Renoir et le Luxembourg

L’autre jour, c’était dimanche, c’était l’été. Il faisait beau, mais beau comme au printemps, beau comme il fait souvent à Paris quand il fait beau, une vingtaine de degrés au dessus de zéro, un petit vent de sud-ouest de force 1, un joli ciel d’Ile de France, un ciel de papier peint pour chambre d’enfant, un ciel bleu ciel constellé de petits cumulus potelés d’un blanc immaculé.

Il était un peu plus de deux heures de l’après-midi et, comme je descendais la rue Gay-Lussac à la recherche d’un endroit où me poser pour écrire un peu, j’entendis monter au loin une musique. Elle devint bientôt joyeuse et rythmée, pleine de cuivres et de tambours. « C’est sans doute une de ces fanfares, me dis-je, un de ces groupes d’étudiants qui animent souvent les trottoirs du Quartier Latin, à la manière de leur mère à toutes, la Fanfare des Beaux-Arts. »

Je me dirigeai vers le bruit qui montait de la Place Edmond Rostand en me disant que les musiciens devaient se trouver, comme souvent, à l’entrée du jardin du Luxembourg. C’est un endroit que ces fanfares aiment bien, et moi, j’aime bien ces fanfares. Ils sont en général sympathiques, ces jeunes gens, habillés de marinières pour les garçons et de robes froufroutantes pour les filles, pleins d’entrain, souriants et peu agressifs quand il s’agit de faire la quête. Alors, parfois, je m’arrête devant leur petite troupe, un sourire paternel aux lèvres. Pourtant, en général au bout de quelques minutes , la qualité de leur exécution, qui laisse souvent à désirer, et leur répertoire, qui demeure quand même limité, me rendent pénible la station debout et je m’en vais. 

Mais, ce jour-là, au fur et à mesure que j’approchais de la place,  l’image sonore d’une fanfare estudiantine disparaissait pour laisser la place à celle d’un orchestre symphonique, et même à celle d’un orchestre symphonique qui aurait été dirigé par Offenbach lui-même. 

Je passai les grilles d’entrée et me dirigeai droit vers le kiosque à musique. Il était entouré d’une foule débonnaire au sein de laquelle je me faufilai pour approcher de la scène. Sur l’estrade du kiosque, sur une musique entraînante diffusée par un système acoustique de grande qualité et sous le regard émerveillé des spectateurs, une douzaine de couples dansaient. Ils dansaient en souriant, joyeux, légers, insouciants, comme on devait danser à l’époque où les costumes qu’ils portaient étaient de mise, comme on voit encore danser sur les toiles de Renoir. Ils enchainaient polkas, quadrilles, valses, mazurkas, cake-walks, puis s’arrêtaient quelques minutes pour reprendre leur souffle. Les hommes ôtaient leur canotiers et s’épongeaient le front et les femmes, aux anges,  riaient en agitant leurs éventails. Pendant ces intermèdes, on aurait pu croire que tous continuaient de jouer le rôle qu’ils s’étaient assigné. Mais moi je sais qu’ils ne jouaient pas. Je sais qu’en cet instant charmant, sous ce beau ciel d’Ile de France, dans ce décor propice et ces costumes désuets et magnifiques, ils étaient ces gens, leurs ancêtres, qui venaient ici il y a plus de cent ans profiter en dansant de leur époque insouciante.

Jugez vous-même :


Alors que je venais d’achever d’écrire cet article, je suis tombé sur cette photo, et je me suis demandé  :

 « C’est à quel moment qu’on a merdé ? »

Bientôt publié

13 Août, 07:48 Figures géométriques
14 Août, 07:47 Tableau 360
14 Août, 16:47 Rendez-vous à cinq heures avec Jacques Legras
15 Août, 07:47 O Jornal do Recife

6 réflexions sur « Renoir et le Luxembourg »

  1. J’ai tenté sans succès de lancer le débat sur la nostalgie. Personnellement, elle me semble être la poésie du souvenir. D’autres ne sont pas des fanas comme Guy dont je cite la fin du commentaire à propos du Jornal do Recif : “Chega de saudades, vamos tocar para frente”. “La nostalgie, ça suffit, allons de l’avant”.
    Une photo de Lorenzo, Refus ou Refuge, illustre ce sujet de réflexion.

  2. Je pense, comme toi, que la nostalgie est la poésie de notre passé.

    Mais je posais la question parce que certains détestent la nostalgie. Il y en a peut-être parmi les lecteurs ?

  3. Ça sert à quoi, la nostalgie du passé ?
    une petite précision avant de répondre à la question posée.

    Je ne pense pas qu’on puisse éprouver de la nostalgie pour une époque que l’on n’a pas connue. Ce n’est donc pas ce sentiment mais l’admiration qui m’a conduit a rédiger cet article sur les costumes, les danses et la probable douceur de vivre en 1900 qu’évoquent si bien les attitudes et les sourires des danseurs.

    Maintenant, il reste à répondre à la question posée : Ça sert à quoi, la nostalgie du passé ?
    Eh bien, la nostalgie ne sert à rien et celle du passé encore moins.
    Elle est inutile, la nostalgie.
    Mais tout ce qu’on pense, tout ce qu’on dit, ce qu’on écrit, ce qu’on ressent doit-il nécessairement servir à quelque chose ?
    La nostalgie est un sentiment qui nait comme ça, selon un caprice de la mémoire. À partir d’une madeleine quelconque, elle fait naître dans une sorte de douce torpeur, une agréable rêverie sur un joli souvenir d’un temps passé que l’on a vécu avec plaisir. Ça ne sert à rien, en tout cas pas davantage que de relire une vieille bande dessinée de son enfance, d’écouter un disque des Frères Jacques ou de déguster une glace au Bar de l’Océan en tentant de se rappeler ses dix ans à Saint Briac.
    Bien sûr, on pourra dire que la nostalgie inclut une notion de regret, et que le regret est un sentiment négatif qui n’aide pas à « avancer ».
    Mais d’abord, pourquoi faudrait-il toujours avancer ? Et n’est-il pas inévitable d’éprouver toujours le regret de l’impossible éternel retour, revivre éternellement les bonnes heures passées ? Eh bien, avec la nostalgie, on y arrive, un peu.
    Quand je vois aujourd’hui la plage de la Torche qui s’étend à l’infini sous le soleil, avec ces gens qui surveillent leurs enfants en train de jouer dans les vagues, qui boivent du rosé tiède en mangeant des sandwiches au sable sur leur serviette de bain, qui jouent au Frisbee pendant des heures ou qui remontent de se baigner en jurant qu’elle est bonne, oui, j’ai la nostalgie de ma Plage des Caillebotis d’hier, et j’aime bien ça.
    Mais c’est vrai que ça ne sert à rien.

  4. Avec quelques fiacres et calèches à l’entrée , avec leurs cochers stylés, ce serait sublime.

  5. Ça a merdé quelque part, c’est évident, mais il n’y a pas si longtemps. Et encore, sur la dernière photo témoin de notre époque, on voit un garçon et une fille dansant ensemble je dirais, alors que généralement on voit une masse protéiforme dont chaque élément constitutif gesticule enfermé dans sa solitude.
    Mais où sont « les plaisirs démodés » chers à Aznavour, « dansons joue contre joue ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *