L’humour et l’esprit

Qu’est-ce que l’Humour ?

L’humour, c’est la politesse du désespoir.
Qui a dit ça ? Oscar Wilde ? Chris Marker ? Victor Hugo ? On ne sait pas vraiment, mais peu importe. Cette définition me plait bien. Elle n’est pas très lointaine de celle de l’humour juif : « rire pour ne pas pleurer ».
Attention ! Très important ! L’humour ne doit en aucun cas être confondu avec la raillerie des cours de récréation, l’ironie de France-Inter, les sarcasmes de Charline Vanhoenacker, les contrepèteries de mon cousin, les calembours de votre beau-frère, les histoires de Toto, les gracieusetés de Bigard, les lourdeurs de Laurent Baffie…
L’humour se moque de lui-même, comme Pierre Desproges dans son histoire des piles pour transistor, comme Marc Jolivet dans son sketch du digicode, comme Jules Renard à chaque ligne de son journal.

Et maintenant, qu’est-ce que l’Esprit ?

Eh bien disons que, quand l’effet drolatique se produit aux dépens d’un autre que soi-même ou assimilé, ce n’est plus de l’humour, c’est de l’esprit.
Il en est de même si, sans qu’il s’exerce aux dépens d’un tiers, l’aspect réjouissant du trait d’esprit provient d’une habile construction, d’un rapprochement paradoxal, d’un oxymore indubitable. Dans ce cas-là, on ne rit plus (ou alors, comme Madame Verdurin, on affecte de rire), on admire.
Faire un trait d’esprit aux dépens de quelqu’un est très gratifiant. Cela établit ou confirme chez l’auteur du trait une rapidité, une agilité de raisonnement et une maîtrise du langage permettant d’identifier et de mettre en forme un aspect amusant, en général ridicule, chez la victime du trait. Celle-ci se trouve du même coup reléguée à une position inférieure à celle de l’auteur du trait, dont on dit qu’il est « spirituel ». Et ça, c’est vraiment gratifiant.
Écouter et surtout comprendre un trait d’esprit est amusant et également gratifiant, car cela établit une complicité, presque une égalité entre l’auditeur et l’auteur, et par voie de conséquence une supériorité par rapport à la victime. Et ça aussi, c’est vraiment gratifiant.

Jean Cocteau, Sacha Guitry, Georges Feydeau étaient des maitres de ces mots. Je vous laisse choisir vous-mêmes les auteurs de mots d’esprit et de mots d’humour contemporains que vous appréciez, du moment que vous n’y mettez ni Laurent Ruquier, ni Laurent Baffie, ni n’importe quel chroniqueur des matinées de France-Inter.

Et maintenant passons aux exercices pratiques. Voici en vrac une succession de mots d’esprit et de mots d’humour. Je ne prétends pas vous les faire découvrir, beaucoup d’entre eux étant très connus. Je vous laisse juste le soin de les répartir entre ces deux catégories :

Humour ou Esprit ?

1- Un cocu notoire se plaignait devant Georges Feydeau de ce que son fils était trop dans les jupons de sa mère.
— Rassurez-vous, cher ami, lui dit Feydeau. Il faut l’y laisser faire, il s’y fera des relations.

*

2- Sur l’agora, Diogène s’approche d’une statue. Il tend la main vers elle pour obtenir une aumône.
—Pourquoi fais-tu cela, lui demande un passant.
—Je m’habitue au refus, répond Diogène

*

3- Comment reconnaître l’humour anglais de l’humour français ? L’humour anglais souligne avec amertume et désespoir l’absurdité du monde. L’humour français rit de ma belle-mère. (Desproges)

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4- L’autre jour, j’ai rencontré Ratinet. Nous avons échangé quelques idées. En le quittant, je me suis senti tout bête. (Anonyme)

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5- Ah ! Bonjour Ratinet. J’ai appris que vous aviez publié vos mémoires. Ce serait gentil de votre part de m’en envoyer un rouleau. (Anonyme, pas le même, un autre)

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6- La modestie va bien aux grands hommes. C’est de n’être rien et d’être quand même modeste qui est difficile. (Jules Renard)

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7- Je ne bois jamais à outrance. Je ne sais même pas où c’est. (Desproges)

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8- En 1937, au concours d’entrée au Conservatoire, François Perier présente « Scapin » devant Louis Jouvet qui fait partie du jury.
Louis Jouvet :
— Si Molière t’a vu, il a dû se retourner dans sa tombe !
François Périer :
— Comme cela, il sera à l’endroit car il vous a vu hier dans « L’école des femmes ! »

*

9- Le métier des lettres est tout de même le seul ou l’on puisse sans ridicule ne pas gagner d’argent. (Jules Renard)

 *

10- Une comédienne :
— De ma vie, je n’ai jamais eu le trac !
Louis Jouvet :
— Ne vous inquiétez pas, il viendra avec le talent.

 *

11- Isadora Duncan admirait sans réserve Bernard Shaw et lui murmura un jour:
– Quel miracle ce serait d’avoir un enfant ensemble. Imaginez qu’il ait ma beauté et votre intelligence !
– Oui…. mais… supposez que ce soit le contraire…

 *

12- Jamais je ne voudrais faire partie d’un club qui accepterait de m’avoir pour membre (Groucho Marx)

*

13 – A propos de De Gaulle et de son attitude à Londres :
— Il ressemble à un lama femelle qu’on aurait surpris dans son bain. (Churchill)

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14- L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui ! (Pierre Desproges)

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15- Fontenelle vécut cent ans et demeura célibataire toute sa vie.
Un jour, quelqu’un lui demanda :
-Mais, au cours d’une si longue existence, n’avez-vous jamais eu envie de vous marier ?
Il répondit :
-Si, le matin.

Alors ? Humour ou esprit ?

11 réflexions sur « L’humour et l’esprit »

  1. Bon, si tu veux des citations, et pour rester dans l’environnement balzacien : d’un candidat au grand oral de l’ENA à qui l’on demandait : « que pensez vous de La femme de trente ans ? » cette réponse : « aujourd’hui, elle en aurait quarante ».

  2. Ah, oui ! Ridicule, dans lequel on trouve cette scène :
    A Versailles, Louis XVI et sa cour croisent le jeune provincial aristocrate interpété par Charles Berling.
    Le roi lui dit :
    — Monsieur, j’ai entendu parler de vous. On me dit que vous avez de l’esprit. Faites donc, s’il vous plait, une plaisanterie sur ma personne.
    Et le jeune provincial lui répond :
    — Sire, le Roi n’est pas un sujet.

    Exemple parfait de l’esprit, celui qui ne fait que jouer élégamment et drôlement avec les mots, mais pas au détriment de celui qui en est l’objet. Et dans ce cas on comprend pourquoi.

  3. Les différences sont souvent franches, parfois ténues. Mais la classification que tu proposes a l’avantage d’être assez efficace. Pour un festival de traits d’esprits présentés comme tels et carrément méchants, on peut aller lire dans « Illusions
    Perdues » (le roman), l’arrivée de Lucien dans la monde parisien lors de sa premières soirée à l’Opéra. Et puis, il y aussi ce film merveilleux de Lecomte : « Ridicule ».

  4. Je vous remercie tous pour vos commentaires développés et lapidaires, mais j’attendais de vous davantage. J’espérais que vous vous lanceriez dans l’exercice proposé : classer les exemples proposés entre Humour et Esprit, dont je me suis éreinté à définir les différences . Alors, voilà, je vous donne ma solution, LA solution (ceci dit sans humour aucun):
    1 : Esprit
    2 : Humour
    3 : Humour
    4 : Esprit
    5 : Esprit
    6 : Humour
    7 : Humour
    8 : Esprit
    9 : Humour
    10 : Esprit
    11 : Esprit
    12 : Humour
    13 : Esprit
    14 : Humour
    15 : Esprit

  5. @Lorenzo
    Pas complètement d’accord, bien sûr :
    L’humour est rigolo, oui, et quand il est bon, il fait rire franchement, franchement au sens de sans honte, sans gêne
    L’esprit est méchant, oui, souvent, et quand en plus il est bon, il ne fait pas rire mais sourire, finement, en connivence avec l’auteur du mot.

    @Bruno
    D’accord, l’humour est une philosophie, une façon un peu distante et élégante de voir la vie (quand on limite l’humour à la définition que j’en ai donnée : rire de soi même)
    L’esprit est plus qu’un mot, c’est une façon de se comporter en société. Mais encore faut-il en avoir les moyens intellectuels et ne pas être trop aimer les hommes.

  6. Je dirais pour ma part que l’esprit n’est qu’un mot, alors que l’humour est une philosophie. Mais je ne parle pas en connaisseur, n’ayant d’esprit que celui de l’escalier et d’humour que celui de l’absurde.

  7. @Philippe. Je comprends. Le meurtre de Putine serait plus que de l’humour, ce serait faire preuve d’esprit.

  8. @Lariegeoise
    Pour moi, la différence est importante sinon essentielle. Je ne suis pas du genre  » qu’importe le flacon, etc… ». La plaisanterie est une chose sérieuse ; c’est de l’art ou du cochon, l’aile ou la cuisse, bordeaux ou bourgogne… etc, etc…
    Pour ce qui est de l’auteur de 4 et 5, tu te trompes, mais c’est flatteur.

    @Jim
    L’esprit tel que je l’ai décrit est souvent méchant car il s’exerce, pour la satisfaction de l’auteur, aux dépens de la victime. Celui qui pratique cet exercice le sait parfaitement, mais il le fait quand même, parce qu’il trouve cela gratifiant. C’est un meurtre. Pour un serial killer, Un meurtre est gratifiant.
    Quand la victime fait preuve d’esprit en retour, c’est un duel.
    Quand l’auteur de ce texte dit que le meurtre est gratifiant, il se peut que ce soit de l’humour.

  9. Agréable florilège de bons mots au jour 17 de la Poutinofolie ….
    L’esprit ou l’humour ,peu importe la subtile différence que tu développes: l’effet est immédiat et irréfutable ;
    Je note avec malice qu’il me semble connaître l’auteur des points 4 et 5 : me trompé je?

  10. Le deuxième paragraphe consacré à l’esprit me dérange. Faire un trait d’esprit aux dépens d’un tiers n’est gratifiant, admirable ou spirituel, que si la victime est elle-même capable d’esprit en retour, de répartie, mais une lâcheté, ou une technique de harcèlement, sinon. L’esprit doit être un duel à armes égales. Par exemple, la répartie de François Périer à Louis Jouvet citée plus haut, sinon celle-ci entre Bernard Shaw et Churchill:
    – B Shaw: voici deux places pour la première Mardi de ma nouvelle pièce. Venez avec un ami si vous en avez un.
    – Réponse de WC: mardi m’est impossible. Je viendrai pour la deuxième s’il y en a une.

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