Rendez-vous à cinq heures à l’auberge espagnole

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L’AUBERGE ESPAGNOLE
CEDRIC KLAPISCH 2002

par Lorenzo dell’Acqua

Voilà un film qui parle des jeunes âgés de vingt ans dans les années 2000. Ils viennent des quatre coins de l’Europe, vivent n’importe comment, fument du hasch ensemble vautrés pêle-mêle sur des canapés devant la télé (ce que je n’ai jamais fait), sortent ivres d’une boite de nuit (ce qui m’est arrivé parfois) et sont toujours gais. Leurs relations amoureuses tournent au fiasco, mais leurs amitiés, elles, sont solides. Eternels insatisfaits, ils sont les responsables de leurs errements, espérant toujours mieux que ce qu’ils ont et qui ne leur suffit pas. Je n’ai pas vécu ce qu’ils vivent, je n’avais pas la même conception qu’eux de  l’apprentissage et de la vie, et pourtant ils me touchent … Je les observe tels des extra-terrestres nageant dans leur monde à eux. « Oui mais ils ont l’âge de tes enfants, donc ils ne te sont pas inconnus ».  C’est faux. Je voyais mes enfants comme des clones identiques à moi, avec de petites nuances insignifiantes dues à l’époque et aux modes mais je ne les voyais pas si différents. Comme moi, et non comme eux, ils faisaient la fête après les examens et jamais avant … Mais, par une sorte de miracle due à la bienveillance du metteur en scène, ces utopistes à cheval sur deux époques sont terriblement attachants. Ne boudons pas notre plaisir car c’est un grand bonheur devenu rare d’être ému par des êtres avec lesquels nous n’avons rien en commun …

Alors juger le film ? J’en suis incapable ; je l’ai aimé sans être capable d’en dire les qualités cinématographiques, s’il en a. Mais au fond, est-ce important de juger l’œuvre sur des critères esthétiques ? Aimons nous les fruits le passion parce que ce sont esthétiquement de beaux fruits ou parce que nous en aimons le goût ? Pourquoi en serait-il différent pour une œuvre d’art ? Juger l’art avec des critères objectifs comme la qualité de la mise en scène, du scénario, du jeu des acteurs, est-ce vraiment utile ? Non, ce qui compte, c’est ce que j’ai ressenti. Et celui-là, il m’a touché, un point c’est tout.

Dans l’Auberge Espagnole, j’ai été heureux de vivre avec ces jeunes de vingt ans non par nostalgie mais parce que leurs comportements étaient spontanés, enthousiastes et sans méchanceté. La plus belle scène se situe à la fin de ce film quand Xavier, parti faire un DEA à Barcelone pendant un an pour obtenir un poste à Bercy, s’enfuit en courant le jour de son embauche. Cette audace ou cette inconscience d’oser refuser un statut enviable pour faire ce qu’il a envie de faire (écrire, lui aussi) nous concerne tous parce qu’elle stigmatise nos propres démissions. Ce film nous le dit sans la moindre agressivité, simplement pour nous rappeler l’être formidable que nous aurions pu être.

6 réflexions sur « Rendez-vous à cinq heures à l’auberge espagnole »

  1. Ostracisé pendant de longs jours par le reCaptcha, Jim avait gardé par devers lui un long et intéressant commentaire en réponse à une affirmation de Lorenzo selon laquelle l’analyse d’une oeuvre musicale ne servait en rien à l’apprécier.
    Enfin agréé par le robot-cerbère, Jim a pu finalement publier son commentaire, mais il l’a rattaché à un article plus récent que celui de l’Auberge espagnole. 
Afin que nul n’en ignore, je signale qu’il est lisible en codicille de l’article « Dans le monde de l’édition (8) » paru hier 18 avril. Qu’on se le dise.

  2. @René-Jean : Je suis bien d’accord avec toi ; mes critiques ne sont pas des critiques mais des états d’âme. Chacun choisit la psychanalyse qu’il veut !

  3. Très interessante et (ou parce que) subjective perception ou réception en deux temps d’une œuvre cinématographique soulignant l’originalité du regard qui lui est porté, guidé par une mémoire très personnelle. Le communicologue s’y retrouve aisément! Cette critique est plus indissociable de son auteur que du film visé!

  4. Lors d’une exposition récente sur les Nabis au musée d’Orsay, il y avait comme d’habitude à l’entrée un immense panneau sur lequel étaient inscrites les pensées et réflexions de l’éminent Commissaire de la dite exposition. Pour une fois, je l’avais lu. Deux immenses colonnes de deux mètres de haut nous racontaient en détails les travaux minutieux et prodigieux des experts qui, aidés par les techniques les plus sophistiquées et les plus onéreuses de notre époque comme l’étude au carbone 14, le scanner, l’IRM, étaient parvenus après plusieurs années d’efforts à démontrer avec certitude que le Talisman de Paul Sérusier n’avait pas été peint sur le couvercle d’une boîte de cigares.

  5. « Et il n’est pas inintéressant ni inutile de tenter d’analyser les composantes de l’œuvre … ». Va pour la peinture, à la rigueur, mais pour la musique je ne vois pas quelle analyse des composantes de l’œuvre pourrait nous aider à comprendre et apprécier le chef d’œuvre.

  6. « Juger l’art avec des critères objectifs comme la qualité de la mise en scène, du scénario, du jeu des acteurs, est-ce vraiment utile ? Non, ce qui compte, c’est ce que j’ai ressenti. »

    Le ressenti c’est ce qui compte, c’est certain. Dans un livre, un film, un tableau, une symphonie, un plat, c’est le ressenti qui compte. Dans toute réception d’une oeuvre d’art, puisqu’il parait que la cuisine en est un, c’est le ressenti et son souvenir qui resteront associés à l’oeuvre dans l’esprit du consommateur d’art.

    Quand, comme moi, on ne connaît rien à la cuisine, on ne peut évoquer un plat que par l’expression de son ressenti : ‘’c’était bon, c’était mauvais’’, et même avec toutes les gradations qui existent entre bon et mauvais, ce n’est pas de cette manière qu’on pourra faire partager son expérience avec quelqu’un d’autre.

    Mais le ressenti devant une oeuvre d’art n’est pas le résultat du hasard. À mon avis, et sauf pour quelques escrocs qui exploitent le snobisme ou la crédulité du bon public, l’oeuvre ne sort pas tout d’un bloc comme ça, d’un seul coup, je n’ose pas dire d’une seule poussée. Elle le produit d’un travail, d’un talent, d’une pensée, d’une volonté du créateur. Et il n’est pas inintéressant ni inutile de tenter d’analyser les composantes de l’oeuvre, composantes réussies, médiocres ou ratées qui font le degré de réussite de l’oeuvre aux yeux de celui qui analyse. A voir le plaisir que les connaisseurs prennent à énumérer les caractéristiques d’un vin, je regrette de ne pas m’y connaitre davantage.

    La critique d’art est sans doute aussi ancienne que l’art lui même et si je comprends plus souvent ‘’rien du tout’’ que ‘’pas grand chose’’ aux cartels explicatifs des expositions, j’admets très bien que des gens se délectent à lire des pages entières d’analyse du petit pan de mur jaune dans la Vue de Delft de Vermeer.

    C’est a dessein que j’ai donné comme titre générique à mes critiques « Critique aisée » car, d’une part, je suis sincèrement conscient du fait qu’avant tout « l’art est difficile » à l’inverse des critiques qui, elles, sont, par adage, « aisées ». D’autre part, elles sont aussi aisées, ces critiques, dans le sens où je ne me donne pas beaucoup de mal en recherches pour justifier mes jugements et mes préjugés.
    Néanmoins, la rédaction de ces critiques me forcent à un travail de réflexion et tout en exposant mon ressenti, je tente d’en donner les raisons.

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