Les corneilles du septième ciel (19)

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(…) Ce qui comblait Annick chez son nouveau compagnon ne relevait pas de ses prouesses techniques : elle avait enfin rencontré un homme affectueux, bienveillant et généreux. Il s’agissait à son avis des meilleures qualités disponibles sur le marché. Lui revenait souvent cette citation d’Agatha Christie dont elle vérifiait chaque jour la justesse : « Ce qui est bien quand on vit avec un archéologue, c’est que plus on vieillit, plus on l’intéresse ».

Chapitre XIX

Au moins, en voilà un qui a encore des cheveux sur la tête, se dit Françoise. Heureusement pour lui, et pour elle, Lorenzo n’avait pas que ces vertus capillaires. Bien que n’étant ni psychanalyste, encore qu’être fils de était déjà la moitié du chemin parcouru, ni écrivain, quoi que, à l’occasion, il ne lui déplaisait pas de manier la plume, Lorenzo débordait de qualités séduisantes et pas seulement pour une provinciale. (Si, c’est vrai, NDLR).

Aux yeux de Françoise, il réunissait ce qu’elle appréciait chez chacun de ses deux autres prétendants : d’un côté la bienveillance et le goût des arts de l’écrivain et, de l’autre, la rigueur et la curiosité du psychanalyste. Lassée de leurs patronymes indigestes et pour se simplifier la vie, elle décida d’attribuer à ces derniers des noms plus faciles à glisser dans une conversation et sur son agenda téléphonique. Bien que n’ayant aucune nostalgie de l’ancien régime, elle remplaça « Mon ex-psy » et « le Faux Blonde » par Philippe I er et Philippe II. Elle avait un temps hésité avec deux autres possibilités mais ni Aliénor d’Aquitaine ni Richard Cœur de Lion ne présentaient de réel avantage phonétique. Pendant qu’elle y était, elle affubla le photographe d’un Philippe III d’autant plus inapproprié qu’il ne lui parlait que du troisième Henri et jamais du troisième Philippe. Lorenzo reconnaissait au dernier Valois le mérite d’avoir évité la partition de la France entre catholiques et protestants, à l’inverse de ce qui se produisit dans les Flandres avec la naissance de deux états, les Pays Bas protestants et le Belgique catholique.

Quand elle en reçut un exemplaire, Françoise resta dubitative devant la photo prise par Lorenzo. D’abord, elle et son amie n’étant pas reconnaissables de dos, elle ne put envisager de la mettre sur son bureau puisque personne n’en aurait compris la raison. Sur le plan esthétique, elle n’en voyait pas non plus l’originalité ni la qualité, à part, peut-être, la composition. Quand elle demanda à Lorenzo ce qu’il lui trouvait, elle ne fut pas déçue par sa réponse et encore moins par sa longueur. Elle eut droit à un cours dont elle ne retint que des bribes :
– Il y a deux choses en art pictural : la vision et la lecture, comme le style et l’histoire en littérature. L’un ne va pas sans l’autre et inversement.
– Est-ce que l’importance du petit mur jaune de Vermeer pourrait avoir un équivalent en peinture non figurative ?
– Qu’est une œuvre d’art ? Ce que l’auteur a voulu montrer (la beauté) et exprimer (le message), ou bien ce que les spectateurs ont perçu de sa beauté et de son message ?

Leur deuxième rencontre eut lieu à la terrasse du Cyrano, un café que Lorenzo affectionnait parce qu’il lui rappelait un ami ancien élève des Ponts  avec lequel il avait été très lié jusqu’à ce que, suite aux aléas de la vie professionnelle, ce dernier émigre d’abord au Kenya, puis aux Maldives, une enclave fiscale échappant à l’impôt sur le revenu. Là-bas, il n’avait pas perdu son temps en dénichant la compagne de ses rêves, une jolie petite blonde pétillante dont une des qualités, et pas la moindre, était d’être facile à retrouver dans une foule aux cheveux uniformément noirs.

A cette description flatteuse, Françoise reconnut immédiatement son prince charmant numéro 2. Ainsi donc, Edward, le Roméo des Ponchos, comme ses potes du bistrot l’avaient surnommé, était revenu en France ? Vexé, Lorenzo se demanda pourquoi il ne l’avait pas averti alors que cette Françoise était déjà au courant. L’attitude de son ami lui évoqua The Banshees of Inisherin, un western irlandais qui se voulait être une fable sur l’amitié dont les ficelles n’avaient jamais été imaginées par les plus grands poètes, romanciers et tragédiens du monde. Non, vraiment, l’idée de se couper les doigts pour empêcher votre ex-meilleur copain de venir vous faire la bise avait quelque chose de pas imaginable même pour des esprits aussi tordus que ceux des Ingénieurs. A l’évidence, Lorenzo ignorait la critique dithyrambique de ce film rédigée par Philippe pour la revue Télérama à laquelle il collaborait depuis ses derniers succès littéraires. La grande Fabienne Pascaud avait condescendu à lui octroyer un sourire plus ambigu qu’admiratif auquel il n’avait pas été insensible malgré tout le mal qu’il avait déversé sur elle et son journal. D’ailleurs, cet hebdomadaire à la mode, il le trouvait plus gauchiste que chrétien, ce qui ne constituait en rien une excuse.

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