Mais enfin, pourquoi faut-il relire Proust ?

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L’homme élégant et la femme du monde ne lisent pas Proust. Ils le relisent.
Le vieillard cacochyme aussi, mais lui, il croit que c’est la première fois.
Vous voulez savoir pourquoi il  faut relire Proust ? Eh bien, je vais vous le dire. Mais pour que vous en soyez vraiment convaincus, je vais le faire par le truchement de quelques spécialistes.

D’abord, relire pour le plaisir : 

C’est peu dire que le plaisir proustien par excellence n’est pas celui de la lecture, mais celui de la relecture.
Laurence des Cars, présidente du musée d’Orsay

Ensuite parce qu’à chaque relecture, on s’intéresse à des choses différentes :
Bonheur de lire Proust : d’une lecture à l’autre, on ne saute jamais les mêmes passages.
Roland Barthes

Et aussi, parce que la première fois qu’on entre dans la Recherche, il est rare qu’on aille au bout :
Je crois que Proust est plutôt un livre de relecture que de lecture. Il faut l’avoir lu d’abord tout entier, s’y être perdu, l’avoir peut-être détesté à certains moments, l’avoir rejeté, l’avoir repris, puis, après, on prend Proust, on l’ouvre, on commence à lire une phrase, et on suit et généralement on va jusqu’au bout ; en tout cas pour moi c’est l’expérience que je fais chaque fois.
Jean Giono – Interview – 1965

Et enfin, parce que pour lire Proust, il faut avoir lu. Ce n’est pas moi qui le dis :
(…) Parce que pour lire Proust, il faut avoir lu, et c’est une nouvelle défaite qu’il faut accepter pour le lecteur. Il est impossible, à la première lecture, de déceler toutes les références poétiques, philosophiques, théâtrales ou picturales qui sont disséminées tout au long de ces plusieurs milliers de pages. Platon, Montaigne, Corneille, Racine, Saint-Simon, Chateaubriand, Hugo, Balzac, Dostoievski sont présents derrière chaque syllabe et c’est sûrement pour cela que la littérature critique autour de Proust n’est pas prête d’en venir à bout ;
Julien Leclercq – Le Nouveau Cénacle 

Donc, lisez et relisez Proust ! La phrase qui suit par exemple, celle qui conclut le fameux épisode de la Madeleine. Mais attention, danger ! Sa lecture répétée sans précaution peut provoquer un grave choc esthétique ; surtout si l’on prononce les mots à mi-voix. Essayez :
Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.
Marcel Proust – Du côté de chez Swann

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