Un jour, alors que nous discutions des sentiments réciproques des Américains et des Français, un ami — était-ce Jim, était-ce Paddy, je ne sais plus — m’a dit ceci : « Les Américains sont persuadés que les Français ne les aiment pas, mais les Français les adorent. A l’inverse, Les Français croient que les Américains les aiment ; or ils les détestent. »
Je n’y avais jamais réfléchi auparavant, mais cette sentence me parut concrétiser tout ce que j’avais ressenti confusément jusque-là.
Aujourd’hui, mon propos n’est pas de m’étendre sur le fait que, malgré tout ce qu’ils peuvent en dire, les Français aiment les Américains. Les exemples en sont nombreux et, si vous arrivez encore à réfléchir honnêtement quelques instants, vous les trouverez de vous-même très facilement.
Ce qui m’occupe, c’est plutôt le fait que, malgré ce que nous Français croyons, les Américains ne nous aiment pas. Et c’est peut-être la fraction des Américains que nous aimons le plus qui nous aime le moins, celle des électeurs du parti Démocrate et de ses sympathisants.
L’élection du Donald à la tête de l’Amérique m’avait rendu très inquiet sur l’avenir de la démocratie dans ce pays que j’ai toujours aimé. C’est pourquoi, dès les derniers mois de la campagne de 2016, celle qui finit par aboutir au succès de Trump, j’ai pris l’habitude d’aller sur CNN et sur MSNBC pour suivre comment les Check and Balances et les hommes honorables du pays allaient arriver à se débarrasser de ce clown à tendance mussolinesque ou tout au moins à le contrôler. Emporté par cet élan démocratique, c’est également à cette époque que, plein d’espoir, j’ai pris l’habitude de lire chaque jour quelques articles du Washington Post et du New York Times.
Il n’est pas utile de revenir longuement sur ce que chacun a pu constater pendant quatre pénibles années, de 2017 à 2020 : les Check and Balances ont montré leur impuissance de même que les quelques hommes honorables qui ont osé, mais en vain, s’opposer à Donald Trump. Inutile également de rappeler que malgré sa défaite, malgré sa tentative de coup d’état, malgré les nombreuses affaires judiciaires qui le concernent, le Donald reste plus que jamais le chef redouté du parti Républicain.
Ce que je veux dire aujourd’hui, c’est que ma consultation régulière de la presse Démocrate, qu’elle soit écrite ou télévisée, m’a montré que, chaque fois qu’elle évoque la France, en tant que telle ou par le truchement d’une personnalité publique, c’est toujours de façon négative. Qu’il s’agisse d’Emmanuel Macron ou de Brigitte Bardot, de Catherine Deneuve ou de l’Opération Barkhane, de la Présidence de l’Union Européenne où des Chantiers Navals de Cherbourg, le commentaire sera au mieux ironique, le plus souvent critique et moralisateur, au pire insultant.
Ces jours-ci, ce qui excite le plus CNN, MSNBC, le NYT et le WP, c’est la réaction, sans doute tardive mais réelle et salutaire, des universitaires et autres intellectuels français contre le Wokisme, tsunami qui ravage les universités US et commence à faire sentir ses vagues jusqu’ici.
Les chroniqueurs les plus écoutés des USA mettent cette réaction, qu’ils jugent anti-américaine, sur le compte de la rancœur que les Français ressentent à la suite de l’affaire des sous-marins australiens.
Que rancœur il y ait, c’est probablement vrai. Rancœur et déception de constater que, sur le plan des relations extérieures, il n’y a pas grande différence entre Joe Biden et Donald Trump.
Mais prétendre que l’opposition de la France au Wokisme provienne de cette récente frustration, c’est soit très mal connaître la France et les Français, soit tordre les faits et les idées pour les besoins de sa cause.
Les Français ont d’innombrables défauts. Ils s’appliquent d’ailleurs fort bien et continuellement à les dénoncer eux-mêmes et à les critiquer. Mais, Dieu merci, les Français n’aiment pas le Wokisme, pas plus qu’ils n’ont aimé le MacCarthysme ou le Trumpisme dans lesquels les Américains sont tombés si aisément.
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P.S. Au moment de publier, Le Figaro m’apprend ceci :
« Confrontés au révisionnisme décolonial et à la censure historique au prétexte de ménager les sensibilités des minorités, des professeurs d’université, en Grande-Bretagne et dans le Commonwealth, ont entrepris de «récupérer l’histoire» et de résister à «l’effacement». À Oxford, la statue de Cecil Rhodes a déjà sauvé sa tête. »
De cette nouvelle, on peut d’abord tirer un certain réconfort : nous ne sommes pas seuls .
Ensuite, on se posera la question : Les journalistes démocrates US réagiront-ils vis-à-vis de l’UK de la même manière qu’ils l’ont fait avec la France ? Attribueront-ils cette scandaleuse attitude anti-américaine des universités britanniques au fait que l’UK a récupéré la construction des sous-marins australiens, et qu’elle n’en voulait pas ?
j’ai prévu de publier dans une dizaine de jours un texte de 1986 extrait d’ « Amérique » du philosophe Jean Baudrillard. J’ai donné comme titre à ce morceau choisi : « prendre l’Amérique en bloc »
Pour aimer l’Amérique, il faut d’abord apprécier son histoire depuis ses origines, une aventure, ou une construction (ce sont les deux mots qui me viennent toujours à l’esprit pour qualifier cette histoire hors normes), donc une aventure ou une construction chaotique. Pleine de bonnes intentions à l’origine, « la vie, la liberté et la recherche du bonheur », la poursuite se voulant exemplaire et universelle, à malheureusement été contredite par deux péchés originels, la spoliation et même le génocide des indiens et l’introduction de l’esclavage. L’Amérique continue et continuera de payer le prix de cette contradiction.
Je conseille à ceux que ça intéresse de lire le dernier livre de Nicole Bacharan (on la connaît bien en France), « Les grands jours qui ont changer l’Amérique ». Elle aime l’Amérique et ses principes d’origine, mais elle est sans concessions sur ses défauts. Livre remarquable selon moi.