Critique aisée 223 – Le Voyant d’Étampes

Critique aisée 223

Le Voyant d’Etampes
Abel Quentin-2021
Éditions de l’Observatoire – 380 pages – 20 €

Au début, on pense à Houellebecq ; un universitaire sur le retour, un peu alcoolique, solitaire, drôle, ironique, amer, lucide… Houellebecq. Après, on pense à Philippe Roth, victime de la pensée unique, de la racialisation et de la correctitude politique.

Jean Roscoff, le narrateur du Voyant d’Étampes, est un peu tout ça, prof, alcoolique, nostalgique d’une ex-femme pour laquelle il n’était pas fait, père attendri d’une fille aimante mais moutonnière, aigri par un échec littéraire de jeunesse, bientôt victime d’une de ces campagnes dont nos jeunes élites ont fait leur arme de destruction massive : l’antiracisme fureteur, la racialisation indéfrisable, le Wokisme intégral. (A la place d’  « intégral », mon correcteur d’orthographe automatique s’obstine à me proposer « intergalactique ». Il est en avance sur son temps, mon correcteur, mais de combien de mois ?)
Et ce qu’on lui reproche, à ce Roscoff-Houellebecq-Roth qui a écrit un ouvrage savant sur un poète ignoré, américain, communiste et disparu, c’est de n’avoir pas mis suffisamment en avant la négritude du bonhomme. Alors qu’en d’autres temps, et surtout d’autres lieux, l’élégance, la morale et l’humanisme voulaient que l’on soit « color blind », c’est à dire que l’on ne prête, sincèrement ou de manière affectée, aucune attention à la couleur, la race, l’origine — c’est à dessein que je n’ai pas ajouté le milieu social à cette liste discriminante, car il y a des limites à la bienveillance —  il convient aujourd’hui de reconnaître, de souligner, et au besoin de rechercher pour l’exhumer toute trace minoritaire chez l’individu —  en vous priant de m’excuser de ne pas écrire ce mot en écriture inclusive, car il n’y a pas de féminin au mot individu, du moins pour le moment — afin de pouvoir le faire bénéficier du statut coupe-file de victime.

Naïf, Roscoff, qui, en son temps, avait fait ses classes à SOS Racisme sous la houlette de Julien Dray et de Harlem Désir, croyait avoir obtenu et pour toujours son passeport d’homme de gauche, donc de citoyen fréquentable et insoupçonnable. Mais les violentes réactions réticulaires sociales que vont lui valoir son essai « Le voyant d’Étampes » vont lui faire savoir que son antiracisme primaire des années Mitterrand n’était qu’une paire de pantoufles intellectuelles qui lui permettait de continuer à jouir de son éternelle domination d’homme blanc occidental non minoritaire.

Le roman décrit la descente aux enfers publics de ce pauvre intellectuel qui se croyait au-dessus de tout soupçon — de soupçon de ce genre en tout cas, — , qui n’avait fait qu’évoquer — et c’est ce qu’on lui reproche — la couleur de son sujet, et dont l’objectif était de mettre en valeur chez lui le côté paradoxal et original d’être à la fois américain, communiste et poète. Il détaille aussi les procédés de rouleau compresseur de nos Robespierre modernes. C’est instructif.

C’est peut-être là que ce serait arrêté Houellebecq, dans la victoire des forces du Nouveau Bien, et dans une disparition progressive du héros — mais peut-on vraiment utiliser ce mot, héros, marqué un peu trop positivement quand même, non ? — dans la réprobation générale, la solitude, l’alcool, la crasse, la clochardisation et l’arrêt cardiaque volontaire.

Mais Abel Quentin va plus loin.

Tout d’abord, son héros finit par reconnaître qu’il a été ce qu’on lui reproche d’être : mâle blanc et tout ce qui va avec… (comme quoi les méthodes sino-staliniennes, ça marche toujours.)

Et puis, en toute fin, l’auteur nous balance en quelques mots un retournement que j’ai trouvé magistral dans la mesure où il m’a pris totalement par surprise. Je ne vous en dirai rien.

Il n’y a pas que la personnalité du narrateur qui fasse penser à Houellebecq. Il y a aussi, le style de l’auteur, net, clair, aigu, et aussi l’humour, l’humour, politesse du désespoir.

Quand vous lirez Le Voyant d’Étampes, je suis persuadé que, comme moi, vous sentirez que derrière ce roman d’Abel Quentin (il paraît que c’est son deuxième et que c’est un pseudonyme), il y a vraiment quelqu’un, un véritable écrivain. C’est rare.

4 réflexions sur « Critique aisée 223 – Le Voyant d’Étampes »

  1. Moi aussi!
    J’avais hélas raison sur un point : les gateries probables de sa chinoise nous l’ont adouci nôtre pessimiste congénital!
    Ça se lit avec plaisir et à titre personnel , je trouve le surjet politique bien rendu.
    Toujours son style, son humour , mais la sagesse de ce dynamiteur est troublante… ceci étant je reste inconditionnelle!

  2. Quand je suis en panne d’ecriture et a court de séries, je me remets à lire. En ce moment Anéantir.

  3. Pour quelqu’un qui soi disant ne lit plus….
    Un cadeau de Noël judicieux…
    En tout cas ça donne envie et je cours chez mon libraire préféré.
    Au fait , c’est devenu un cercle de lecture ici ?

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