Restez chez vous !

Morceaux choisis

Voici pour commencer un court extrait du très léger et tout dernier livre de Philippe Delerm : New York sans New York.

« Il y a eu une époque où pouvoir se targuer d’un périple lointain vous conférait un prestige. Aujourd’hui, même un mot aussi miraculeux que Taj Mahal a perdu son pouvoir poétique. Tout le monde imagine à l’avance ces queues dans les aéroports et ces longs retards humiliants, ces désœuvrements peu gratifiants, ce désir entravé, essoufflé, teint brouillé, posture avachie, tee-shirt de fraîcheur matinale devenu avant même le départ relâché, douteux, uniforme ennuyeux des riches pauvres»

Si je publie cette chose, ce n’est pas que je la trouve particulièrement réussie sur le plan littéraire, c’est parce qu’elle contribue à me conforter dans mon opinion sur le tourisme et les voyages.
Mais je n’ai pas attendu de lire le New York sans New York.de Delerm avant-hier soir pour avoir les voyages touristiques et le tourisme en horreur. Je pense que ça m’est venu très vite, très tôt dans ma désormais longue existence. C’était sans doute une tendance naturelle que n’a pas manqué de renforcer l’expérience acquise au cours des ans et la lecture des grands anciens.

Ah ! les Grands Anciens ! Par exemple, tenez ! Louis-Ferdinand Céline, lapidaire :

Le voyage, un petit vertige pour couillons…

 et Samuel Beckett qui confirme :

 On ne voyage pas pour le plaisir. On est con, mais pas à ce point-là !

 Car il ne peut y avoir de satisfaction véritable dans le tourisme, et Cesare Pavese est bien d’accord :

Tout voyage est une agression. Il vous contraint à faire confiance à des inconnus et à perdre de vue le confort familier du foyer et des amis, on est en perpétuel déséquilibre.

 Bernard Arcand ne nous apprend rien quand il déclare :

Heureux le touriste qui a tout vu avant l’arrivée des touristes !

Évidence, bien sûr ! Mais la conséquence que Sam Ewing en tire c’est que

Les touristes veulent toujours aller là où il n’y en a pas.

 Alors, ils s’adressent aux professionnels de l’industrie du tourisme qui, selon Jean Mostler, se définit comme suit :

Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux.

 En réalité, les touristes ne sont jamais heureux. Frédéric Dard l’a constaté :

Les touristes, leur manière de tout vérifier par rapport aux guides qu’ils trimbalent. Ils n’admirent pas : ils confrontent.

D’ailleurs, en général, le touriste est idiot car,  comme le disait Émile Genest

Un touriste, c’est quelqu’un qui parcourt des milliers de kilomètres pour se faire photographier devant sa voiture.

Et maintenant, selon moi, le narcissisme est à son comble grâce à

la prolongation indispensable de votre bras, la perche à smart phone, la rallonge à iPhone, la tige à Android, le machin à selfies. C’est la géniale invention qui vous permettra de vous prendre vous-même en photo devant n’importe quoi, tandis que vous ferez un sourire béat, enthousiaste ou stupide au petit rectangle magique avec, dans votre dos, le monument que, de toute façon, vous aurez bien le temps de voir chez vous

 En plus, le tourisme, c’est dangereux ; n’oublions jamais le conseil que Jonathan Swift donnait aux autochtones :

A condition de se poster aux bons endroits, le touriste est plus facile à exterminer que la vipère.

 Mais la meilleure illustration de ce que le touriste tire du voyage, c’est encore Baudelaire qui nous la donne :

Dites, qu’avez-vous vu ?

Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
 (…)
Amer savoir, celui que l’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Un oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Le prix du pétrole augmente ? Celui des billets d’avion aussi ?
Alors, restez chez vous, sacré bonsoir !

(Allez voter, mais après, restez chez vous !)

 

 

12 réflexions sur « Restez chez vous ! »

  1. Comme disait ce Journal dans un article récent :
    « Tous les clous sont dans la voiture »

  2. J’adore les voyages organisés. Je suis capable, mais ce n’est pas un exploit car j’ai fait la même chose pendant toute ma vie, merci mon Dieu, de faire totalement abstraction des gens qui m’entourent ; je ne les vois pas, je ne les entends pas, ils n’existent pas. Par contre, le gain de temps, la quantité et la qualité de ce que je vais découvrir sont à des années lumières de ce que j’aurais pu voir tout seul perdu dans un lieu inconnu.

  3. Ce n’est pas une question d’égoïsme, ni de snobisme, ni d’élitisme. La question est que, à moins de partir à pied, sac à dos, chapeau de brousse, gilet multi-poches et couteau suisse à travers l’Amazonie profonde, (où d’ailleurs on a toutes les chances de découvrir derrière le premier séquoia venu un congrès de vendeurs de Volkswagen en goguette et bermudas), on se retrouve englouti dans des foules hébétées mais avides de souvenirs, que ce soit Place du Tertre, dans la Vallée des Rois, sur les plus hautes pentes de l’Everest, ou à l’intérieur de la mosquée bleue. Ce n’est donc pas une question d’égoïsme, de snobisme, ou d’élitisme, mais de confort, d’agrément et de tranquillité.

  4. Non, il ne vaut pas mieux « voyager n’importe comment », il vaut mieux avoir voyagé avant, avant que la foule ne pourrisse la Piazza del Campo de Sienne, le Mont Saint Michel, le Musée des Offices de Florence, l’Acropole d’Athènes, le Fisherman’s wharf de San Francisco ou l’Alcazar de Rodez, avoir voyagé avant et faire comme le roi d’Ithaque :
    Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
    Ou comme celui-là qui conquit la toison,
    Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
    Vivre dedans sa niche le reste de son âge.

  5. En somme, c’est Bernard Dimey (J’aimerais tant voir Syracuse…) contre Louis-Ferdinand Céline (Le voyage, un petit vertige pour couillons…) et Charles Baudelaire (Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici)

  6. Je reproduis ci-dessous le commentaire que Jim destinait à cet article et qu’il a posté par erreur sous la fontaine Carpeaux !

    « Le tourisme et les touristes existent, c’est comme ça et ça continuera comme ça. On peut le regretter, c’est le “one world” de notre époque qui veut ça. Mais attention au snobisme parfois méprisant de ceux qui pensent que voyager et voir ce qui existe ailleurs est réservé à une élite égoïste, et je ne vise ici personne présente dans le débat. J’ai vécu en Chine quelques années à l’époque de son décollage économique et j’ai constaté le rêve de beaucoup de chinois de pouvoir enfin aller voir comment c’était ailleurs. Les défenseurs du tourisme et de son industrie diront qu’il crée des emplois, chez nous en France par exemple qui en a besoin, mais surtout dans les pays plus pauvres qui n’ont rien d’autre à offrir permettant ainsi leur développement économique, là où les touristes des pays plus riches vont justement. Le problème n’est pas pour moi le tourisme qui peut concourir à ouvrir les yeux et les consciences, c’est les touristes, où plutôt leur comportement qui regarde sans voir et ne respecte pas les lieux et leurs habitants. C’est pourquoi j’approuve totalement le Général Georgelin, responsable des travaux de la restauration de Notre Dame de Paris, quand il dit que sa mission est avant tout la restauration d’un lieu de culte catholique et non celle d’un lieu de tourisme. Et justement, je pense qu’il ne faut pas que le tourisme tue la possibilité à ceux qui en ont envie, catholique ou pas, de connaître une immense émotion devant une cathédrale comme Notre Dame, devant le lever du soleil sur le Taj Mahal, ou bien sur le Grand Canyon du Colorado, ou bien sur la ville de Saint Petersbourg, ou encore sur Venise la sérénissime (en oubliant les touristes autour de moi dont certains éprouveront peut-être les mêmes émotions que moi). »

  7. « …tu déconnes…tes réflexes de sclérosé…cette vision est une lâcheté infinie…une malhonnêteté…. enlever ton costume d’ingénieur… redevenir un homme… »

    Eh bien, on peut dire que quand tu apportes la contradiction, tu le fais avec calme et délicatesse. Bon, ceci dit, je me suis peut-être mal exprimé, ou alors sont-ce les auteurs que j’ai cité dont les sentences auraient été mal comprises ?

    Ce ne sont pas tant les voyages que le tourisme qu’avec l’aide des grands anciens, j’ai voulu critiquer. C’est en tout cas dans ce but que j’en avais choisi les citations.

    Pour ce qui est des voyages à la découverte de pays étrangers et parfois étranges, j’ai déjà donné. Dans les premières années de ma vie professionnelle, si ma mémoire est bonne, il doit bien y avoir sept ou huit pays dans lesquels j’ai vécu entre un mois et un an, non pas à faire du tourisme, visiter des monuments et acheter des souvenirs, mais à vivre et travailler avec des nationaux. Avant l’âge de 35 ans, j’ai donc eu de multiples occasions de découvrir comme tu le conseilles que « le monde et la vie ne sont pas ce que nous en avons décidé dans notre environnement rassurant… que le monde est autre, différent, pauvre, démuni, arriéré, mais autre. »

    Sans nier le fait qu’il existe un tourisme intelligent, respectueux, aventureux, innocent et formateur, on ne peut pas dire que les voyageurs qui le pratiquent soient représentatifs du phénomène du tourisme. L’énorme majorité des gens qui voyagent (j’exclue les voyages d’affaires, dont la densité et la brièveté excluent en général la découverte du pays) pratique ce que j’appellerai le tourisme-autocar ou tourisme-Costa, un tourisme moutonnier, encadré, accéléré, superficiel, souvent exténué, pour tout dire un tourisme de masse, dont les activités essentielles seront de monter de descendre précipitamment d’autocars climatisés, de prendre des selfies devant le Taj Mahal et de marchander en rigolant des épices aphrodisiaques dans le bazar d’Istambul.
    Il existe aussi une forme de tourisme-voyage, que j’appellerai le tourisme-Club, tout aussi haïssable, qui consiste à passer une semaine ou plus si affinités dans des endroits paradisiaques aménagés dans des pays pudiquement qualifiés d’ »en voie de développement« , soigneusement séparés de la population généralement pauvre mais admise en petit nombre au paradis occidental artificiel pour y faire le ménage, vendre de jolis foulards et servir les cocktails.
    Rarement pour ces touristes-là, les touristes-Costa et les touristes-Clubs, « voyager, c’est accepter l’autre, voyager c’est se poser des questions« .
    Ce sont ces tourismes-là, Club et Costa, qui étaient dans mon viseur.

    « Mais s’acheter une bonne conscience tardive avec une écologie irresponsable de pacotille qui ne fait que repousser les problèmes mais ne les supprime pas me scandalise au plus haut point« .
    La question de l’écologie, de pacotille ou non, n’était pas abordée dans ma sélection de citations.

    « Demande aux indiens d’Amérique du Sud dont on saccage les déserts de sel ce qu’ils en ont à foutre de ramasser leur lithium pour fabriquer des puces électroniques écologiques ? »
    La cueillette du lithium dans les champs aztèques, pas davantage.

    « A vingt ans, je détestais les voyages et je pensais alors la même chose que Céline. Eh bien, à soixante dix ans, je pense que cette vision est une lâcheté infinie…. »
    Pour moi, ça a été l’inverse. Je suis persuadé aujourd’hui qu’il y a d’autres moyens d’être que voyager.

  8. Non, alors-là, tu déconnes grave. Le voyage, mais moi j’en pense l’inverse de toi. Ce n’est pas la destination qui importe, ni l’organisme de voyage organisé, c’est le fait d’accepter de se transporter dans un ailleurs qui n’a rien à voir avec ton douillet appartement du cinquième arrondissement. Voyager, cela n’a jamais voulu dire partir aux antipodes pour se faire photographier devant le Taj Mahal. Non, voyager, cela veut simplement dire accepter de quitter ton chez-toi, sortir de tes habitudes, oublier tes réflexes de sclérosé. Plus on vieillit, moins on n’en a envie, en réalité, moins on en est capable. A vingt ans, je détestais les voyages et je pensais alors la même chose que Céline. Eh bien, à soixante dix ans, je pense que cette vision est une lâcheté infinie, voire même une malhonnêteté. Il faut voyager, déjà pour s’apercevoir que le monde et la vie ne sont pas ce que nous en avons décidé dans notre environnement rassurant. Non, le monde est autre. Différent, pauvre, démuni, arriéré, mais autre. Je ne suis pas un adepte de l’humanitaire, je déteste cela. Mais s’acheter une bonne conscience tardive avec une écologie irresponsable de pacotille qui ne fait que repousser les problèmes mais ne les supprime pas me scandalise au plus haut point. Demande aux indiens d’Amérique du Sud dont on saccage les déserts de sel ce qu’ils en ont à foutre de ramasser leur lithium pour fabriquer des puces électroniques écologiques ? Non, voyager, c’est une forme d’humilité dont personne ne te demandera jamais la preuve. Voyager, c’est accepter l’autre, voyager c’est se poser des questions sur hier et avant-hier, voyager, c’est enlever ton costume d’ingénieur, c’est redevenir un homme, un innocent, un type ouvert aux autres comme tu l’étais à vingt ans. Moi, je ne l’ai jamais été et ne le serai jamais. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas te hurler ma conviction. Voyager, c’est être.

  9. Je ne supporte pas les touristes où que je sois, ici ou ailleurs.

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