Les corneilles du septième ciel (2)

temps de lecture : 3 minutes devraient suffire 

(…) En rentrant chez elle, Françoise passa s’agenouiller à l’église pour demander pardon au Seigneur de son involontaire mésaventure. Elle Lui demanda aussi pourquoi Il n’avait pas mieux fait son travail en affublant les garçons d’un instrument aussi laid.
Voilà ce que Françoise avait raconté à son psychanalyste lors des premières séances. Bien qu’il en ait vu d’autres et de pires, ce dernier préféra ne pas se prononcer sur le nombre de séances à prévoir pour sa guérison.

Chapitre II

A son retour de lune de miel, Françoise s’était précipitée sur le net. Celui qui lui avait tant plu à la terrasse du Surcouf ne pouvait pas être Didier Blonde : il était en effet beaucoup trop vieux. Comme le lui confirma Wikipédia, son écrivain favori n’avait pas encore dépassé la quarantaine. Elle ne cacha pas sa déception au docteur Philippe que ce drame laissa indifférent.

Après le départ des deux amies, l’écrivain déjà quinquagénaire, mais encore sensible aux charmes de la jeunesse, s’était informé auprès du garçon qu’il connaissait depuis plus de vingt ans. Ce dernier lui avait révélé sans la moindre difficulté le numéro de téléphone de l’une d’entre elle, la grosse moche disait-il, qui réservait souvent une table pour déjeuner avec d’autres filles. Il ne l’avait jamais vue avec un garçon. Quant à sa copine, la jolie mince, il ne la connaissait pas. Et il ajouta qu’avec ce genre de filles, ça défilait sans arrêt.

Notre écrivain, que Françoise avait surnommé avec humour le faux Blonde (alors qu’il l’avait été avant de perdre ses cheveux), en déduisit que la jolie mince dévisagée pendant plus de deux heures en faisant semblant d’écrire sur son portable ne devait pas non plus aimer les hommes. Cette information allait compliquer la rédaction de son futur roman où il envisageait de lui donner le rôle principal.

Sa vocation littéraire était née des épreuves que la vie lui avait réservées, à commencer par sa jeunesse à Saint Brévin-les-Pins devant les ruines de Saint Nazaire bombardée à cinquante reprises par l’aviation alliée. Il en connut d’autres plus tard en Afrique où il fut guide pour chasseurs fortunés en pleine brousse. Confronté chaque jour à la férocité de fauves sanguinaires, il fit de ces régions inhospitalières le décor de ses premiers romans dont l’un, Les corneilles du septième ciel, reçut le Prix Romain Gary.

Sa dernière épreuve avait été l’acquisition, non pas de fauves comme ceux dont il avait la nostalgie, mais de six veaux qu’il entendait engraisser avant de les revendre et de réaliser un bénéfice appréciable. C’est en écoutant les conseils avisés de son voisin, monsieur Minette, dont la ferme jouxtait sa résidence, que lui était venue cette idée géniale. Malgré les réticences de sa femme, c’était plus fort que lui, il ne pouvait pas s’empêcher de « faire des affaires » qu’il qualifiait toujours de « juteuses » pour la convaincre. Par un manque de chance inouï, ce fut une très mauvaise année pour les élevages de veaux. Seule la presse spécialisée en parla à l’époque mais les assurances, comme d’habitude, se défilèrent. Ses six veaux décédèrent en moins de six mois, un record, avait reconnu monsieur Minette qui, sans qu’on en connaisse les raisons et sans qu’il en ait averti son voisin, avait investi cette année-là dans les moutons. Le vétérinaire de Chaumont, appelé au chevet de ses animaux, arriva trop tard et ne put que constater le décès du préféré de monsieur Faux Blonde, celui qu’il avait surnommé Hurlevent. Les appels suivants ne connurent pas plus de succès. Ce n’est qu’au sixième qu’il se déplaça enfin pour assister, impuissant, au dernier souffle du dernier veau. Notre écrivain, impressionné par ses honoraires, osa lui demander, ce qui n’était pourtant pas dans sa nature plutôt réservée, de quelle maladie étaient décédés ses six veaux. Le vétérinaire eut un rictus encore plus sinistre que d’habitude et, après deux minutes de réflexion silencieuse, lui hurla sa réponse en articulant chaque syllabe de façon exagérée :

  • Meuh-sieur, vos-veaux-sont-morts-de-la-ma-la-die-des-veaux.

Il ne fit aucun autre commentaire. Notre écrivain non plus mais il renonça définitivement à l’élevage.

Françoise, qui ignorait pourtant les projets littéraires du faux Blonde la concernant, se demandait comment le retrouver dans une ville comme Paris. S’il restait des matinées entières à la terrasse du Surcouf, ce qui était en effet le cas, elle pensa avoir une chance de l’y revoir lors de son prochain séjour. Ce fut sa motivation inavouée quand elle téléphona à Annick pour lui demander la date de leurs retrouvailles.

A SUIVRE

10 réflexions sur « Les corneilles du septième ciel (2) »

  1. Merci beaucoup Lorenzo

    Te priant d’excuser ma curiosité, (J’aime bien me faire une petite idée de la personne qui s’exprime) ta réponse suscite mon admiration et je t’en remercie vivement.

  2. @ René-Jean : Lorenzo dell’Acqua est le pseudonyme de Laurent de La Flotte (en Ré). Sa forte consonance italienne vient de sa passion pour ce pays qu’il aime plus que le sien. A ce Parisien, médecin, ancien chef de service de Gastroentérologie à l’Hôpital Saint-Joseph, retraité depuis plus de sept ans, certains de ses amis bienveillants reconnaissent des qualités de photographe amateur, d’écrivain, encore plus amateur, et parfois de poète quand il a trop picolé. C’est un admirateur sans réserve de l’œuvre immense de Philippe qui a tenté de lui apprendre la fluidité et aussi, sans le moindre succès, la cohérence en écriture. Quant au style, il fait ce qu’il peut.
    PS : Lorenzo a été très honoré que tu recherches sa trace sur internet.

  3. Question naïve et innocente (sans arrières pensées ni décryptage anticipé).
    Intrigué par certains propos de Lorenzo del’Acqua, fréquemment cité et publié dans le JDC, j’ai fait quelques recherches sur GOOGLE et, bien que ma quête soit encore très incomplète,(Google, heureusement, l’est aussi) j’y ai trouvé beaucoup de Lorenzo dell’Acqua. J’imagine (encore très mal informé, je le confesse) qu’il n’y a pas de liens! Aurait-il l’amabilité de me donner quelques indices révélateurs de ce lieu d’où il s’exprime? Bien sûr sans me raconter toute sa vie pour ne pas l’exfiltrer du bonheur des gens sans histoires qu’il semble partager avec Paul-Jean.
    René-Jean qui ne peut donner de sens à l’univers qu’à partir de sa modeste histoire!
    Avant que j’apparaisse: néant, après ma disparition, même néant! Il n’y a rien de significatif sans moi! Bien sûr, Il en va de même pour nous tous, locataires à bail limité de la planète terre!

  4. Encore une belle tentative de diversion sur un détail! L’identité de la personne à qui l’on demande l’heure dans la rue importe-t-elle tant que cela?

  5. « (…) en référence à tes propos sur les 50 bombardements de Saint-Nazaire par les Alliés! »

    Malgré mon universalisme, mon don d’ubiquité et de voyage dans le temps, il faut quand même admettre que ce n’est pas moi qui ai parlé des 50 bombardements, mais Lorenzo, et ça aussi c’est la vérité. Mais serait-ce encore une narrative ?

  6. « Mais je tiens à rétablir la vérité : » (figure de style???)

    Mon copain de carré de sables, devenu sur le tard, écrivain devrait s’assurer de l’effet possible (la réception quoi) de son style!

    Dans mon bref souvenir ici évoqué, je n’affirme que deux choses: 1) que tu as gagné le concours des chateaux de sable du Figaro et 2) que cela se passait à Saint Brévin-les-Pins dans les années qui suivirent la guerre, en référence à tes propos sur les 50 bombardements de Saint-Nazaire par les Alliés!

    Or, ces deux miennes affirmations, tu les corrobore, les précise et les embellit!

    Avec ton très Christique ‘en vérité, je vous les dis,’ le communicologue un peu parano que je suis s’imagine que j’avais élaboré un tissu de mensonges (peut-être même 50) à ton égard.

    Mais qu’avais-je écrit au juste pour ma valoir les foudres du détenteur de la vérité?

    « Était-ce bien là le début de sa carrière d’écrivain? » concluais-je ma remarque pour ouvrir le dialogue et non le débat!

    Il me semble que c’est là une question (qui se termine par le point d’interrogation. Les Espagnols ont raison – la preuve ici – d’en mettre un inversé au début de la question et un autre à la fin) et, d’après ce que j’ai compris de la grammaire française – je n’étais pas bon élève – dans une interrogationn tout est permis! Une ‘bonne question’ est même celle à laquelle l’interviewé ne sait quoi répondre!

    Effectivement, je trouvais marrant d’évoquer Le Figaro où de grands écrivains ont publié certains de leurs écrits en pièce détachées et qu’est-ce qu’un roman si ce n’est un chateau de sable, de cartes en Espagne! Et cela tu l’as magnifiquement relevé et conforté, je crois.

    Alors pourquoi laisser entendre dans le non dit qu’implique le ‘En vérité je vous le dit’ évangélique que ton p’tit camarade en culottes courtes ne disait pas la vérité et est donc un fieffé menteur.

    Mes réflexions, après 80 années passées dans de tout petits recoins de cette planète, m’interdisent de parler au nom de Dieu, de la Vérité, de la Réalité et même de la Nature. Je n’ai que deux certitudes, ma date et lieu de naissance et l’autre, encore à venir, – et ce ne sera que pour quelques millièmes de secondes (car tant que je suis en vie la mort n’est pas là et quand elle le sera, je serai parti!)- la date et le lieu de mon décès, comme les proches des défunts le font sobrement inscrire sur les tombes familiales.

    Le reste, comme le disent si-bien depuis quelques années les journalistes américains, ne sont que des ‘Narratives’ des récits, des histoires, des légendes, toujours sujets à interprétation par les récepteurs.

    D’une façon générale, la plupart des locuteurs contemporains considèrent que leur vision du monde est la vérité, elle décrit parfaitement la réalité alors que tous les autres se complaisent dans leurs illusions et ne décrivent que leurs fantasmes!

    Mon petit camarade de carrés de sable devrait être au dessus de ce réflexe reptilien et cesser de prendre les autres pour des serpents diaboliques tout juste bons à se faire broyer leur tête en V par la Vierge Marie!

    J’espère que cette réponse d’un menteur invétéré ne te fachera pas!

    Tu me répondras sans doute qu’il s’agit là d’une tournure de phrase anodine et que je n’aurais pas dû en prendre ombrage.

    Ce à quoi, je te rapèlerais avec les épistémologues de la physique quantique (Bohr, Heisenberg, etc) que ce sont ces petites tournures de phrases toutes faites du langage ordinaire qui nous maintiennent sous la chape de plomb de paradigmes périmés!

    Tout ça, évidemment, parce que j’aurais voulu avoir ce premier prix du concours de chateaux de sable!

    Je souhaite que la marée ait fait son œuvre…

    René Jean en culottes courtes!

  7. Si les gens heureux, comme on prétend, n’ont pas d’histoire, ils feraient bien de ne pas nous la raconter.

    Paul-Jean Toulet

  8. Effectivement, cette photo existe. Il y a 4 ans, elle avait fait l’objet d’une série de 7, intitulée « Conversation sur le sable » et inspirée de Beckett et d’Audiard.
    Mais je tiens à rétablir la vérité :
    ce n’est pas ce concours du Figaro qui a décidé de ma carrière tardive d’écrivain, ou plutôt de mes tentatives d’écriture. La vérité, c’est qu’à l’occasion de ce concours, j’avais réalisé combien il était gratifiant de construire des ouvrages en sable, fondés sur du sable, sur un terrain destiné à être bientôt recouvert par la marée et de recevoir un prix pour ça. C’est cette métaphore qui m’avait décidé à entreprendre une carrière d’ingénieur avec la suite dans les idées que l’on sait.

  9. … à commencer par sa jeunesse à Saint Brévin-les-Pins …

    J’ai une photo de Philippe à Saint-Brévin-les-pins en ces temps ici évoqués.
    Il avait gagné un concours de construction de chateaux de sable du Figaro.
    Était-ce bien là le début de sa carrière d’écrivain?

  10. Promis, on va s’accrocher: le détour à la campagne nous a valu de retrouver avec plaisir l’ineffable Minette; les veaux sont morts…. Retour à Paris.
    Suspense : l’écrivain pourra t il faire oublier à Françoise sa déconvenue de jeunesse et l’attirer chez lui pour lui faire lire les épreuves de son dernier roman et la convaincre de reconsidérer son orientation sexuelle?
    Aune suite n’étant programmée par le JDC, on s’en remet au bon vouloir de l’éditeur…

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