Le mécanisme d’Anticythère – Chapitre 13-2 -Valerios Doxiadis

—Monsieur, s’il vous plait, vous êtes bien Monsieur le Professeur Doxiadis ?
Valerios n’a pas ce titre, mais pourquoi perdre son temps à détromper l’importun ? Sans répondre, il répète :
—Qu’est-ce que vous voulez ?
—Je prie Monsieur le Professeur d’excuser l’impertinence qu’il y a à l’aborder en pleine rue, mais j’ai des choses importantes à lui dire.

Chapitre 13-2 – Valerios Doxiadis 
Samedi 19 Septembre 1903

 La perfection de la syntaxe et les circonvolutions de politesse du discours du bonhomme ne peuvent être celles d’un paysan. Elles font que Valerios change de ton. C’est presque aimablement qu’il lui répond.

—Écoutez, mon brave, faites vite, je suis très occupé et il va bientôt pleuvoir.

—Vous êtes bien le Professeur Doxiadis et vous étiez un familier de Mister Timothy Grantham, aujourd’hui regrettablement disparu.

L’homme ne demande plus, il affirme. Monsieur le Professeur restant silencieux, il continue :

—Il se trouve que je suis en possession de certaines choses qui lui ont appartenues et je suis certain qu’elles intéresseront Monsieur le Professeur.

—Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? Et d’abord, qui êtes-vous ?

— Vous faites bien le même métier que ce pauvre jeune homme, n’est-ce pas ? Vous travaillez bien dans ce grand bâtiment, là ? Vous passez bien votre temps à examiner les très vieux cailloux, les vieilles choses très antiques ? En tout cas, c’est ce que faisait Mister Grantham.

—Comment le savez-vous ? Et qui êtes-vous, sacré nom d’une pipe ?

—Je le sais parce que je connais très bien quelqu’un qui a très bien connu Mister Grantham. Qui je suis n’a pas d’importance.

—Écoutez, je n’aime pas beaucoup cette conversation et je refuse de discuter avec quelqu’un qui ne dit pas son nom. Au revoir.

—Agrafiotis, je m’appelle Aggelos Agrafiotis.

—Mais encore ?

—J’étais le majordome de Mister Timothy Grantham.

—Le majordome de Mister Grantham ! Voyez-vous ça ! Écoutez, je suis allé plusieurs fois chez lui et je n’y ai jamais vu de majordome, pas plus vous qu’un autre d’ailleurs. Vous me racontez des histoires.

—A vrai dire, j’étais plutôt son homme à tout faire. Je faisais le ménage, les courses, je m’occupais du jardin. Je réparais tout dans la maison. Ma femme était sa cuisinière. Nous logions sous la terrasse, vous vous souvenez ? Non ?  Vous n’avez pas dû faire attention à nous. Mais moi, je me souviens très de vous avoir vu, plusieurs fois. Vous veniez chercher Monsieur pour l’emmener diner en ville ou visiter un monument. Mais tout ça c’était avant que n’arrive cette fille…

—Cette fille ? Quelle fille ?

—Celle qu’il a ramenée un jour d’un cabaret louche. Une fieffée garce. Seirina, qu’elle s’appelait. Elle voulait qu’on l’appelle « Miss« , vous vous rendez compte ? Une fille de Plaka ! Une croqueuse, oui. Elle lui faisait faire tous ses caprices, à Monsieur. Miss Seirina ! Non mais, et puis quoi encore ?

Pour cracher sa rancœur et son mépris de la maîtresse de son employeur, Agrafiotis a quitté le langage ampoulé qu’il croit convenir à un prétendu majordome. Mais, reprenant son calme, il y revient bien vite :

—Que Monsieur le Professeur veuille bien excuser mon énervement, mais cette jeune femme nous a fait vivre, à mon épouse Aphrodite et à moi, des moments difficiles. Elle n’en voulait qu’à son argent, bien sûr. Nous avons bien essayé de prévenir Monsieur, mais il n’a pas voulu comprendre. Et on voit bien ce que ça a donné : notre pauvre Monsieur est mort.

—Oui, j’ai appris ça par les journaux en début d’année. C’est bien triste. Il est mort dans un naufrage, c’est cela ?

—C’est ce que la police a dit, Mais moi, vous savez, on ne m’ôtera pas de l’idée qu’elle y est pour quelque chose. Ah, voilà qu’il commence à pleuvoir. Voulez-vous que nous allions dans ce café là-bas ? Nous pourrons y parler de votre ami.

Quelques instants plus tard, l’orage a éclaté. Toute dignité de Professeur et de Majordome oubliée, ils ont couru vers le Cafe Mouseio en tenant leur chapeau. Essoufflés mais à peine mouillés, ils se sont attablés au fond de la salle. On leur a servi deux petits verres d’Ouzo et un bol d’olives. Par la porte restée ouverte, ils regardent les cataractes de pluie qui commencent à transformer la rue en torrent. Il n’est pas question de mettre le nez dehors avant longtemps et Valerios a maintenant tout son temps.

—Bon, Aggelos, qu’est-ce que vous voulez ?

—Vous savez que la maison de Mister Grantham a brulé. Non ?  Vous ne saviez pas ? Il y a moins d’un mois… Par chance, ma femme et moi n’étions pas à Athènes. Heureusement, parce que sans cela, nous aurions brulé avec. Pensez ! C’était en pleine nuit. Horrible… Enfin, c’est la vie, c’est le destin. Quand nous avons appris cela, deux jours plus tard, nous sommes retournés tout de suite voir les ruines de la maison. Une véritable catastrophe… C’est curieux, notre logement à nous n’avait presque pas brulé ; peut-être parce qu’il était sous la terrasse. Nous avons pu récupérer presque tous nos meubles… Mais le reste…Ah ! le reste ! Très abimé, très abimé… un grand malheur. Depuis l’incendie, nous habitons chez des cousins. Bien obligés…

—D’accord ! La maison de Timothy a brulé et ses biens avec. Et alors ?

—Ses biens, oui, mais pas tous, quand même. Ma femme et moi, nous avons fouillé les décombres et nous avons pu récupérer des choses…

—Des choses ? Des choses qui pourraient m’intéresser, c’est cela ?  Quoi par exemple ?

—Eh bien, des instruments, des livres, des chronomètres, des lampes, des choses comme ça…quelques habits aussi, des meubles…

—Vous ne croyez pas que ces objets devraient revenir aux héritiers de Monsieur Grantham ? Vous ne pensez pas que c’est un peu du vol, ce que vous avez fait ?

—Ah ! Monsieur le Professeur ! Vous m’offensez ! Du vol ? Moi, jamais ! D’abord, Mister Grantham n’avait pas d’héritier.

—Ce n’est pas une raison ! Et d’abord, comment pouvez-vous savoir une chose pareille ?

—C’est quelqu’un qui est venu de Londres qui nous l’a appris. Il nous a convoqué sur place. Il nous a dit qu’il représentait le notaire de Mister Grantham et qu’il était là pour voir les vestiges et régler les comptes. Quand il a eu fini de visiter les ruines, il a dit que tout ce qui restait ne valait plus rien. Il nous a réglé nos gages et il a payé le loyer au propriétaire. Le lendemain, il est rentré à Londres.

—Et ces objets que vous avez récupérés et qui ne valent rien, vous voulez me les vendre…

—C’est pour un notaire anglais qu’ils ne valent rien, mais pour vous, ça vaut surement quelque chose. Vous devriez venir les voir.

A SUIVRE

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