Retour sur Andromaque

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Ô toi, lecteur fidèle ! Et toi, commentateur assidu ! Et peut-être aussi toi, badaud épisodique ! Reconnais donc que c’est grâce à moi que tu as connu la vérité sur les circonstances de la mort de César ; que c’est bien par mon truchement que tu as entendu le récit de Quintus Tertius, ce militaire en retraite qui malencontreusement voulu changer de coiffeur en ce jour maudit des Ides de Mars 44 ; que c’est bien son récit qui t’a révélé comment et pourquoi Marc-Antoine, ami et garde du corps du grand Jules, avait abandonné son poste, permettant ainsi à une bande de politiciens bedonnants et craintifs de trucider sévèrement le plus grand homme que Rome ait connu avant qu’Octave n’entre en scène dans le costume d’Auguste.

Tu te rappelles donc que Quintus Tertius, après avoir acheté Disiset, une jeune et jolie esclave fraichement arrivée de Cyrénaïque, pour remplacer son coiffeur barbare et récemment défunt du typhus, avait changé son nom en Andromaque, plus convenable selon lui pour une coiffeuse. La jeune artiste capillaire avait attiré l’œil toujours en alerte de Marc-Antoine qui avait quitté son poste quelques instants pour essayer la nouvelle acquisition de son ami Quintus. C’est le moment qu’avaient choisi les conjurés pour mettre leur sinistre projet à exécution, et Jules, demeuré sans protection, eh bien, ils ne l’avaient pas raté, les salauds. Bien sûr, de tout cela, tu te souviens parfaitement. Mais si, par hasard, ta mémoire de ce qui s’est passé sur le forum il y a 2066 ans te faisait défaut, réjouis-toi, car tu vas pouvoir la rafraichir en cliquant sur le lien que je te propose ci-dessous :

https://www.leblogdescoutheillas.com/?p=30124

Omnibus completis, on m’a récemment posé la question de savoir ce qu’était devenue la jeune Andromaque (ex-Disiset) une fois achevée sa séance avec Marc-Antoine.

Eh bien, il faut admettre que les spécialistes de cette période de l’Antiquité se perdent en conjectures.

Une certaine école d’historiens prétend que, galvanisée par son nouveau prénom et par l’essai qu’avait fait d’elle le bouillant Marc Antoine, Disiset, alias Andromaque, se serait attachée aux pas de celui qui allait devenir l’allié puis l’ennemi d’Octave-Auguste. C’est à elle en particulier qu’on devrait l’une des célèbres coiffures de Cléopâtre, celle qui représentait le dieu Râ créant d’un coup de menton le Nil, ses crocodiles et ses felouques, coiffure qu’affectionnait particulièrement Marc Antoine lors de ses crises de paludisme. Dans son délire fiévreux, il prétendait que cela lui rappelait les barques avec lesquelles il avait franchi le Rubicon quelques années plus tôt avec son Jules.  Les mêmes historiens dévoyés font aussi courir le bruit que c’est Andromaque (ou Disiset, c’est pareil) qui introduisit dans une corbeille de fruits le serpent qui tua Cléopâtre, car elle trouvait que Marc Antoine la délaissait un peu trop en faveur de la Reine d’Égypte. Andromaque, puisqu’il faut l’appeler ainsi, aurait donc non seulement permis l’assassinat de Jules César, mais elle aurait elle-même assassiné Cléopâtre, entrainant ainsi le suicide de Marc-Antoine. Ça fait quand même beaucoup pour une petite coiffeuse de Cyrénaïque.

Une autre école de pensée, dont votre serviteur fait partie, méprise cette théorie et n’a pas de mots assez durs pour la qualifier : ridicule, infondée, gauchiste et inopportune. (Voir la thèse d’agrégation d’histoire de M. Justin Peticout : « Andromaque contre Cléopâtre en trois sets gagnants »). Cette même école tient qu’Andromaque n’a jamais existé et que l’absence de Marc-Antoine lors de la séance du sénat qui fut fatale à César était due à une indigestion de pattes de mouches farcies à la graisse d’ours. (Voir la thèse d’agrégation d’histoire de Mlle Justine Foihalor : « Les ravages de la nouvelle cuisine dans la Rome antique »)

Les deux écoles continuent à s’insulter par thèses interposées. D’ailleurs, elles fréquentent deux cafés opposés sur la place de la Sorbonne.

Personne ne m’a demandé ce qu’il était advenu de Quintus Tertius, le malheureux propriétaire d’Andromaque après la mort de César, mais je vais quand même vous le dire. Voilà : dans la guerre civile qui s’ensuivit entre Octave-Auguste & Marc-Antoine d’un côté et Brutus & Cassius de l’autre, Quintus Tertius n’hésita pas à abandonner ses terres du Latium pour rejoindre son vieux copain de régiment, après avoir fait une croix sur la coiffeuse. (Le lecteur n’oubliera pas qu’à cette époque, 44 ans avant l’an zéro, la croix n’avait pas encore acquis le statut de symbole universel que l’on connait aujourd’hui.) La reprise de la vie errante de général romain ne lui plut plus tellement : dépourvu de soins capillaires, car il n’avait toujours pas remplacé Andromaque, il arborait une chevelure désordonnée de Gaulois résistant et une barbe hirsute de paysan de Béotie inférieure qui faisaient mauvaise impression auprès des autres chefs de guerre, particulièrement auprès d’Octave-Auguste qui, il faut bien le dire, ne rigolait pas tous les jours. Cela couta d’ailleurs à Quintus la troisième place disponible dans le triumvirat. De plus, et pour la même raison (l’absence non justifiée d’Andromaque et de ses massages fessiers supposés), il supportait de plus en plus mal les longues chevauchées qu’exigeaient les savantes manœuvres qui précédèrent la bataille de Philippes. Il retourna donc sur ses terres pour s’apercevoir qu’il en avait été dépossédé par son voisin qui lui déclara tout net « Quod bellum vadet, possessionem perdet » (« Qui va à la guerre perd sa terre » ou alors, en temps de paix : « Qui va à la chasse perd sa place »). Quand il apprit que son vieux pote Marc était devenu, par liaison fatale, roi d’Égypte, il le rejoignit à Alexandrie où il obtint par népotisme, assez fréquent à cette époque, le poste de fournisseur exclusif en fruits et légumes de la cour. C’est là qu’il tomba sur Andromaque, dont il put enfin essayer les massages fessiers. Il consentit à l’épouser, à la condition qu’elle lui rembourse les 39 deniers qu’elle lui avait couté, ce qu’elle fit en se promettant de lui en couter beaucoup plus en tant qu’épouse.

La fin de Quintus Tertius fut assez désagréable dans la mesure où Andromaque l’accusa de son propre forfait, c’est-à-dire d’avoir introduit un serpent sacrément venimeux dans la livraison de fruits du mercredi destinée à Cléopâtre. Il fût écartelé entre quatre tortues du Nil, ce qui, on l’imagine, prit un certain temps.

 

Une réflexion sur « Retour sur Andromaque »

  1. « Je me souviens » comme le dirait un québécois respectable. L’histoire retiendra que Quintus Tertius a bien été le mentor de la perverse Andromaque tout comme Richelieu l’a été celui de la perverse Milady (thèse d’Alexandre Dumas père). Le choix des tortues pour sa punition finale fut un choix réfléchi car à en croire le chroniqueur de Chateau-Thierry elles ne courent pas mais partent toujours à temps.

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