyait, il nous a fallu opter pour la vielle technique des baroudeurs : Faire une patte avec de la farine de manioc, du chewing-gum  de l’essence, bien pétrir et appliquer. Cela n’a tenu qu’un moment et devenait dangereux avec un liquide inflammable. Il fallait se résoudre à faire réparer.

Nous nous étions mis à la recherche d’un forgeron au village de Kandi et avions fini par en trouver un qui faisait de la soudure. Je lui expliquai qu’en France, pour des raisons de sécurité, on ne soudait pas un réservoir d’essence. Il m’a répondu :

« A l’époque de l’armée française, tu crois que l’on attendait d’avoir un réservoir neuf pour continuer à rouler ? ».

Puis il nous dit un peu gêné : « je ne sais pas le démonter ».
Nous le lui démontions et vidangions le reste de carburant. La fissure était  à la jointure du tuyau de remplissage et de la cuve. Nous avions dû trop forcer en le remontant, avant le départ. Le forgeron  le remplit plusieurs fois d’eau, puis d’eau avec de la terre pour le nettoyer et rincer… Il nous dit « c’est bon ».
Je renouvelai mes recommandations:

« Ce n’est pas suffisant, il y a encore des vapeurs dans le métal… »

« Je sais, fais-moi confiance » me répond-il sèchement.
Il alla chercher du combustible dans le champ en face de son atelier et revint avec une tige de mil de 2m de haut.
« Tu tiendras ça allumé, au-dessus du tuyau pendant que je souderais ».
Il alla récupérer ses deux bouteilles de gaz et son chalumeau.
Je m’étais allongé sur le sol tenant de ma main droite, un peu branlante, la tige de mil enflammée. Il mit ses lunettes. « On y va » : Il alluma son chalumeau, régla les débits d’oxygène, d’acétylène et la flamme.

Il commença la brasure, une petite explosion se produisit lorsque les vapeurs s’enflammèrent au contact de la tige de mil. Il poursuivit, le tuyau du réservoir se transforma en une véritable tuilière crachant une flamme bleue de 50 cm.de long, dans un bruit assourdissant.  J‘étais très crispé. Cela me parut interminable.
« C’est bon » dit-il en réduisant la flamme.

D’un coup le calme, je relâchai la tige de mil et m’accroupis.
« Combien on te doit ? … »

Nous n’avons pas marchandé. Nous étions admiratifs, par la technique originale mise en œuvre et le grand calme de cet homme. Reconnaissants, nous avons réglé le montant important qui  devait représenter au moins 15 jours de son chiffre d’affaire.

A SUIVRE

9 réflexions sur « Aventure en Afrique (40) »

  1. Je me permets de rappeler aux extrémistes woke du JdC que le premier qui a parlé de pissotières n’est autre que notre vénéré Rédacteur en Chef.

  2. La maison est vide , les trains sont arrivés à l’heure, les parents sont reconnaissants (?)… je m’empresse de devorer ce nouveau chapitre africain et que lis je en commentaire? Des comparaisons très parisiennes entre pissotieres: pourtant je trouve que ce chapitre méritait une mention spéciale : le projet ( on frémit à l’idée d’une telle aventure aujourd’hui), les epouses en gardiennes bien exposées des précieuses 2CV, la Négo digne d’un film mafieux et surtout , surtout la réparation : dangereuse , bricolée , sous l’autorité d’un Geraud impassible : plus de gueule que «  allez donc chez speedy »
    Bref comme il est aisé de mettre des étoiles ici, j’en mets cinq aujourd’hui…

  3. Comme je le disais précédemment, nous ne parlons pas de la même chose. Over and Out.
    Je précise quand même qu’on parle de chalet de nécessité et non de commodité.

  4. C’est quand même dommage qu’une belle aventure en Afrique amène à discuter de chiottes publiques. Ça doit vouloir dire quelque chose de notre société, mais je sais vraiment pas quoi.

  5. Non, cher Philippe, et tu me remercieras jamais assez de t’avoir communiqué ce tuyau, si j’ose dire, Il existe bien un chalet de commodité assez coquet et tel que je l’ai décrit situé à quelques mètres à vol d’oiseau des joueurs d’échec (et on comprend pourquoi) le long de l’allée qui mène au Musée du Luxembourg. Bien qu’à ma connaissance il ne soit pas interdit aux anciens élèves des Pontes Déchaussés, je suis surpris qu’un connaisseur émérite comme toi (du Luxembourg, pas des urinoirs) soit passé à côté des milliers de fois sans le voir ni ressentir de miction impérieuse. La patronne s’appelle Josette. Dis-lui que tu ,viens de ma part. Prend l’abonnement annuel qui donne droit à une réduction si l’on y vient plus de cinq fois par jour.

  6. Comme d’habitude, Lorenzo et moi ne parlons pas de la même chose, ou alors nous n’avons pas la même définition du marbre de Carrare. Celui dont je parle est en plein air, gratuit, sans préposée, envahi par les mouches, en fonte, avec un ridicule petit filet d’eau tout à fait insuffisant pour les cinq positions du tireur debout quand elles sont un tant soit peu occupées. Il est mal nettoyé, heureusement dissimulé derrière une haie qui, bien que famélique, empêche les passants innocents de voir les étranges convulsions des utilisateurs en fin de parcours.
    L’honorable Lorenzo doit confondre avec les chalets de nécessité des jardins des Champs Elysées du temps du petit Marcel.

  7. Il se trouve que je connais fort bien ce joli édicule du Jardin du Luxembourg, lieu mémorable (le jardin, pas l’urinoir) des exploits des trois mousquetaires du lycée Saint Louis qui étaient cinq. Je trouve pour le moins désobligeant de le comparer au poste frontière décrit par Géraud au début du siècle dernier. Il est assez beau, bien en entretenu, avec des récipients en marbre blanc de Carrare et, contrairement aux délires olfactifs de Philippe, il ne suinte pas du tout l’urine. De plus, fait assez exceptionnel pour être mentionné dans le JdC, c’est le seul urinoir payant de Paris où la dame-pipi accepte de faire crédit en cas d’urgence.

  8. Un de mes premiers sinistres en « responsabilité civile » concernait la grave blessure d’un ouvrier sur une casse automobile. Il avait entrepris de découper un très vieux réservoir d’essence de voiture au moyen d’une disqueuse. Le réservoir lui avait explosé à la figure à cause du carburant imprégné dans le métal. Celui-ci s’était volatilisé sous l’effet de la chaleur dégagée par la coupe à la disqueuse et avait explosé. On ne lui avait pas dit qu’une simple tige de mil allumée aurait suffit à éviter l’accident.
    Sans transition et à propos de la question de Lorenzo qui m’a interpelé, je pense que le poste frontière en question, en 50 ans, a eu le temps d’être mis aux normes. Par contre, s’il veut absolument retrouver la même ambiance, il lui suffira de se rendre près des jeux de boules du Jardin du Luxembourg, du côté de la très chic rue Guynemer. Il y trouvera un très bel urinoir qui a été conservé strictement en l’état, y compris sur le plan olfactif, depuis que Victor Hugo y vint réfléchir à la Légende des Siècles en 1854. Certains affirment même que le discret édicule est identique à ce qu’il était quand Marie de Médicis le fit construire à grands frais en 1617 pour ses besoins personnels. On peut douter de cette théorie quand on sait que Marie de Médicis était en réalité une femme.

  9. Es tu retourné dans ce poste frontière qui sentait l’urine ? Si oui, avait-il changé ?

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