Rendez-vous à cinq heures avec la langue

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Après de longs mois d’hibernation, voici que René-Jean réapparait à propos de la Critique aisée que j’avais publiée mercredi dernier sur le recueil des nouvelles de Conrad. 

Désolé de ne point intervenir sur l’œuvre de Joseph Conrad dont Philippe souligne ici la beauté littéraire et descriptive qui me laisse bouche-bé d’admiration. Par contre, je crois pouvoir corroborer et modestement préciser les propos d’introduction suivants :

« … on dit que la langue anglaise présente une certaine souplesse qui lui permet de se prêter aux influences étrangères, tant qu’elles demeurent raisonnables et décentes. C’est pourquoi Conrad avait choisi pour écrire l’anglais et non le français qu’il parlait pourtant aussi bien mais dont il disait qu’elle (sic) était une langue de cristal, impossible à tordre sans la briser. »

Bien que fervent serviteur de paradigmes humanistes portant sur la communication humaine, les hasards de ma trajectoire m’ont fait entrevoir quelques phénomènes qui relèvent davantage de ‘l’étude comparée de l’usage des langues nationales.’

Envoyé en Acadie par le Général en septembre 1967 pour y étaler, du haut d’une chaire universitaire, le français dans lequel je tentais d’exprimer mes petits savoirs de sociologue tout frais émoulu de la Sorbonne puis envoyé en Iowa (USA) par les Oblats qui dirigeaient l’Université de Moncton pour que j’en revienne avec une formation de communicologue protestant et anglophone, je suis en mesure de corroborer les propos que tient Philippe sur l’ouverture de l’anglais et du français aux pénétrations de langues étrangères. (Honni soit qui mal y pense!)

Enseignant au Nouveau-Brunswick (N.-B.) (province maritime que j’ai modestement contribué à rendre officiellement bilingue), j’ai dû évaluer les travaux de mes étudiant(e)s. Certain(e)s, originaires du Québec ou du Nord du N.-B. (Edmonton, Caraquet) écrivaient dans un français qui ressemble d’assez près à celui qui, avant 1967 était praiqué dans la France hexagonale. Sur la côte Est (Tracadie, Bouctouche) le français de La Sagouine (personnage croustillant d’Antonine Maillet) est identique ou presque à celui du personnel de maison que fait rarement parler Molière dans ses célèbres comédies. Quant aux Francophones de la région de Moncton (Général anglais qui défit les Français), ils parlent le Shiac (condensé de Shédiac qui est une petite ville en bord de mer et proche de Moncton) avec des phrases dont le vocabulaire est issu du vieux français mais dont la grammaire est britannique. On entend souvent des bouts de phrase du genre : « Quoi t’a fais ça pour? » (what did you do that for?)

Évidemment, en bon prof. français, en plus des remarques sociologiques, je n’ai pu m’empêcher de corriger les fautes de style et d’orthographe (même s’il m’arrive fréquemment de pêcher moi-même en ces eaux!). Par contre, redevenu moi-même étudiant aux États-Unis en Iowa où il n’est pas question de s’exprimer en une autre langue que l’anglais, j’ai dû inscrire en rouge et en haut de la première page de mes travaux que je souhaitais vivement que mon correcteur me signale mes fautes d’anglais.
Que nenni! Je n’ai jamais obtenu la moindre remarque relative à la médiocrité de mon usage de cette langue. Tant que les correcteurs étaient en mesure de projeter une signification sur mes phrases telles que je les avais organisées, les écarts de style ne leur importaient guère. Par contre, pour l’accent, à l’oral, ils me faisaient répéter maintes fois!

Donc, ces expériences personnelles m’amènent à corroborer le constat de Philippe selon lequel les Anglophones tolèrent plus les déviants langagiers que les Francophones!
Ce qui explique, en partie pourquoi, les étrangers qui arrivent au Canada préfèrent s’installer dans les provinces anglophones qu’au Québec!

Mais ce n’est pas tout, je crois aussi que Philippe a raison de laisser entendre qu’une langue ne peut que bénéficier des apports ou modifications amenés par des locuteurs d’origine étrangères si, bien sûr, cela se fait dans la raison, la décence et la modération.

Enseignant, plus tard, dans la faculté de communication de l’Université du Québec à Montréal, d’origine étrangère, j’ai été le professeur le plus sollicité par les étudiants étrangers pour diriger leur thèse de doctorat et leur mémoire de maitrise.

Il est souvent arrivé que je laisse passer dans la rédaction finale de leur œuvre des passages qui me semblaient agréablement imbibés d’une tournure hispanique (chez les Latinos) ou coranique (chez les Musulmans issus du Maghreb francophone) ou vaudouesque (chez les Haïtiens), ou encore ‘enveloppante’ (chez les Africains) ou finalement bouddhisto/confucéenne chez celles et ceux qui venaient d’Asie. Pour moi, ces qualificatifs farfelus correspondent à ce que nous appelons dans nos régions des ‘gallicismes’ et des ‘anglicismes’!

Plus tard, ayant perdu mes réflexes de prof. français, je laissais passer ces tournures exotiques car elles me semblaient ajouter tant à la beauté des phrases qu’à la logique de l’argumentation.

Mais, hélas, lors des soutenances des thèses et d’évaluations des mémoires, il se trouvait toujours un(e) membre du jury d’origine québécoise pour exiger que ces passages exotiques soient francisés. On sait que le Québec qui s’est doté d’un Office de la Langue Française, supervisant une Police de la Langue, est devenu beaucoup plus maniaque sur la pureté de la langue que l’Académie française! Plus royaliste que le roi, d’où le drapeau aux fleurs de lys!

Par contre, si cette police de la langue fait parfois penser à la police du voile en Iran, il me semble que les Québécois ont raison de se plier en quatre lorsqu’ils entendent les notoriétés hexagonales passer à la télévision française et employer (avec un accent épouvantable) des termes anglais dans presque toutes leurs phrases. Je partage avec Philippe l’idée que l’ouverture est bonne à condition qu’elle soit raisonnable, décente et modérée! En ce qui concerne l’envahissement de l’anglais chez les élites médiatiques, comme du verlan arabisé dans les banlieues, il me semble que l’on est tombé dans l’excès!

René-Jean Ravault
Prof chercheur en communication.
Retraité de l’Université du Québec à Montréal.

Une réflexion sur « Rendez-vous à cinq heures avec la langue »

  1. Intéressent l’idée qu’une langue soit vivante et fréquentable pas seulement appliquer comme une prescription à absorber une fois par jour. On met ainsi en évidence, qu’il est parfois sans se maintenir, entendu autrement qu’il aurait pue. L’apparente rIgiditée de la langue résolve l’entendement commun dans les échanges courants cependant la description de langue de cristal que souligne Conrad comme impossible à tordre est plutôt de l’ordre de ce sens collectif ou les échanges communs sont contingentés dans un milieu restreint et l’anglais étant partagé par d’avantage d’étranger dû au commerce plus étendue à travers le monde portait cette flexibilité lexicale.

    D’autre part je me demande si on pourrait ainsi résoudre la segmentation des algorithmes causant les chambres d’écho en apprenant les subtilités par des méthodes plus efficaces. Si une langue étrangère peut nous enrichir, si notre langue nous reste étrangère nous nous appauvrissons.
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